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La protection fonctionnelle serait due même en l’absence in fine de harcèlement moral ? Par Christelle Mazza, Avocat.
Parution : lundi 28 janvier 2013
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La saga de la Commune de Hoenheim n’a pas fini de fixer les principes jurisprudentiels de la protection fonctionnelle et du harcèlement moral.
Petite leçon de contentieux administratif.

Pour rappel, Mme Altemaire avait sollicité de sa commune la mise en œuvre de la protection fonctionnelle pour harcèlement moral.

Ayant perdu en première instance devant le tribunal administratif de Strasbourg, la requérante a saisi la Cour administrative d’appel de Nancy qui, dans un arrêt du 2 août 2007 (n° 06NC01324), avait reconnu la présomption de harcèlement moral et la faute de la commune de Hoenheim du fait du refus illégal de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle.

L’arrêt de principe du 12 mars 2010 du Conseil d’Etata confirmé cette solution : il est depuis admis que le harcèlement moral est l’un des cas pouvant ouvrir droit à la protection fonctionnelle de l’agent et notamment à la prise en charge de ses frais d’avocat par l’administration employeur.

La Commune de Hoenheim condamnée à payer la somme de 12 078,52 euros au titre des frais de procédure et de la mise en œuvre de la protection fonctionnelle, ne s’étant pas exécutée, Mme Altemaire a dû saisir la Cour administrative d’appel de Nancy une seconde fois en exécution de sa décision de 2007 pour recouvrer les montants dus sous astreinte (CAA Nancy, 20 mai 2009 et CAA Nancy 11 février 2010).

Dans cette première phase, Mme Altemaire a ainsi bénéficié d’une reconnaissance a priori de faits de harcèlement moral. Sur le terrain du recours pour excès de pouvoir (contestation d’une décision faisant grief), elle a attaqué le refus de mise en œuvre de la protection fonctionnelle et obtenu le remboursement de ses frais d’avocat.

Néanmoins, n’ayant pas lié le contentieux indemnitaire avant que le tribunal ne statue, Mme Altemaire a été privée de la réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral, même si les faits ont été reconnus.

Nota : tout agent souhaitant saisir le tribunal administratif d’une demande d’annulation d’un acte et obtenir la réparation du préjudice qui en a découlé doit obligatoirement former une demande préalable chiffrée qui va lier le contentieux devant le tribunal. Depuis une jurisprudence clémente de 2008, cette demande peut être formée alors même que le tribunal a été saisi mais elle doit intervenir au moins deux mois avant qu’il ne statue au fond (afin de faire naître une décision de refus tacite ou expresse susceptible d’être contestée devant le tribunal) et que l’administration requise n’ait conclu à une fin de non recevoir.

Cette exigence procédurale crée parfois de grandes déconvenues de sorte qu’une victoire devant le tribunal peut n’avoir qu’une solution de principe sans réparation pécuniaire.

Dans une seconde phase, Mme Altemaire avait saisi le juge pénal de son affaire en déposant plainte pour harcèlement moral. Le juge d’instruction a néanmoins conclu qu’il n’y avait pas harcèlement moral.

C’est dans ce contexte qu’a démarré la troisième phase de cette affaire.

Mme Altemaire a saisi le Tribunal administratif de Strasbourg d’un recours en responsabilité contre la Commune de Hoenheim afin d’obtenir réparation du préjudice subi des faits de harcèlement moral. Cette fois, elle n’a pas attaqué de décision faisant grief mais a poursuivi en responsabilité son employeur pour faits de harcèlement moral. Elle s’est notamment prévalue de la décision rendue par la Cour administrative d’appel de Nancy en 2007.

Nota : le recours en responsabilité dit de plein contentieux permet d’obtenir réparation d’un préjudice. Le requérant doit prouver que l’administration a commis une faute et doit établir un lien de causalité entre la faute et le préjudice qu’il a subi.

Le Tribunal administratif de Strasbourg a rendu sa décision le 6 mars 2012 (TA Strasbourg, 6 mars 2012, n°0801918 - AJFP 2012, p.332) et le contenu est fort d’enseignement.

Dans le cadre de la réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité du refus de la protection fonctionnelle, le Tribunal administratif estime que la requérante ne justifie pas d’un autre préjudice que les frais déjà remboursés de procédure mais fait droit à un montant de 500 euros au titre du préjudice moral.

Concernant la réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral, le Tribunal administratif de Strasbourg estime que :

Tout d’abord, il est vrai que le harcèlement moral d’un agent public est très difficile à faire reconnaître devant le juge pénal. En droit pénal, le délit doit être qualifié matériellement (réalité des faits) et intentionnellement (l’auteur du délit doit avoir exprimé dans ses actes l’intention de nuire à la victime). La preuve de l’intentionnalité est très difficile à rapporter. Cette qualification légale n’est pas exigée en droit public, pas plus qu’en droit du travail.

Cette précision jurisprudentielle est intéressante car un agent qui aura saisi la juridiction administrative et la juridiction pénale ne verra pas, en théorie, son recours devant le Tribunal administratif affaibli par un non lieu au pénal.

En revanche, le reste de la solution de ce jugement paraît relativement contradictoire tant en fait qu’en droit.

Ainsi, le Tribunal estime que quelle que soit la réalité des faits pour lesquels la protection fonctionnelle est demandée, elle doit être obligatoirement mise en œuvre à partir du moment où l’agent souhaite faire valoir ses droits.

Ce n’est pourtant pas ainsi que la cour administrative de Nancy a statué ni que la protection fonctionnelle était jusqu’alors envisagée.

D’un côté, l’application stricte de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 fondant la protection fonctionnelle comme une obligation statutaire impérative en cas de présomption d’attaque ou d’agression confère à ce texte une véritable protection a priori, quelle que soit l’issue de la procédure, c’est-à-dire que cette protection serait due y compris si finalement les faits n’étaient pas avérés.

Cette solution serait satisfaisante sur le principe pour l’agent, si elle n’entrait pas en contradiction avec l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy qui reconnaît expressément, dans la situation de Mme Altemaire, une situation de harcèlement moral comme fondant la demande initiale de protection fonctionnelle.

D’ailleurs, la démonstration traditionnelle du juge est dans un premier temps de vérifier si les faits de harcèlement moral sont avérés afin de pouvoir se prononcer sur la légalité du refus de la mise en œuvre de la protection fonctionnelle.

Ainsi, si les faits ne sont pas avérés, le refus de mise en œuvre de la protection fonctionnelle ne sera pas jugé illégal mais justifié et la requête sera rejetée.

En l’espèce, le Tribunal administratif a une nouvelle fois procédé à l’analyse des faits afin de statuer sur la réalité du préjudice subi par Mme Altemaire et sa réparation. Ne s’estimant pas lié par l’arrêt de la cour d’appel de Nancy, il rejette la requête.

Comme il n’a pas reconnu le harcèlement moral, il devait en conséquence admettre que la protection fonctionnelle était due, alors même qu’il n’y avait pas harcèlement, sinon la solution aurait été prise en contradiction totale avec l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy.

Nous ignorons si Mme Altemaire a interjeté appel de cette décision mais si c’est le cas, la décision de la cour administrative d’appel de Nancy offrira de nouvelles réponses intéressantes sur la mise en œuvre de la protection fonctionnelle pour harcèlement moral.

Peut-être que le contexte politique local aura commandé une décision d’espèce. Peut-être est-ce là l’illustration des résistances de juges du fond face aux décisions des juridictions supérieures, l’histoire ne le dit pas mais le contentieux n’est pas terminé.

Christelle Mazza Avocat au Barreau de Paris www.laculturedudroit.com
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