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Nouveaux outils pour l’évaluation des salariés : évaluer quoi ? Par Nadine Regnier Rouet, Avocat.
Parution : lundi 25 février 2013
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Les 12 et 13 février 2013 s’est tenu à Paris le salon professionnel "Talent Management" destiné aux professionnels des ressources humaines. Il faisait le point des méthodes les plus pointues d’évaluation des salariés, depuis la phase de recrutement jusqu’à la phase de sélection en vue d’une évolution, formation, promotion, voire... d’une éviction.

Repères juridiques sur l’évaluation des salariés :

Selon l’Article L. 1222-3 du Code du travail :
« Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels.
Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie
 ».

Au plan de la procédure de mise en place d’un système d’évaluation  :

-  Le comité d’entreprise doit être préalablement informé et consulté (art. L. 2323-32 du Code du travail) ;

-  Le CHSCT doit être consulté dès lors que la procédure d’évaluation est manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail (art. L.4612-8 du Code du travail) ;

-  La CNIL impose que le système d’évaluation lui soit déclaré dès lors qu’il est informatisé.

Quoi de neuf au Salon Talent Management 2013 ?

Plusieurs constats après avoir assisté à plusieurs conférences sur les nouveaux outils sophistiqués, en ligne, destinés à évaluer candidats et salariés :

(1) L’évaluation est devenue incontournable  : évaluation pour le recrutement, évaluation pendant la phase d’emploi du salarié, évaluation pour procéder à des réductions d’effectif.

(2) Les entreprises ont besoin d’aller de plus en plus vite pour évaluer les salariés : elles se dotent d’outils rationalisant le process. C’est un marché en plein essor. De nombreux logiciels existent, de nombreuses techniques différentes sont disponibles.

(3) Les outils doivent être fiables : tant par rapport aux salariés évalués que par rapport au « client » principal des services RH, c’est-à-dire la Direction de l’entreprise. Les RH doivent être désormais quantitatives et crédibles.

Un exemple donné lors d’une conférence : « De bonnes évaluations permettent de savoir exactement ce que l’on a en « boutique » et de « faire le tri » dans un contexte de restructuration ».

(4) Evaluer les salariés déjà en poste, cela recouvre quoi en 2013 ?

L’audit détecte les compétences et les potentiels, le comportement et la personnalité des collaborateurs. Il est ainsi proposé des questionnaires ou jeux (en ligne), voire des mises en situation, pour dresser le portrait robot de la personnalité du salarié.

Mais on évalue aussi la motivation du salarié, par des questionnaires.

Et n’allez pas croire que cela ne concerne que les cadres ! L’un des orateurs précise avoir pour clients : des clubs de football, des entreprises de la grande distribution, les usines Toyota pour les salariés de leurs chaînes de montage, voire même… les évêques anglicans. Après tout, « the right man in the right place », cela concerne tout le monde.

(5) L’évaluation est aussi une question de coûts (mais pas que…). Voyez, par exemple, le questionnaire de jugement situationnel (un scenario plus vrai que nature avec une batterie d’emails auxquels le candidat doit répondre comme dans la vraie vie). « Il donne un aperçu réaliste du poste et permet d’écarter 40 % des candidats, ceux qui sont moins en phase avec l’entreprise sur la culture et les valeurs ».

Culture ? Valeurs ? Nous sommes bien au-delà de l’évaluation des seules compétences...

Et c’est ce qui suscite déjà, au sein des entreprises, un contentieux qui monte en puissance : la contestation des systèmes d’évaluation par les IRP (institutions représentatives du personnel).

Affrontements autour de l’évaluation au sein de grands groupes  :

Ce phénomène est récent mais il se répand. La raison : l’évaluation du comportement du salarié ou de son respect des « valeurs » de l’entreprise

Ce furent successivement (et notamment) :

-  le groupe Wolters Kluwer France, éditeur des Liaisons Sociales, Lamy, etc…) et ses six valeurs, dont « l’intégrité », « l’innovation » et « la création de valeurs » (TGI de Nanterre, 5 décembre 2008) : «  la multiplication de critères comportementaux détachés de toute effectivité du travail accompli implique la multiplication de performances à atteindre qui ne sont pas dénuées d’équivoque et peuvent placer les salariés dans une insécurité préjudiciable. »

-  le groupe Airbus, pour la mise en place d’un système d’évaluation destiné à 5.000 cadres en France, comportant des critères d’évaluation comportementale tels que « agir avec courage » et « bâtir, comprendre, partager la vision à long terme de manière sensée » (CA Toulouse, 21 septembre 2011, n°11/0604) : la Cour d’Appel a jugé que les critères comportementaux sont licites pour évaluer les salariés à condition qu’ils soient « exclusivement professionnels et suffisamment précis pour permettre au salarié de les intégrer dans une activité concrète et à l’évaluateur de l’apprécier avec la plus grande objectivité possible. »

-  le groupe SANOFI (TGI de Paris, 6 mars 2012, RG 11/15323) : pour son nouveau dispositif d’évaluation des cadres éligibles à la rémunération variable, appelé « Reconnaissance et évaluation de la performance », dans les entreprises Sanofi Aventis France, Sanofi Winthrop Industrie, Sanofi Pasteur, Sanofi Aventis Recherche et Développement, Sanofi Chimie et Sanofi Aventis Groupe. Dans les valeurs comportementales attendues figure notamment « penser de façon stratégique », valeur qui a été rejetée par le TGI parce que « en ce qu’elle requiert [du collaborateur] une vision large et à long terme, [elle] est imprécise et sujette à une appréciation subjective de la part de l’évaluateur. »

Comme l’indiquent ces décisions, le juge traque les critères flous ou empreints de subjectivité, ce qui est parfaitement logique puisque les systèmes d’évaluation conditionnent la rémunération, la promotion ou la formation professionnelle des salariés. Ils doivent donc être totalement objectifs et garantir une égalité de tous devant l’évaluation.

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit du travail Site internet : www.n2r-avocats.com Email : [->contact@n2r-avocats.com]