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La rupture conventionnelle homologuée : grandeur et décadence. Par Valérie Duez-Ruff, Avocat.
Parution : jeudi 14 mars 2013
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Depuis près de 5 ans, la rupture conventionnelle homologuée connaît un succès croissant et de plus en plus d’entreprises y ont recours pour formaliser la rupture du contrat de travail d’un salarié.

Ce nouveau mode de rupture des relations contractuelles instauré par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 « portant modernisation du marché du travail » a pour vocation de mettre fin aux pratiques de licenciements arrangés (licenciement suivi d’un protocole transactionnel).

Il permet à l’employeur et au salarié, y compris protégé, de convenir de concert de la fin de leurs rapports, en négociant une convention soumise à homologation administrative.

L’intérêt majeur de cet outil pour le salarié est qu’il lui ouvre droit au versement de l’allocation chômage par Pôle Emploi au même titre qu’un licenciement, contrairement à une démission.

L’employeur y trouve également un intérêt puisque, une fois signée, et sauf exceptions, les parties ne peuvent plus contester la convention devant les juridictions.

D’où l’engouement des entreprises pour cette rupture à moindre frais.

Cependant, si 2013 marque la fin de l’âge d’or des ruptures conventionnelles homologuées, il est à craindre que les années à venir voient l’agonie de ce mode de rupture, dont les entreprises rejetteront progressivement l’impact financier et l’insécurité juridique pesant sur elles.

Une mise en œuvre aisée

Le succès rencontré par la rupture conventionnelle homologuée s’explique en premier lieu par la facilité de sa mise en œuvre.

En effet, il s’agit d’une convention librement négociée par les parties au cours d’un ou plusieurs entretiens préalables, pendant lesquels elles peuvent se faire assister.

A cet égard, et bien que la position des juges ne soit pas tranchée sur cette question, il est préférable pour l’employeur d’informer le salarié, préalablement à la signature de la convention de rupture, de la possibilité pour ce dernier de se faire assister lors de l’entretien préalable. (CA Reims, 9 mai 2012, n°10-1501)

Cette convention définit les conditions de la rupture, et notamment :
• Le montant de l’indemnité de rupture, qui ne peut être inférieur à celui de l’indemnité légale de licenciement,
• La date de la rupture, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation.

Contrairement à un licenciement pour cause réelle et sérieuse ou à une démission, aucun préavis n’est à effectuer pour cette rupture, seules les périodes de réflexion et d’homologation sont à prévoir, d’une durée globale approximative de 5 semaines.

En revanche, cette rupture ouvre les mêmes droits qu’un licenciement pour cause réelle et sérieuse sur l’obligation pour l’employeur d’informer le salarié de son droit individuel à la formation. (CA Riom, 3 janvier 2012, n°10-02152)

Schéma de la mise en œuvre chronologique d’une rupture conventionnelle homologuée :

- Signature de la convention et du formulaire-type

15 jours calendaires de délai de rétractation

- Lendemain des 15 jours :Envoi de la convention et du formulaire à la DDTEFP

15 jours ouvrables (silence vaut homologation)

- Rupture intervient le lendemain du jour où elle est autorisée

N.B. : Dans le cas de salariés protégés (représentant du personnel ou à candidat à des élections professionnelles), la rupture conventionnelle est subordonnée à une autorisation de l’inspection du travail et non à une simple homologation.

Si l’avis du comité d’entreprise est requis, il doit être recueilli avant la signature de la convention et le procès-verbal joint à la demande d’autorisation.

Déterminer le montant de l’indemnité

L’élément clef dans la négociation du départ du salarié est évidemment le calcul de l’indemnité qu’il percevra, laquelle est librement déterminée par les parties, à la condition qu’elle respecte le minimum légal.

Ainsi, l’article L1237-13 du Code de travail dispose que « la rupture conventionnelle ouvre droit pour le salarié à une indemnité spécifique de rupture dont le montant ne peut être inférieur à celui de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.  »

Toutefois, si l’indemnité spécifique de rupture est calculée par référence au montant de l’indemnité de licenciement, ses conditions d’attribution diffèrent. En effet, le salarié ayant moins d’un an d’ancienneté peut prétendre à une indemnité calculée au prorata du nombre de mois de présence, contrairement à un salarié licencié pour cause réelle et sérieuse.

