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Licenciement et convention collective : l’obligation de motiver la lettre de convocation à l’entretien préalable. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : mercredi 27 février 2013
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La Cour de Cassation vient de rendre une décision particulièrement importante en matière de licenciement et qui risque, faute de prudence, de jouer de sale tour aux employeurs qui décident de licencier un salarié.

Rappelons que lorsqu’un employeur entend licencier l’un de ses salariés, celui-ci doit respecter la procédure prévue aux articles L 1232-2 et suivants du code du travail.

Ainsi, l’employeur doit convoquer son salarié à un entretien préalable par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre décharge.

Cet entretien ne peut se tenir moins de 5 jours ouvrés après la présentation par les services postaux du courrier de convocation ou de sa remise en main propre au salarié.

Au cours de cet entretien, un dialogue est censé se noué entre l’employeur et son salarié durant lequel l’employeur portera à la connaissance de son salarié les griefs et les reproches articulés à son encontre.

Le salarié pourra ainsi répondre et apporter ses explications.

Cet entretien peut être ainsi être considéré comme une tentative de conciliation devant permettre à l’employeur de prendre ensuite la décision qu’il estimera la plus adéquate.

Après cet entretien préalable, l’employeur est tenu de respecter un délai de jours avant de prendre toute décision.

Une fois ce délai expiré, l’employeur fera connaître au salarié sa décision qui ne sera pas forcément une mesure de licenciement.

En effet, cette décision peut prendre la forme d’une autre mesure de sanction telle qu’un avertissement ou une mise à pied disciplinaire.

Si l’employeur estime cependant nécessaire de licencier son salarié, il devra en exposer de façon précise et rigoureuse les motifs dans la lettre de licenciement.

Une partie importante du contentieux prud’homal tourne autour de cette question puisque les salariés saisissent souvent le conseil des prud’hommes en contestant le contenu même de la lettre de licenciement, soit pour soutenir que les motifs exposés dans celles-ci sont faux, soit pour soutenir que la lettre de licenciement est insuffisamment motivée, c’est-à-dire pas assez précise pour qu’on en comprenne les motifs.

Les débats judiciaires sont donc parfois particulièrement technique et houleux.

La Cour de Cassation vient de rajouter une touche de technicité supplémentaire par un arrêt du 09/01/2013.

Jusque-là, l’exigence de motivation ne frappait que la lettre de licenciement.

C’était dans celle-ci que l’employeur exposait dans le détail et par écrit la ou les raisons qui le pousse à licencier son salarié.

La lettre de convocation à l’entretien préalable se résumait quant à elle à sa plus simple expression puisque l’employeur y indiquait simplement la date et le lieu de cet entretien ainsi qu’une mention type informant le salarié qu’un licenciement était envisagé.
Pour autant, les raisons de ce licenciement envisagé n’étaient pas indiquées.

Le salarié se rendait donc à cet entretien préalable sans savoir officiellement ce qui allait lui être reproché ni autour de quoi la discussion allait tourner.

Or, le code du travail n’est cependant pas la seule source de droit en la matière.

Les relations entre employeurs et salariés sont réglementées non seulement par le code du travail, mais aussi par la convention collective applicable à l’entreprise.
Celle-ci contient son propre corps de règles qui se substituent à celles contenues dans le code du travail lorsqu’elles sont plus favorables aux salariés.

Il arrive donc que la convention collective vienne compléter les règles relatives à la procédure de licenciement en apportant aux salariés des mesures de protections supplémentaires.

Certaines conventions collectives prévoient ainsi que les motifs du licenciement envisagé soient d’ores et déjà mentionnés dans la lettre de convocation à l’entretien préalable.

À défaut de respecter cet impératif conventionnel, l’employeur s’expose à des sanctions très lourdes puisque la mesure de licenciement pourra être déclarée sans cause réelle et sérieuse par un conseil des prud’hommes, entraînant alors la condamnation de cet employeur à des dommages et intérêts substantiels.

En l’espèce, les faits étaient les suivants :
un employeur convoque un salarié à un entretien préalable et se contente d’indiquer dans le courrier de convocation qu’une mesure de licenciement est envisagée.
Or, l’article 34 de la convention collective applicable dans cette entreprise était ainsi libellé :
"le motif de la mesure disciplinaire envisagée par la direction doit être notifié par écrit à l’intéressé avant que la mesure entre en application… Tout agent doit être entendu par la direction avant une mesure disciplinaire pour obtenir la justification du motif invoqué et faire valoir ses explications".

On pourra certes trouver la rédaction de l’article 34 quelque peu ambigu.
L’employeur a d’ailleurs tenté de jouer sur cette ambiguïté en soutenant que l’exigence de motivation ne concernait que la lettre notifiant au salarié la sanction qui lui était appliquée et non pas la lettre de convocation à l’entretien préalable.
L’employeur estimait ainsi que si la motivation était contenue dans la lettre notifiant la sanction avant que celle-ci ne soit appliquée, les prescriptions conventionnelles de l’article 34 étaient respectées.

La Cour de Cassation fera de cet article 34 une interprétation extensive en y voyant "une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi" et qui "constitue une garantie de fond".

La rédaction de l’arrêt rendu par la Haute juridiction est d’ailleurs sans ambiguïté :
"attendu que la cour d’appel, qui a constaté que le salarié n’avait pas reçu, avant l’entretien préalable au licenciement, notification des motifs de la mesure de licenciement disciplinaire envisagée, en a exactement déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse".

Que penser de cette décision ?

D’une part, il n’est pas étonnant que la Cour de cassation impose le respect des normes, fussent-elles simplement conventionnelles et pas législatives.
Celles-ci appartiennent à l’arsenal juridique dont on sait qu’il n’est pas une menace pour l’employeur.

D’autre part, il est plutôt sain que l’égalité des armes soit respectée : si l’employeur sait ce qu’il va reprocher à son salarié, il est juste que ce dernier sache également ce qui l’attend afin de préparer les explications nécessaires sans être pris au dépourvu.
Cela peut influer sur la décision que prendra l’employeur qui sera peut-être plus justement informé après cet entretien.

Que conseiller ?
Il est vivement conseillé aux employeurs de lire avec minutie la convention collective applicable à leurs salariés afin de savoir si les motifs éventuellement invoqués au soutien de la mesure de licenciement doivent figurer dans la lettre de convocation à l’entretien préalable.

Si la convention prévoit un tel formalisme, alors l’employeur n’a guère le choix et doit le respecter.

Toute absence d’énumération des griefs dans la lettre de convocation à l’entretien préalable équivaudra à une absence de motifs qui sanctionnera toute la procédure de licenciement et son bien-fondé.

En effet, peu importera que l’employeur fasse ensuite figurer ces griefs dans la lettre de licenciement.
La motivation, en pareille hypothèse, doit se trouver tant en amont (dans la lettre de convocation à l’entretien) qu’en aval (dans la lettre de licenciement).

En cas de défaillance de la part de l’employeur, la sanction peut être lourde de conséquences puisque le conseil des prud’hommes déclarera le licenciement sans cause réelle et sérieuse avec son cortège d’indemnités.

Il reste alors une hypothèse non traitée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 09 janvier 2013, mais dont les solutions se déduisent de l’esprit général de la matière.

Cette hypothèse est celle de l’employeur qui annonce les griefs dans la lettre de convocation alors que cela n’est pas imposé par la convention collective.

Si l’employeur énumère les griefs dans la lettre de convocation alors que ce formalisme n’est pas prévu par la convention collective, cela ne pourra bien entendu pas lui être reproché.

Deux solutions se dégagent alors selon le contenu de la lettre de licenciement.

Hypothèse 1 : S’il reprend ces griefs dans la lettre de licenciement, cela semblera assez logique et loyal pour peu que ces griefs soient fondés.

Hypothèse 2 : Par contre, si l’employeur ne reprend pas ces griefs dans la lettre de licenciement, mais en invoque d’autres, non visés dans la lettre de convocation, des problèmes peuvent apparaître.
On ne pourra certes reprocher à l’employeur de ne pas avoir mentionné dans la lettre de convocation les griefs finalement retenus dans la lettre de licenciement puisque ce formalisme n’était pas obligatoire.
Mais il faudra que les griefs finalement retenus aient été discutés lors de l’entretien préalable, puisque le salarié doit pouvoir y répondre et s’expliquer à cette occasion.
Il faudra surtout que l’employeur puisse rapporter avec précision et certitude le bien-fondé de ces griefs.
En effet, et en cas de conflit, le conseil de prud’hommes ne manquera pas de l’interroger sur cette différence entre les griefs annoncés dans le courrier de convocation et ceux retenus dans la lettre de licenciement.

D’où la nécessité d’agir avec prudence et méticulosité.
Nul n’est censé ignorer la loi.
Nul n’est désormais censé ignorer la convention collective.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com