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L’arrêt « Caudalie » ou la discrimination pour raison de grossesse. Par Valérie Duez-Ruff, Avocat.
Parution : mardi 26 février 2013
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Depuis quelques années, plusieurs affaires retentissantes de discriminations pour raison de grossesse sont relayées par les médias, à l’instar de celle ayant opposé une salariée à la banque BNP Paribas le 5 mai 2010.

La dernière en date vise une société s’adressant presque exclusivement à un public féminin puisqu’il s’agit de l’entreprise de produits de beauté CAUDALIE.

L’arrêt rendu ces derniers jours par la Cour d’Appel de Paris est l’occasion de revenir sur l’interdiction de discrimination pour raison de grossesse.

L’arrêt :
La salariée a été engagée le 6 septembre 2005 par la société CAUDALIE, en qualité de chef de produit junior à l’international puis un an après promue au poste de responsable export.

Alors qu’elle exerçait ses fonctions au même poste depuis un an et demi, elle partait en congé maternité pour la durée légale, augmentée d’onze jours de congés payés.

Cependant, la veille de son retour de congé maternité, l’employeur adressait à sa salariée un courrier électronique par lequel il modifiait les fonctions qui lui étaient confiées, la faisant passer de seize personnes sous sa responsabilité avant son congé maternité à plus aucune à son retour et d’un chiffre d’affaires à sa charge de 5.500.000 euros avant à 250.000 euros ensuite.

La salariée ayant immédiatement contesté cette situation, la société lui adressait un avertissement, bientôt suivi d’un deuxième puis d’une mise à pied avant de la licencier pour faute grave le 28 janvier 2009 basée sur son « refus d’exercer les missions relevant de ses attributions qui lui avaient été confiées, son défi quotidien de l’autorité et ses propos dénigrants et mensongers ayant fortement dégradé l’ambiance de travail  ».

Elle avait alors saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris lequel, par décision du 25 février 2011, avait jugé le licenciement nul et de ce fait, condamné la société CAUDALIE à verser à sa salariée des indemnités dont la somme de 30.000 euros en raison de la nullité du licenciement et de 40.000 euros en réparation du préjudice moral subi par elle.

Le Conseil de Prud’hommes fondait sa décision sur le fait que l’employeur avait défini, de façon unilatérale, des fonctions très différentes à celles fixées initialement à la salariée, sans justifier des raisons à l’origine de cette diminution du champ d’intervention et qu’il s’en était suivi une dégradation très rapide de la relation de travail, en relation directe avec la discrimination invoquée.

Pour le Conseil, l’éviction de la salariée avait été préparée par l’employeur durant la période de protection légale.

En effet, ainsi qu’elle l’exposait à la Cour, la salariée considérait avoir
« connu une progression rapide dans la société et que les importantes responsabilités qui lui avaient été confiées malgré son jeune âge attestent de la confiance que lui faisait son employeur ; que toutefois durant son congé de maternité, et bien qu’elle soit toujours restée en contact avec ses équipes, elle a compris qu’elle ne retrouverait pas son poste, son employeur lui ayant fait savoir lors d’un entretien informel qu’il considérait qu’elle l’avait trahi ; qu’elle a en effet constaté à son retour que son poste avait été vidé de toute sa substance, et qu’elle n’était plus chargée que de missions de prospection.
(…)

Elle fait valoir que le harcèlement discriminatoire dont elle a fait l’objet à son retour de congé, et notamment la multiplication des avertissements et sanctions disciplinaires, le refus de ses congés durant la période de fin d’année, les déplacements injustifiés qui lui étaient imposés, s’ajoutant au caractère brutal et vexatoire de son licenciement pour faute grave, lui ont causé un préjudice distinct de celui résultant de la rupture de son contrat de travail, et ont entraîné une dégradation importante de son état de santé ».

La société CAUDALIE quant à elle arguait de l’impossibilité de discrimination pour une entreprise dont le personnel est à 90% féminin et fournissait au soutien de cette affirmation des attestations de salariées ayant bénéficié d’un congé maternité au sein de la société.

