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Avocats : La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dans la pratique.
Parution : vendredi 18 janvier 2013
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La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne offre aux avocats un nouvel outil potentiellement efficace pour défendre les droits de leurs clients. Cependant, il reste de nombreuses questions quant à son champ d’application. Un projet de formation qui sera lancé à Barcelone à la fin du mois de février 2013 par l’Académie de droit européen (ERA) avec le soutien de la Commission européenne vise à mettre en lumière l’application pratique de la Charte.

Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est enfin devenue un document juridiquement contraignant. La Charte vise à rendre les droits fondamentaux plus facilement accessibles et aboutirait à un niveau supplémentaire de protection des droits fondamentaux pour les citoyens européens. La Charte n’est pas seulement obligatoire pour les institutions de l’UE, mais elle est aussi directement applicable dans les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
La Charte faisant partie intégrante du droit primaire de l’UE, les droits qu’elle protège sont invocables tant devant la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) que devant les juridictions nationales lorsque le droit de l’Union européenne est en cause. Par conséquent, la Charte semble ouvrir un éventail de possibilités supplémentaires aux avocats dans leur travail quotidien. Toutefois, la Charte dont le champ d’application quelque peu contesté manque toujours de clarté n’a pas encore révélé ses effets substantiels dans la pratique.

Le champ d’application de la Charte

L’article 51 (1) de la Charte prévoit que ses dispositions s’adressent en premier lieu aux institutions, organes et agences de l’Union. La Charte ne s’applique aux États membres que s’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Il n’est pas toujours immédiatement évident de savoir si les institutions nationales agissent dans le cadre du droit de l’Union. En outre, bien que la Charte stipule que les États membres doivent respecter les droits fondamentaux « uniquement » lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union européenne, les explications relatives à la Charte semblent indiquer une application éventuellement plus large des droits fondamentaux.

A titre d’illustration, la CJUE s’est prononcée récemment sur la portée de l’application de la Charte dans l’affaire Iida contre Ulm (C-40/11). La question préjudicielle portait sur le point de savoir si un ressortissant japonais résidant légalement dans l’état membre d’origine de sa fille et de sa femme pouvait invoquer leur citoyenneté européenne à elles pour justifier de son séjour dans cet état malgré le déplacement de sa famille dans un autre état membre. M. Iida a entre autre invoqué son droit à la pleine jouissance de ses droits familiaux en vertu de l’article 7 de la Charte qui correspond à l’article 8 de la CEDH. À première vue, cela semble être un exemple classique d’exercice de la libre circulation par un citoyen de l’Union européenne (la fille de M. Iida étant une citoyenne de l’UE). Il semble donc évident que ce cas de figure entre dans le champ du droit de l’Union européenne et qu’il soit par conséquent couvert par la Charte. La CJUE a néanmoins conclu que la situation de M. Iida « ne présente aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union », car il ne peut prétendre à un droit de séjour fondé sur la directive 2004/38/CE (directive relative à la liberté de circulation des citoyens de l’Union et des membres de leur famille) et n’a pas demandé un droit de séjour au sens de la directive 2003/109/CE (directive relative aux résidents de longue durée). Selon la CJUE, le cas n’entre donc pas dans le champ d’application de la Charte. Malgré l’apparente clarté de cette décision particulière et une apparente interprétation stricte du champ d’application de la Charte choisie jusqu’à présent, l’interprétation exacte à donner à l’article 51 (1) n’est pas claire. Il incombera donc à la CJUE de définir plus précisément les limites du champ d’application de la Charte.

