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Quand le droit social s’invite en prison... Par Thierry Vallat, Avocat.
Parution : vendredi 8 février 2013
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C’est un véritable séisme juridique dans le milieu carcéral.
Le Conseil des prud’hommes de Paris vient en effet d’innover dans sa décision "Moureau" du 8 février 2013 en décidant que les détenus employés derrière les barreaux pouvaient, eux-aussi, bénéficier des règles du droit du travail qui leurs étaient jusqu’alors refusées.

Rappelons que l’article 717-3 du Code de procédure pénale a normalement vocation à s’appliquer pour la population carcérale, laquelle se trouvait donc exclue des règles de droit social, les relations de travail des personnes incarcérées étant considérées comme ne faisant pas "l’objet d’un contrat de travail".

Les conditions de travail sont précisées par la loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009 qui dispose dans son article 32 que "la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance défini à l’article L. 3231-2 du Code du travail, ce taux pouvant varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées. "

L’article 33 de ladite loi précise pour sa part que la participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l’établissement d’un acte d’engagement par l’administration pénitentiaire. Cet acte, signé par le chef d’établissement et la personne détenue, énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération. Il précise notamment les modalités selon lesquelles la personne détenue, dans les conditions adaptées à sa situation et nonobstant l’absence de contrat de travail, bénéficie des dispositions relatives à l’insertion par l’activité économique prévues aux articles L. 5132-1 à L. 5132-17 du Code du travail.

C’est donc bien un acte d’engagement, et non un contrat de travail, qui est régularisé entre le directeur de la prison et le détenu, sans que la rémunération de ce dernier ne puisse être inférieure à un taux horaire fixé par décret selon un pourcentage du smic.

Or, la réalité est souvent toute autre et il apparaît que la rémunération minimum réellement appliquée est systématiquement bien inférieure, à peine plus de 2 €/h seulement dans le cas de Mlle Moureau, les conditions de travail ne correspondant en outre que très partiellement aux standards requis dans une entreprise classique.

Dans l’affaire qui fut donc soumise à la sagacité des conseillers prud’homaux parisiens, une détenue condamnée à huit année de prison, et purgeant sa peine à la Maison d’arrêt de Versailles, avait été employée comme téléopératrice par une entreprise MKT Sociétal qui l’avait finalement "déclassée" pour avoir passé des coups de fil personnels pendant ses horaires de travail.

Il était donc réclamé par la détenue qu’elle puisse être considérée comme salariée, avec rappel de salaires correspondants, et que son déclassement soit reconnu comme licenciement abusif.

Elle obtient gain de cause par cette décision du 8 février 2013 qui qualifie l’entreprise MTK Sociétal comme "employeur dans des conditions particulières" On attend donc désormais avec intérêt l’analyse de la Cour d’appel qui sera vraisemblablement saisie de ce dossier brûlant !

Thierry Vallat, Avocat www.thierryvallatavocat.com