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L’essentiel de l’innovation européenne sera protégée par la Juridiction Unifiée créée avec le brevet unitaire Par Philippe Schmitt, Avocat.
Parution : mercredi 6 février 2013
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L’euphorie passée de décembre 2012, la création du brevet unitaire suscite des interrogations. La Juridiction Unifiée bien que placée à la marge du contrôle de la Cour de Justice, aura la charge de la protection de l’essentiel de l’innovation européenne à l’horizon 2012 sans que ces accords de 2012 aient édicté le droit matériel de la contrefaçon qui, le plus souvent, sera celui fixé par la loi allemande mais pour l’appliquer sur l’ensemble des 25 Etats.

En décembre dernier, les différents accords gouvernementaux et le vote du Parlement européen [1] ont été salués comme un pas important pour faciliter la situation en Europe des brevetés essentiellement pas la diminution des taxes de délivrance. Passé le temps des louanges, des interrogations essentielles se font jour. On sait que le brevet unitaire est le résultat d’un accord finalement trouvé entre 25 États membres à la suite de l’échec du brevet communautaire qui lui avait vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne.

A quelques mois de l’entrée en vigueur du brevet unitaire prévue pour le 1er janvier 2014 [2] , c’est la situation atypique de la Juridiction Unifiée créée à l’occasion du brevet unitaire et la loi applicable pour l’appréciation de la contrefaçon du brevet unitaire qui suscitent des interrogations.

1°) La juridiction Unifiée : une organisation juridictionnelle atypique au sein de la construction européenne

Pour le contentieux du brevet unitaire est créée une juridiction spécifique la Juridiction Unifiée. Elle est organisée en deux niveaux juridictionnels « verticaux » : une première instance décentralisée et une instance d’appel.

1-1) Le « tribunal de première instance » : une première instance décentralisée et fragmentée « horizontalement » :

Le « tribunal de première instance » est scindé en une division centrale avec des divisions locales ou régionales.
• Une division centrale : son siège sera à Paris mais elle sera éclatée entre trois lieux ; Paris, Munich et Londres.
• Des divisions locales et régionales. Des mécanismes sont déjà prévus pour la possibilité d’adjoindre de nouvelles divisions locales :

Dans un État membre contractant et à la demande de celui-ci, si, pendant trois années consécutives avant ou après la date d’entrée en vigueur de l’Accord, plus de 100 procédures par an concernant des brevets ont été introduites dans ledit État membre contractant. Mais un État membre contractant ne peut pas compter plus de quatre divisions.

Une division régionale est créée à la demande de deux ou de plusieurs États contractants.

1-2) Une instance d’appel : la « cour d’appel » située au Luxembourg.

Une instance d’appel est prévue. Néanmoins, des doutes subsistent sur la nature réelle de cette juridiction, s’agira-t-il d’un véritable appel ou d’un contentieux en recours contre la décision du « tribunal de première instance » ?

Si la Cour de Justice pourra être saisie de questions préjudicielles et du contentieux en responsabilité contre les États pour les dysfonctionnements de la Juridiction Unifiée, la Juridiction Unifiée se place manifestement à la marge du système juridictionnel communautaire. Principale conséquence pour les praticiens, les règles de procédure applicables devant la Juridiction unifiée ne sont pas encore connues et elles ne seront pas soumises au contrôle de la Cour de Justice.

Quelle autonomie pour cette Juridiction Unifiée par rapport aux instances politiques nationales ?
Cette question peut surprendre, pourquoi évoquer le rôle des États quand il s’agit d’un titre, le brevet unitaire, présenté comme la manifestation d’une intégration communautaire. Sans entrer dans le débat sur la nature communautaire ou non du brevet unitaire dont l’intérêt sera pourtant essentiel quand il s’agira d’examiner la constitutionnalité de son élaboration, ce qui surprend c’est comment cette juridiction pourtant appelée la Juridiction Unifiée a été scindée lors du Conseil Européen du 20 juin 2012 qui a réparti les attributions de la division centrale entre trois villes selon les domaines techniques en cause [3] .

Y aurait-il eu un sursaut de méfiance de la part des États face à cette juridiction ? Il est vrai que l’enjeu de la Juridiction Unifiée est de taille : la protection de l’essentiel de l’innovation européenne.

2°) A l’horizon 2020, la Juridiction Unifiée aura la charge de la protection de l’innovation en Europe mais avec 25 régimes différents dont l’application dépendra du siège du demandeur.

En décembre 2012, le regard des commentateurs s’est porté essentiellement sur le brevet unitaire. Or, la Juridiction Unifiée aura à connaître après une période de sept ans l’ensemble du contentieux des brevets européens. Il faut rappeler en effet, que le brevet unitaire sera issu d’une demande de brevet européen déposée devant l’OEB et délivrée par cet office et ce, pour accorder une même protection pour l’ensemble des 25 États quand ceux-ci auront ratifié l’accord de décembre 2012. A l’horizon 2020, c’est l’essentiel de l’innovation européenne qui devra sa protection à la Juridiction unifiée.

Quelle sera la loi applicable à la contrefaçon du brevet unitaire ? Les accords de décembre n’édictent pas un droit autonome et communautaire de la contrefaçon du brevet unitaire.

La contrefaçon du brevet unitaire sera soumise aux règles qu’une loi nationale applique à son brevet national et auquel le brevet unitaire sera assimilé.

La détermination de cette loi nationale dépendra essentiellement du domicile ou du principal établissement du demandeur au jour du dépôt de la demande du brevet européen. L’article 7 du règlement sur la coopération renforcée prévoit également la situation en cas de plusieurs codemandeurs.

Pour le déposant non-européen qui n’a pas d’établissement en Europe, l’assimilation du brevet unitaire se fera au regard de la loi de l’Etat où l’Organisation Européenne des Brevets a son siège, c’est-à-dire la loi allemande.

En pratique, l’industriel qui devra évaluer le risque de la contrefaçon en France au regard des différents brevets unitaires, devra mener son analyse au regard de chacune des lois nationales auxquelles les brevets unitaires qu’il a relevé, sont assimilés. Avec le plus souvent pour les brevets unitaires détenus par les américains, les chinois et les sud-coréens, conduire cette analyse du risque de la contrefaçon au sens de la loi allemande.

Philippe Schmitt Avocat www.schmitt-avocats.fr https://www.linkedin.com/in/avocatmarquebrevetmodele/

[1Le 11 décembre 2012, le Parlement a adopté trois résolutions, la création du brevet unitaire, les modalités de traduction et le système juridictionnel

[2Ou après la ratification dans treize États dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France

[3Munich (mécanique, classification F) Londres (chimie, y compris les produits pharmaceutiques, classification C, nécessités courantes de la vie, classification A) et Paris pour les autres domaines