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Peut-on licencier valablement une salariée au motif qu’elle est trop belle ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 28 décembre 2012
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Melissa NELSON est devenue l’icône des salariées à l’apparence physique avantageuse.

Assistante dentaire depuis 10 ans du Docteur Knight, dentiste, elle a été licenciée, en 2010, aux motifs, qu’elle était trop belle ou plutôt qu’elle mettait potentiellement en danger le mariage de son patron.

Dans un arrêt du 21 décembre 2012 (n°11-1857) qui a fait le Tour du monde, la Cour Suprême de l’IOWA a jugé que son licenciement était « unfair » (c’est-à-dire abusif) mais pas discriminatoire.

Quelle aurait été la position d’un juge français, dans une telle hypothèse ?
Tentative de droit comparé.

1) Rappel des faits : Melissa NELSON versus Docteur Knight

Melissa NELSON était employée en qualité d’Assistante dentaire depuis 1999 ; elle était considérée par son employeur comme une employée modèle.

Toutefois, le Docteur Knight, son employeur jugeait parfois ses tenues trop « près du corps » et « distracting » (distrayantes) et il lui a demandé, parfois, de mettre une blouse blanche.

La salariée et le Docteur s’échangèrent des textos sur leur vie privée.

La femme du Docteur Knight, qui travaillait également dans le cabinet de son mari, tomba, un jour sur ces textos et demanda à son mari de licencier la salariée car elle était « une grande menace pour leur mariage ».

Ils consultèrent leur pasteur qui fût d’accord sur le principe du licenciement de la salariée, en 2010.

La salariée contesta son licenciement devant les tribunaux et la Cour Suprême de l’IOWA vient de juger que son licenciement était « unfair » (c’est-à-dire sans cause) mais pas discriminatoire.

2) Le licenciement de Melissa NELSON discriminatoire au regard du droit français ?

L’article L. 1132-1 du code du travail prohibe les discriminations directes ou indirectes, liées à l’origine d’un salarié, à son sexe, ses mœurs, son orientation sexuelle, son âge, sa situation de famille ou de sa grossesse, ses caractéristiques génétiques, (…) ou à son apparence physique.

En l’occurrence, si le licenciement de Melissa NELSON par le Docteur Knight est lié, directement ou indirectement, à son apparence physique, à savoir, sa plastique parfaite, celui-ci aurait été jugé nul et de nul effet par la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation aurait pu considérer que le motif réel du licenciement était lié à l’apparence physique de Melissa NELSON et non au fait qu’elle « mettait en danger le mariage » de son employeur.

En cas de licenciement jugé discriminatoire, Melissa NELSON aurait pu obtenir la réintégration dans son emploi avec rappel de salaires afférents et des dommages intérêts pour discrimination liée à son apparence physique. Toutefois, avait-elle intérêt à être réintégrée à son emploi ?

3) Le licenciement de Melissa NELSON, justifié par un trouble caractérisé à l’entreprise ?

Le Docteur Knight plaidait que le physique de Melissa NELSON mettait en danger son couple ; il était soutenu par son pasteur, ce qui est un curieux mélange des genres (pour nous français).

On peut toutefois s’étonner que le dentiste n’ait découvert que Melissa NELSON « mettait en péril », son couple alors qu’il l’employait, depuis plus de 10 ans, et qu’ils avaient eu, dans l’intervalle, des enfants dans leurs couples respectifs.

En France, le Docteur Knight aurait, peut-être, pu se prévaloir de la jurisprudence, qui autorise le licenciement d’un salarié, lorsqu’il existe un trouble caractérisé à l’entreprise.

La Cour de cassation a jugé que « Si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise » (Cass. soc. 14 septembre 2010 n° 09-65675). Cela suppose que les faits reprochés reposent sur des éléments objectifs imputables au salarié, un comportement ou des agissements personnels. Mais le plus souvent, ce trouble objectif est, en pratique, caractérisé au regard de la finalité de l’entreprise et des fonctions du salarié.

En l’occurrence, les faits reprochés à Melissa NELSON ne relève pas de sa vie privée mais de ses tenues vestimentaires qui étaient jugées trop « attirantes ». L’ancienneté importante de Melissa NELSON et le fait qu’elle avait une vie de famille et deux enfants, plaide plutôt en sa faveur.

En conclusion, il n’est pas impossible que la Cour de cassation aurait jugé le licenciement de Melissa NELSON comme discriminatoire, car lié à l’apparence physique (flatteuse) de Melissa NELSON, même si le dentiste plaidait que le licenciement était justifié par l’attitude de cette dernière, qui mettait en péril son mariage.

A tout le moins, à l’instar de la Cour Suprême de l’IOWA, il est probable qu’un juge français jugerait le licenciement, de Melissa NELSON, comme abusif.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum