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Arrêt Binder / Licra : Responsabilité pénale, diffamation et notion de promptitude. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : mardi 12 février 2013
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La question de la responsabilité pénale en cas de messages diffamatoires et injurieux sur Internet a fait l’objet ces derniers temps de nombreuses décisions judiciaires. Après la difficile question de la détermination du responsable pénal (auteur, directeur ou producteur de la publication) en présence de messages illicites sur Internet, l’attention semble désormais se porter sur celle de l’appréciation de la notion de « promptitude » contenue à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. (C. Cass Chambre criminelle - 30 octobre 2012 Patrick Binder c/ Licra)

Un nouvel exemple en est donné par la décision de la Chambre criminelle en date du 30 octobre 2012 (n°11-88.562 Patrick Binder c/ Licra). En l’espèce, le directeur d’un blog d’informations politiques (responsable du Front national en Alsace) est poursuivi devant les juges correctionnels pour provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine à raison de l’origine ou de la race, à la diffamation publique et injures publiques à l’égard d’un particulier.

Il lui était reproché d’avoir les 8 et 10 avril 2010 laissé publier sur son blog, les commentaires d’internautes comprenant d’une part la phrase « il est ashkénaze et a la double nationalité, ce juif rose  » à propos d’un élu socialiste de Mulhouse et d’autre part, un message désignant la CGT comme « un syndicat inutile », « financé par les personnes exclues de la société française » et « bénéficiant d’enveloppes occultes ».

Sur la base des articles 23, 29 et 32 alinéa 1er de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 ainsi que sur l’article 93-3 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1982 « communication audiovisuelle », les juges du fond ont condamné Monsieur Patrick Binder à 3 ans de prison avec sursis, à 5000 euros d’amende et au paiement d’intérêts civils (CA de Colmar 16 novembre 2011).

Selon eux les infractions reprochées étaient caractérisées et notamment celles de provocation à la discrimination à la haine à raison de l’origine et de la race ainsi que de diffamation et injures publiques. Ils ont en effet retenu que le prévenu n’a pas agi promptement pour retirer ce message dès le moment où il en a eu connaissance. Les juges retiennent concernant le 1er message : « qu’en agissant ainsi en juillet 2010, alors qu’il avait connaissance du contenu du commentaire litigieux depuis avril 2010, il est démontré que le prévenu n’a pas réalisé cette opération promptement  » ; et pour le 2e message « qu’en éliminant le commentaire litigieux de son blog un mois seulement après avoir eu connaissance de son contenu le prévenu n’a pas agi promptement comme les dispositions de l’article 95-3, alinéa 5, l’imposent ».

Dans le pourvoi formé par le prévenu il était notamment demandé à la Chambre criminelle de donner une interprétation de l’expression « agir promptement », prévue à l’article 93-3 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1982.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en jugeant que « par des considérations de fait relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour d’appel a justifié sa décision », dès lors précise-t-elle « qu’en application de ce texte, lorsque l’infraction résulte du contenu d’un message adressé par un internaute à un service de communication en ligne, et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur de publication peut voir sa responsabilité engagée s’il est établi qu’il n’a pas agi promptement pour retirer ce message dès le moment où il en a eu connaissance  ».

Ce faisant la Cour indique que l’obligation « d’agir promptement » imposée au directeur de publication d’un blog, relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. La difficulté de donner une définition de la notion « promptement » valable pour tous les cas ainsi que la particularité du média Internet peuvent expliquer cette solution.

Le contexte juridique de la décision

Le contentieux de la communication au public par voie électronique relève de la loi du 29 juillet 1982 sur « la communication audiovisuelle ». L’article 93-3 de cette loi porte sur la responsabilité pénale de l’auteur, du directeur ou producteur de la publication à la suite d’une infraction sur la presse commise par un moyen de communication électronique au public. Cet article a été modifié par les lois du 21 juin 2004 (loi LCEN) et 12 juin 2009 (loi Hadopi).

Le nouvel article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 est enrichi désormais d’un alinéa 5 qui vient atténuer la responsabilité du directeur de publication en cas de message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et dans le cadre d’un espace de contributions personnelles. Désormais, le directeur de publication n’est plus responsable du message illicite s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou qu’il a agi promptement pour le supprimer dès qu’il en a eu connaissance.

Mais la conséquence immédiate de ce nouvel article et de l’atténuation de la responsabilité du directeur qui en découle est que désormais, c’est le producteur de la publication qui est présumé pénalement responsable en cas de message à contenu illicite, même s’il n’en avait pas connaissance avant sa mise en ligne. En effet, le directeur bénéficie d’une responsabilité atténuée et l’internaute peut rester anonyme.

Or, cette forme de responsabilité pénale objective s’accommode mal des principes posés aux articles 6 et 8 notamment de la Déclaration de 1789 (principe d’égalité devant la loi pénale). C’est pour cette raison que par suite d’une QPC posée par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a, tout en en ayant constaté la constitutionnalité, émis dans sa décision du 16 septembre 2011 une réserve d’interprétation à propos de l’alinéa 5 de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 : « les dispositions contestées ne sauraient, sans instaurer une présomption irréfragable de responsabilité pénale qui serait inconstitutionnelle, être interprétées de manière à engager la responsabilité pénale du producteur à raison du seul contenu d’un message illicite dont il n’avait pas connaissance avant sa mise en ligne ».