Le Défenseur des Droits (anciennement la HALDE) était également partie à l’instance en soutien de la salariée.

Par un arrêt du 7 février 2013, la 5ème chambre de la Cour d’Appel de Paris considérait que « l’ensemble des reproches formulés par l’employeur à la salariée, tant à l’occasion des deux sanctions disciplinaires qu’il a prises qu’à l’occasion de son licenciement, sont la conséquence du refus légitime de (la salariée) d’accepter la modification de ses fonctions qui lui a été imposée de manière discriminatoire par son em ployeur  » et qu’en conséquence, le licenciement prononcé à son encontre était nul.

En réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat de travail, la Cour d’Appel confirmait la condamnation de la société CAUDALIE à hauteur de 30.000 euros, ainsi que la somme de 40.000 euros pour le préjudice moral.

(Références : Cour d’Appel de Paris, Pôle 6, Chambre 5, 5 février 2013, n°S 11/03537)


Ce qu’il faut retenir :

Rappelons en premier lieu, et ce ne sera pas superflu, que la loi garantit aux salariées une protection en cas de maternité ou d’adoption afin de les protéger contre les risques de discrimination.

Ainsi, il est interdit à l’employeur de résilier le contrat de travail d’une salariée pendant :
-  la période d’état de grossesse médicalement constatée jusqu’à la date de suspension du contrat de travail ;
-  la période de suspension à laquelle la salariée a droit avant et après l’accouchement ou en cas d’adoption, peu important que l’intéressée n’use pas de son droit à suspension ;
-  4 semaines suivant l’expiration de la période de suspension.

Une nuance néanmoins, cette protection ne s’applique pas pendant la période d’essai (Cass. Soc., 21 décembre 2006, n°05-44.806) et ne fait pas obstacle à l’échéance du contrat à durée déterminée.

Toutefois, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle que la période de protection ne court pas seulement à compter de la déclaration formelle de la grossesse mais à partir du début de celle-ci.

Ainsi, elle sanctionne le licenciement d’une travailleuse qui se trouve à un stade avancé d’un traitement de fécondation in vitro, à savoir entre la ponction folliculaire et le transfert immédiat des ovules fécondés dans l’utérus de cette travailleuse, pour autant qu’il est démontré que ce licenciement est fondé essentiellement sur le fait que l’intéressée a subi un tel traitement. (CJCE, 26 février 2008, Mayr)

De façon plus large, l’article L1132-1 du Code du travail interdit toute discrimination en raison de la situation de famille ou de la grossesse :
« Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, (...), notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (…) de sa situation de famille ou de sa grossesse, (...)  ».

Cependant, pour activer la protection, la salariée doit impérativement en informer son employeur, par voie écrite pour conserver une trace.

Si elle s’est contentée d’une annonce orale et que la réaction de l’employeur est de lui notifier son licenciement, la salariée peut encore activer la protection légale.

En effet, suivant les dispositions de l’article L1225-5 du Code du travail :
«  Le licenciement d’une salariée est annulé lorsque, dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, l’intéressée envoie à son employeur (...) un certificat médical justifiant qu’elle est enceinte »
La protection agit alors rétroactivement. (Cass. Soc, 8 juin 2011, n°10-17.022)

Un licenciement impossible, sous réserve

Malgré la protection légale accordée à la salariée en état de grossesse ou de maternité, la loi autorise, de façon exceptionnelle, l’employeur à licencier la salariée à la condition de pouvoir justifier d’une faute grave de l’intéressée, non liée à la grossesse ou à l’adoption, ou de l’impossibilité dans laquelle il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, à l’accouchement ou à l’adoption, de maintenir le contrat et de le justifier par écrit. (CJCE, 4 octobre 2001, Maria-Luisa Jimenez Melgar)

Mais, même dans ce cas, le licenciement ne peut prendre effet ou être signifié pendant la période de suspension du contrat.

En revanche, la salariée en état de grossesse médicalement constaté peut rompre son contrat de travail sans préavis et sans devoir d’indemnité de rupture.