L’application matérielle de la Charte dans la pratique

En ce qui concerne le champ d’application matériel de la Charte, la CJUE a donné quelques précisions sur le contenu des normes individuelles, comme par exemple, dans le recours préjudiciel NS contre SSHD et ME contre Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform (affaires jointes C-411/10 et C-493/10). Ces affaires jointes concernent plusieurs ressortissants de pays tiers qui avaient été arrêtés à la suite de leur entrée illégale en Grèce puis de leur demande de pouvoir bénéficier d’une protection internationale respectivement au Royaume-Uni et en Irlande. Il a été demandé à la CJUE de se prononcer sur la question de savoir si un état membre ayant l’intention de reconduire un demandeur d’asile vers l’état membre responsable de l’examen de la demande d’asile (la Grèce) conformément à l’article 3 (1) du règlement de Dublin (343/2003) était obligé d’évaluer si cet état respecte les droits fondamentaux.

La CJUE a d’abord affirmé que les autorités nationales exerçant le pouvoir discrétionnaire conféré aux États membres par l’article 3 (2) du règlement de Dublin doivent être considérées comme agissant dans le cadre de l’article 51 (1) de la Charte. La CJUE a ensuite conclu que le transfert d’un demandeur d’asile vers un état membre où il risquerait d’être exposé à un risque sérieux de traitements inhumains ou dégradants équivaudrait à une violation de l’article 4 de la Charte (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants). La Cour a poursuivi en déclarant que les États membres et, par corollaire, les juridictions nationales ne peuvent initier un transfert au titre du règlement de Dublin s’ils ont des motifs sérieux de penser que les carences systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet état membre constituent un risque réel d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de cette disposition.

Cette décision semble mettre à la charge des États membres une obligation positive de veiller à ce que le contenu de l’article 4 de la Charte soit observé dans tous les autres États membres. En outre, la CJUE a entendu comparer la portée de la protection offerte par les articles 1, 18 et 47 de la Charte par rapport à l’article 3 de la CEDH. Dans sa décision, la CJUE semble affirmer que le niveau de protection est comparable pour les articles des différents traités précités et c’est sur la base de cette analyse qu’elle a finalement déclaré que l’application des articles 1, 18 et 47 n’aboutirait pas à une réponse différente de celle résultant de l’application de l’article 4 de la Charte. Cela illustre la relation complexe mais potentiellement utile entre la jurisprudence des tribunaux de Luxembourg et de Strasbourg.

La pertinence de la Charte pour les praticiens du droit

Les droits fondamentaux consacrés par la Charte peuvent avoir des retombées dans de nombreux domaines du droit national. Ces exemples montrent que la Charte des droits fondamentaux constitue potentiellement un outil supplémentaire important pour les praticiens du droit lorsque leur dossier relève du droit de l’Union européenne. Dans plusieurs autres décisions, la CJUE s’est appuyée sur les dispositions de la Charte concernant l’interdiction de la discrimination afin de faire cesser une discrimination fondée sur l’âge ou le sexe (voir, par exemple, Hennigs C-297/10 et Test-Achats C-236/09). En conséquence, les praticiens du droit ont intérêt à tenir compte des dispositions de la Charte lorsqu’ils plaident une affaire ayant un lien avec le droit de l’UE. Cependant, le défi est double. Il conviendra en effet d’abord d’évaluer si conformément au champ d’application énoncé à l’article 51 (1) le recours aux dispositions de la Charte est admissible, avant d’analyser l’étendue du contenu substantiel du droit protégé par la Charte.

La série de séminaires « La Charte des droits fondamentaux dans la pratique » organisée par l’Académie de droit européen (ERA) offrira aux avocats une opportunité d’améliorer leurs connaissances et leur compréhension de la portée et de l’application de la Charte. Avec une approche pratique présentée sous la forme d’études de cas, d’ateliers et de présentations faites par des spécialistes européens et nationaux reconnus, la série aidera à rapprocher la Charte des praticiens et améliorera son applicabilité pratique. Le premier séminaire de la série aura lieu à Barcelone, en collaboration avec l’Illustre collège des avocats (Barreau de Barcelone). De plus amples informations sur ce séminaire et l’ensemble de la série sont disponibles sur le lien suivant : www.era.int/charter .

Rédaction du village