En conséquence, la loi se contente de fixer un plancher sans prévoir de plafond.

Néanmoins, les entreprises se limitent souvent au versement de l’indemnité spécifique stricte, sans aller au-delà.

L’évolution fiscale les encourage d’ailleurs dans cette voie.

En effet, depuis le 1er janvier 2013, les indemnités de rupture conventionnelle homologuée étant soumises au forfait social de 20% pour leur fraction affranchie de cotisations de sécurité sociale, la signature d’une convention entraîne un impact financier tel que les entreprises commencent à regarder cet outil avec davantage de frilosité.

A plus forte raison que les juges encadrent avec une exigence chaque jour accrue le recours à la rupture conventionnelle homologuée.

Un recours à la rupture de plus en plus encadré

En créant ce dispositif, le législateur a voulu offrir au salarié une alternative à la démission qui permette à ce dernier de bénéficier de la prise en charge par Pôle Emploi.

Aussi, pour préserver la liberté de réflexion du salarié, la rupture conventionnelle homologuée ne peut intervenir qu’en l’absence de tout litige avec l’employeur.

Elle ne peut davantage être mise en œuvre dans les cas de suspension du contrat de travail pour lesquels la rupture est strictement encadrée tels que le congé maternité et l’arrêt de travail en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle notamment (CA Amiens 11 janvier 2012, n°11-00555).

Néanmoins, les juges autorisent un salarié à signer une convention après une absence de plusieurs mois pour accident du travail (CA Rennes, 18 janvier 2012, n°10-04204).

Si l’employeur s’aventure à contourner la protection accordée au salarié victime d’un accident du travail en lui faisant signer une rupture conventionnelle homologuée, il court le risque de voir la rupture requalifiée en licenciement nul, avec les lourdes indemnités afférentes. (CA Poitiers, 28 mars 2012, n°10-02441)

Par ailleurs, dans la mesure où la protection prévue par les dispositions de l’article L125-4 du Code du travail ne s’étend pas au congé parental d’éducation, la rupture conventionnelle homologuée peut intervenir durant le congé parental d’éducation du salarié.

On aurait pu penser que, par analogie aux précédentes restrictions, les juges auraient interdit le recours à une rupture conventionnelle lorsque l’entreprise rencontre des difficultés économiques or, il n’en est rien. Elle est admise à la condition toutefois de ne pas constituer un détournement de la procédure (CA Nancy 26 février 2010, N°09-951)

Cependant, malgré quelques souplesses, la tendance jurisprudentielle vise à une augmentation des annulations par les juges des conventions de rupture signées entre salariés et employeurs.

Une validité réduite à peau de chagrin

Les juges assortissent de plus en plus la validité d’une convention de rupture à des critères de fond et de forme.

Ainsi, en premier lieu, les juges s’attacheront à vérifier l’absence de litige antérieur à la rupture entre le salarié et l’employeur.

A l’instar du salarié qui sollicite l’annulation de la convention conclue ainsi qu’une demande de rappel de salaire sur heures supplémentaires. Pour les juges, l’existence d’une procédure devant le conseil de prud’hommes sur le paiement des heures supplémentaire suppose de fait l’existence d’un litige antérieur entre les parties. (CA Reims, 16 mai 2012, n°11-624).

Ou du salarié qui se trouvait, au moment de la signature de la convention, dans une situation de harcèlement moral, entrainant selon la Cour de cassation, l’absence de consentement libre et donc l’annulation de l’acte. (Cass. Soc. 30 janvier 2013, n°11-22.332)

Il en est de même du salarié convoqué à plusieurs reprises par son employeur pour se voir reprocher la mauvaise qualité de son travail, raison pour laquelle il avait reçu deux avertissements. (CA Versailles, 13 juin 2012, n°10-5524).