Qui va à la chasse doit retrouver sa place

Le droit pour la salariée à retrouver son emploi à son retour de congé maternité est prévu tant par les dispositions nationales qu’européennes.
Ainsi, l’article L1225-25 du code du travail dispose que : « à l’issue du congé maternité, le salarié retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d’une rémunération au moins équivalentes  ».
Droit également reconnu par l’article 15 de la directive 2006/54 de l’Union Européenne.
Si tel n’est pas le cas, la salariée pourra alors invoquer l’existence d’une situation discriminatoire.

Quelques irréductibles discriminations

Bien que l’information sur la protection accordée aux futures et jeunes mamans soit connue des employeurs, certains irréductibles peuvent être tentés de la contourner pour se débarrasser de l’élément inopportun.

Nous avons tous à l’esprit des discriminations flagrantes, telles l’exemple de la salariée de chez CAUDALIE.

Or, les mesures discriminatoires ne se manifestent pas seulement par une rupture des relations contractuelles mais peuvent être plus insidieuses.

A l’instar d’un employeur qui a refusé, sans raisons objectives, d’accorder à la salariée la promotion envisagée avant son départ en congé maternité en raison de la survenance de ce congé. (Cass. Soc., 16 décembre 2008, n°06-45.262)

Ou, comme c’était le cas dans l’affaire précitée, d’agissements pendant la période de protection préparant le licenciement pour « dégainer » la sanction une fois le délai expiré, ce qui est pourtant formellement prohibé. (Cass. soc. 15 octobre 2010, n°08-43.299)

Ré agir

Les mesures discriminatoires en raison de grossesse ou de maternité sont particulièrement dures à vivre car elles interviennent à un moment où la victime est très fragilisée.

Il ne faut donc pas rester isolée mais au contraire chercher de l’aide auprès de relais compétents afin d’avoir le courage de mettre fin à la situation de discrimination vécue.

D’autant que, là-encore, le législateur a prévu un régime favorable à la victime puisque toute personne qui s’estime victime d’une discrimination doit présenter devant la juridiction saisie des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. (Art. L 1134-1 du Code du travail).

Et que, si un doute subsiste, il profite à la salariée lésée. (article L1235-1 du Code du travail)

A charge pour la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, ce qui s’avère en pratique très difficile à mettre en œuvre pour l’employeur.

En outre, le législateur a voulu protéger la victime et les témoins des actes de discriminations en prévoyant que : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés. » (article L1132-3 du Code du travail)
Ainsi doublement protégée, la victime peut plus facilement invoquer le respect de ses droits et/ou solliciter la réparation de leur non-respect.

En effet, c’est alors que le rôle non plus protecteur mais aussi sanctionnateur du législateur apparaît grâce à l’article L1132-4 du Code du travail qui énonce que : « Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié (basé sur une discrimination) est nul ».

Ainsi, lorsque la mesure discriminatoire prend la forme d’un licenciement, l’annulation de celui-ci doit aboutir à la réintégration de la victime dans son emploi (Cass. soc., 26 mai 2004 : JurisData n° 2004-023821 ; Bull. civ. 2004, V, n° 139).

Toutefois, si le licenciement est discriminatoire et que le salarié ne souhaite pas être réintégré dans l’entreprise, il peut solliciter, quelle que soit son ancienneté ou la taille de l’entreprise, des indemnités de rupture ainsi qu’une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement ; au moins égale à six mois de salaires (Cass. soc., 21 sept. 2005 : JurisData n° 2005-029795 ; Bull. civ. 2005, V, n° 262. – Cass. soc., 21 nov. 2007 : JurisData n° 2007-041491 ; Bull. civ. 2007, V, n° 196).

Le droit à une vie de famille et à un meilleur équilibre avec la vie professionnelle est devenu un véritable enjeu pour les différents acteurs de la société.

Si certains abus existent encore, le législateur et les juges veillent.

Valérie DUEZ-RUFF Avocat aux Barreaux de Paris et de Madrid http://www.dr-avocats.fr
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