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L’huissier de justice et la propriété intellectuelle. Par Maître Guinot, Huissier.
Parution : mercredi 7 novembre 2012
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On n’évoque pas suffisamment la fonction que l’huissier de justice peut remplir dans le cadre de la protection de la propriété intellectuelle. Pourtant il est susceptible d’intervenir à des moments-clef de l’exercice de tels droits, par sa capacité d’appréhension comme de conservation de la preuve.

La première étape – non dans la constitution mais bien dans l’exercice – du droit de propriété intellectuelle consiste à en établir l’antériorité tout en décrivant son objet. Le procès-verbal de constat de l’huissier de justice répond à ce double impératif : il confère date certaine et contient la description de l’œuvre de l’esprit qui fait l’objet du droit de propriété intellectuelle. Sauf dans les cas où la loi impose le recours à un organisme spécialisé, la solution offerte par l’huissier de justice constitue une solution rapide et sécurisée, bien supérieure aux divers systèmes de lettres auto-adressées, dont la conservation est laissée aux soins de l’auteur lui-même, avec les risques de détérioration, de perte ou de destruction que ceci entraîne. On observera aussi qu’une telle solution est difficilement applicable à l’œuvre de collaboration, tandis que le constat à requête multiple offre en cette matière une souplesse incontestable.

Le procès-verbal de constat établit de façon certaine l’acte juridique de dépôt, préalable à toute protection de l’œuvre. Ses applications s’accroissent sans cesse : écrits littéraires ou scientifiques, œuvres musicales, picturales, graphiques, architecturales, photographiques, cinématographiques ou cartographiques, mais aussi créations de mode. La matière d’un tel constat couvre également les concepts des jeux y compris vidéo, l’immense domaine des logiciels informatiques, ou encore de la conception des sites Internet, sans que cette liste ne soit exhaustive…

La preuve de la date de dépôt et du contenu de l’œuvre sera ainsi conservée sur une durée très longue (25 ans en France). Dans l’hypothèse où un dépôt est imposé par la loi auprès d’un organisme expressément désigné – et l’on peut citer, en France, l’INPI en matière de créations industrielles – l’huissier de justice peut dresser procès-verbal au cours des différentes étapes de la création, afin de garantir celle-ci préalablement au dépôt définitif.

On pense plus rarement à l’utilité de l’huissier de justice dans la vérification du respect des modalités des droits d’exploitation concédés à un tiers. Prenons deux exemples. L’exploitation d’un vidéogramme ou d’une œuvre musicale est concédée à un distributeur pour une durée précise : il sera possible, à l’issue du délai d’exploitation, de faire dresser constat de la destruction du support matériel sur lequel l’œuvre a été fournie, voire de la restitution de l’œuvre si elle constitue un objet unique. Toute contestation à propos d’une éventuelle exploitation excédant les limites conventionnellement fixées sera ainsi écartée.

A titre de second exemple, prenons le cas d’une création de mode dont le droit d’exploitation est conventionnellement limité à 100.000 pièces. L’inventaire des stocks restants peut être effectué par procès-verbal de constat ; ce chiffre, additionné à celui des ventes tel qu’il apparaît dans la comptabilité du concessionnaire, permettra de vérifier les conditions d’exécution des stipulations contractuelles.

En-dehors des conditions légales d’exercice du droit de propriété intellectuelle, il existe des hypothèses d’exercice frauduleux du droit de l’auteur de l’œuvre par un tiers, et l’on pense bien entendu à la contrefaçon. C’est un effet pervers de l’augmentation du volume des échanges internationaux que de multiplier les opportunités de vente de marchandises en violation des droits de propriété intellectuelle des créateurs, qu’il s’agisse de propriété littéraire et artistique, ou de brevets, marques, dessins et modèles.

L’intervention de l’huissier de justice en cette matière se révèle particulièrement efficace en visant directement l’objet de cette atteinte au droit patrimonial de l’auteur, par le moyen de la saisie-contrefaçon. Cette procédure est rapide à mettre en œuvre puisqu’elle n’exige qu’une ordonnance sur requête pour être réalisée. Elle consiste en une mesure probatoire, destinée à apporter la preuve de la contrefaçon, et permet d’introduire ensuite l’action au fond à l’encontre du contrefacteur.

Elle peut être utilisée en matière de propriété industrielle en vertu des titres qui protègent celle-ci dans le domaine des inventions (brevet français ou européen), des marques françaises ou communautaires enregistrées, des obtentions végétales (certificat français ou communautaire), des dessins et modèles déposés (français ou communautaires), des topographies de produits semi-conducteurs, mais encore des indications géographiques protégées telles que les appellations d’origine.

Elle est également employée pour la protection des droits d’auteur et des droits voisins, ce qui permet au cessionnaire, au titulaire d’une licence d’exploitation, et d’une façon générale aux ayants cause ou ayants droit, d’engager – comme le titulaire principal – la saisie-contrefaçon. Comme en matière de constat, les exemples sont nombreux : œuvre littéraire quel qu’en soit le genre, œuvre dramatique, musicale, chorégraphique, architecturale, cinématographique, audiovisuelle en général, graphique ou plastique, publicitaire, photographique, mais aussi – avec quelques spécificités – les logiciels informatiques et bases de données.

Ce panorama ne serait pas complet si l’on omettait de dire que les huissiers de justice ont un rôle éminent à jouer dans l’identification des atteintes à la propriété intellectuelle sur les innombrables domaines de l’Internet. Le champ des nouveaux services que la profession est capable de proposer ne sera en fin de compte limité que par la créativité des auteurs… et la malicieuse imagination des contrefacteurs. Les uns comme les autres resteront toujours intarissables, donc les huissiers de justice… indispensables.

Maître Guinot Pour le Bureau de presse des Huissiers de Justice d'Ile de France