Cependant, et la nuance est subtile, le simple exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ne suffit pas, à lui seul, à démontrer l’existence d’un différend susceptible de conduire à l’annulation de la rupture, tel le salarié ayant reçu de son employeur un avertissement peu avant la signature de la convention de rupture. (CA Paris, 22 février 2012, n°10-04217)

Nonobstant, compte-tenu de l’orientation récente de la jurisprudence, les employeurs seront bien avisés d’éviter de recourir à un tel mode de rupture en présence d’un litige, fut-il minime.

Toutefois l’horizon de la convention de rupture n’est pas totalement fermé puisque certains juges se montrent plus souples envers les critères de validité.

Ainsi, et on peut s’en émouvoir, l’absence ou le retard dans le versement de l’indemnité spécifique de rupture n’entraine pas, à lui-seul, l’annulation de la convention de rupture. (CA Reims, 16 mai 2012, n°11-624, CA Bordeaux 22 mai 2012, n°11-5856)

Pas plus que le non-versement au salarié de l’indemnité compensatrice de congés payés même si les juges sanctionnent l’employeur pour le préjudice résultant du manquement à ses obligations. (CA Rennes, 6 janvier 2012, n°10-01589)

Les juges ne s’arrêtent pas à une simple erreur de date dans le formulaire dès lors qu’il est démontré que le délai de rétractation a bien été observé (CA Paris, 22 février 2012, n°10-04217).

Ces arrêts rendus au long de l’année 2012 pouvaient laisser espérer un peu de souplesse dans l’analyse des conditions de validité d’une convention de rupture amiable.

Or, un arrêt de la Cour de cassation du 6 février 2013 est venu semer le trouble.

Dans son arrêt, la Haute Juridiction fait de la remise au salarié d’un exemplaire de la convention de rupture une condition indispensable à sa validité.
Elle considère en effet que le salarié doit pouvoir être en mesure de demander l’homologation de la convention et que la liberté pour ce dernier d’exercer son droit de rétractation en parfaite connaissance de cause permet de garantir son libre consentement.
Que, à défaut d’une telle remise, la convention de rupture est atteinte de nullité (Cass. Soc., 6 février 2013, n°11-27.000)

Les effets d’une décision d’annulation entrainant des conséquences financières lourdes pour l’entreprise, elle devra se montrer particulièrement vigilante sur le respect de l’ensemble des conditions de validité avant de signer une rupture conventionnelle homologuée.

Des sanctions qui s’alourdissent

Les juges qui sanctionnent le défaut de validité d’une convention de rupture conventionnelle homologuée prononcent l’annulation de l’acte et font produire à la rupture les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Cass. Soc. 30 janvier 2013, n°11-22.332)

Ils condamnent alors l’entreprise à réparer au salarié le préjudice résultant de la rupture, lequel sera calculé en fonction de son ancienneté et de l’effectif de l’entreprise (articles L1235-3 et L1235-5).

Néanmoins, suivant les circonstances de l’espèce, les effets produits par l’annulation de la rupture conventionnelle homologuée peuvent produire ceux d’un licenciement nul et non simplement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse (CA Poitiers, 28 mars 2012, n°10-02441) et donc des condamnations financières plus lourdes encore.

Le retour de la transaction ?

Au regard de l’orientation adoptée ces derniers mois par les juges, en particulier ceux de la Cour de cassation, les employeurs et leurs conseils ont tout intérêt à se montrer particulièrement vigilants avant de signer une convention de rupture et à anticiper, autant que faire se peut, un durcissement de la jurisprudence à l’égard des conditions de validité de la rupture conventionnelle homologuée.

Ils doivent également prendre soin de vérifier préalablement à toute signature l’impact fiscal d’une telle rupture, notamment en comparant avec l’indemnité de licenciement.

Dans certains cas, il sera finalement préférable, dans l’intérêt de l’employeur comme du salarié, de recourir à la méthode classique de la transaction (licenciement suivi d’une transaction) bien éprouvée et approuvée.

Valérie DUEZ-RUFF Avocat aux Barreaux de Paris et de Madrid http://www.dr-avocats.fr
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