La Chambre criminelle a mis en application cette jurisprudence constitutionnelle à l’occasion d’une autre décision rendue le même jour que l’arrêt commenté et relative à une infraction de diffamation publique à l’égard d’un député-maire. Elle a en l’occurrence censuré la Cour d’appel qui avait retenu la responsabilité du producteur du blog « sans rechercher si, en sa qualité de producteur, M. X. avait eu connaissance, préalablement à sa mise en ligne, du contenu du message litigieux ou que, dans le cas contraire, il s’était abstenu d’agir avec promptitude pour le retirer dès qu’il en avait eu connaissance  » (Crim., 30 octobre 2012 n°10-88.825).

Désormais, les régimes de responsabilité pénale du producteur et du directeur de publication sont uniformisés lorsque des messages illicites sur Internet sont publiés dans des espaces de contributions personnelles du public.
La Cour de cassation exerce un contrôle sur cet alignement de la responsabilité du producteur sur celle du directeur de publication. Ce n’est pas le cas de la notion de « promptitude » dont elle semble abandonner le contrôle aux juridictions du fond.

Analyse de l’arrêt : la promptitude, une question de fait

L’arrêt de la Chambre criminelle du 30 octobre 2012 intéresse plus particulièrement la notion de promptitude qui figure au 5e alinéa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982. Selon cet article, " lorsqu’un message illicite est adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne dans un espace de contributions personnelles, le directeur ou le codirecteur de publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ".

Le législateur s’est inspiré du statut de l’hébergeur prévu par la loi du 21 juin 2004 pour la rédaction de l’article 93-3 alinéa 5. Dans les deux cas en effet, l’hébergeur d’un site Internet et le directeur d’une publication peuvent être exonérés de leur responsabilité s’ils n’avaient pas connaissance de l’activité illicite ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour retirer les informations ou en rendre l’accès indisponible.

La Chambre criminelle approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que le directeur du blog n’avait pas agi promptement pour retirer les messages délictueux des internautes. Dans la première situation, celle concernant le message diffamatoire à l’encontre de l’élu, la cour d’appel avait déduit des circonstances de fait que le directeur du blog avait nécessairement pris connaissance des messages illicites (déposés sur le blog les 8 et 10 avril) dans le courant du mois d’avril et qu’il n’avait procédé à leur retrait du blog qu’au mois de juillet, ce qui permettait de conclure qu’il n’avait pas agi promptement.

Le prévenu avait fait valoir dans l’un des moyens développés au pourvoi que la Cour d’appel n’apportait aucune preuve suffisante démontrant qu’il avait eu connaissance des messages au cours du mois d’avril. La Cour d’appel s’était en effet appuyée sur les propres déclarations du prévenu selon lesquelles il effectuait une fois par semaine le contrôle des messages du blog hors période électorale et deux à trois contrôles par mois durant la période électorale. Or il s’avère que les élections régionales auxquelles le prévenu a participé se sont terminées le 21 mars. La Cour d’appel en déduit donc qu’il a nécessairement pris connaissance des commentaires litigieux courant avril, c’est-à-dire durant une période où il effectuait le contrôle des messages du blog une fois par semaine.
La Chambre criminelle a considéré que la Cour d’appel a statué « sans insuffisance ni contradiction, par des considérations de fait relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond  ». Ce faisant, la Cour de cassation entend laisser aux juges du fond un large pouvoir d’appréciation pour relever les éléments pertinents afin de motiver leur décision. Son contrôle se limite, conformément à sa mission régulatrice, au contrôle de la motivation par les juges du fond de leur décision et au contrôle du droit relatif à la constatation des faits (respect des règles de preuve notamment).

Plus intéressant est la 2e situation relative à la diffamation à l’égard de la CGT. La Cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, considère que le retrait du message litigieux par le directeur du blog un mois seulement après qu’il en ait eu connaissance, ne satisfait pas à l’exigence de promptitude prévue à l’article 93-3 alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1982.

Ainsi, l’apport essentiel de l’arrêt tient à ce qu’il appartient aux juges du fond de déterminer au cas par cas ce qui relève ou pas de la définition de promptitude. En l’espèce, le directeur du blog qui avait pour habitude de contrôler une fois par semaine le contenu de son blog, ne peut pas prétendre avoir agi avec promptitude en ne retirant le commentaire diffamatoire qu’un mois seulement après en avoir eu connaissance.

A titre de comparaison avec le statut d’hébergeur, Le TGI de paris a pu juger que le délai de quatre jours pour procéder au retrait des informations ne correspondait pas à la définition de « promptement » (TGI Paris, 3e ch., 4 e sect, 13 sept.2012, Sté TF1 et a. c/ Sté Dailymotion). Tandis que dans une autre affaire le TGI avait retenu que le délai de cinq jours pour agir en retrait des informations répondait à l’exigence de promptitude (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 29 mai 2912, TF1 et a. c/ YouTube).

La caractérisation de la promptitude variera donc en fonction des circonstances en cause, ce qui est préférable en matière répressive, dans la mesure où plus que tout autre domaine, la considération des faits constitue un impératif au regard de la protection des droits fondamentaux.

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