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Juridiction Unifiée du brevet, brevet unitaire et brevet européen : une révolution pour les avocats et les conseils en propriété industrielle. Par Philippe Schmitt, Avocat.
Parution : mardi 26 mars 2013
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Avec la Juridiction Unifiée du Brevet et le brevet unitaire, les professions d’avocats et de conseils en propriété industrielle vont connaître des changements importants. Un aperçu des premiers impacts.

Le brevet unitaire s’est accompagné de la création de la juridiction unifiée du brevet. Toute nouvelle juridiction suscite un fort sentiment d’adhésion puisqu’elle participe au renforcement de la société civile et de la reconnaissance du droit comme élément régulateur de nos sociétés.

Néanmoins, la compétence de la juridiction unifiée du brevet ne se limite pas au seul brevet unitaire mais à vocation à s’étendre à l’ensemble des brevets européens qui déjà étaient soumis au contrôle du juge. Autre originalité de la juridiction unifiée du brevet, son indépendance par rapport aux juridictions nationales et à la juridiction communautaire. Dans l’attente du règlement de procédure applicable à cette juridiction unifiée du brevet, tentons dès à présent de mesurer l’impact de cette nouvelle juridiction tant auprès des avocats que des conseils en propriété industrielle français.

1°) Tous les avocats d’un État membre et à tous les mandataires européens sans recours à la notion de postulation pourront intervenir devant la juridiction unifiée des brevets qui aura une compétence étendue en matière de validité et de contrefaçon des brevets unitaires, des brevets européens et des CCP.

1-1°) La représentation étendue sans postulation bouleversera les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle.

La juridiction unifiée du brevet introduit la représentation des parties par les mandataires européens et la prévoit pour tous les avocats de l’un quelconque des États membres.

Les mandataires européens peuvent déjà représenter les parties devant l’Office Européen des Brevets. Sous réserve d’une formation spécifique, ils pourront aussi représenter les parties devant la juridiction unifiée du brevet. Il y a aujourd’hui plus de 10 000 mandataires agrées. C’est une profession organisée sous le contrôle de l’OEB. En France, les conseils en propriété industrielle français mention brevet sont pour la plupart également mandataires européens. Parallèlement à la juridiction unifiée du brevet, cette profession sera impactée également par le brevet unitaire. Pour ces brevets européens, un brevet unitaire étant un brevet européen délivré en termes identiques sur l’ensemble des États, le régime juridique applicable aux déposants non européens sera soumis au droit allemand, ce qui probablement accordera aux mandataires européens allemands un avantage concurrentiel, d’autant qu’un tiers des mandataires européens exerce déjà en Allemagne.

Les avocats concernés sont ceux de tous les États membres à l’accord, c’est-à-dire actuellement tous les États membres de l’Union Européenne sauf l’Espagne et la Pologne. Sous réserve du règlement de procédure, il n’y aura donc pas de postulation en faveur des avocats où siège telle ou telle division centrale ou locale ou régionale du tribunal de première instance. Le recours à la communication électronique entre les représentants des parties et la juridiction est d’ailleurs prévue. C’est un bouleversement considérable qui à la fois annonce une concurrence très forte, - à se limiter aux avocats des trois États qui se répartissent la division centrale : France 54 000 avocats, Allemagne 158 000 avocats, UK 160 000 avocats - et qui ouvre de nouvelles perspectives à proposer aux clients puisqu’il s’agit de l’obtention d’une décision valable et ayant force exécutoire sur l’ensemble des États.

1-2°) Différentes juridictions au sein de la juridiction unifiée des brevets se répartiront l’intégralité du contentieux de la validité et de la contrefaçon des brevets unitaires, des brevets européens et des CCP

• Des pouvoirs très importants sont reconnus à la juridiction unifiée du brevet dans le contentieux de la contrefaçon et de la validité du brevet unitaire, des brevets européens et des certificats complémentaires de protection.

La juridiction unifiée du brevet aura une compétence exclusive en matière validité et de contrefaçon des brevet unitaires et après une période transitoire pour tous les brevets européens et les certificats complémentaires de protection CCP

La juridiction unifiée du brevet pourra entendre les parties, procéder à des demandes de renseignements, ordonner la production de documents, entendre les témoins, ordonner des expertises, se rendre sur les lieux, et recevoir des déclarations sous la foi du serment.

Cette juridiction également pourra ordonner des mesures provisoires avant même l’engagement d’une procédure au fond et qui pourront s’accompagner de prélèvements d’échantillons ou de saisies de matériels par une procédure analogue à la saisie contrefaçon pour laquelle les règles de procédure détermination les acteurs, agents de cette juridiction ou pour la France, le maintien probable des huissiers de justice.

• La juridiction unifiée du brevet sera organisée entre un Tribunal de première instance et une Cour d’appel [1]

Le Tribunal de première instance sera scindé en une division centrale avec des divisions locales ou régionales.

Les actions en nullité du brevet unitaire et du brevet européen seront engagées devant la division centrale compétente selon la technique en cause. A Paris pour les domaines de la physique, de l’électricité, des constructions fixes, du textile et du papier ainsi que pour les transports. A Londres pour les nécessités courantes de la vie, la chimie et la métallurgie. Enfin à Munich pour la mécanique, l’éclairage, le chauffage et l’armement.

Les actions en contrefaçon seront portées devant les divisions locales ou régionales. Paris, probablement aura également une division locale.

La Cour d’appel siègera à Luxembourg.

Cette nouvelle juridiction entrainera une diminution des activités contentieuses devant les juridictions nationales françaises mais si certains contentieux resteront nationaux.

2°) Le pouvoir d’attraction de la juridiction Unifiée réduira considérablement le contentieux national des brevets

Actuellement, les contentieux de la contrefaçon et de la validité du brevet français et des parties françaises des brevets européens sont de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris. Pour être complet précisons que pour les brevets français délivrés par INPI, l’ensemble des recours contre les décisions de cet office sont répartis entre différentes cours d’appel françaises, ce contentieux est simplement évoqué puisque sur celui-ci la création de la juridiction unifiée du brevet devrait avoir un impact très limité probablement au seul cas, hypothétique, où l’INPI aurait maintenu son pouvoir de limitation de la partie française d’un brevet européen.

Quelques interrogations sur la répartition des compétences entre la juridiction unifiée du brevet et les juridictions françaises peuvent déjà être indiquées.

• Tous les contentieux relatifs à la validité ou à la contrefaçon du brevet européen à effet unitaire, des brevets européens et des CCP appartiendront à la juridiction unifiée.

L’accord sur la juridiction unifiée des brevet lui reconnait une compétence exclusive en matière de validité et d’atteinte au brevet unitaire et aux brevets européens. Devant le Tribunal de grande instance de Paris actuellement le contentieux relatif à la partie française d’un brevet européen doit représenter environ près des deux tiers des affaires puisque, le souvent, une procédure même engagée sur un brevet français délivré par l’INPI peut voir celui-ci substitué par la partie française d’un brevet européen quand celui-ci est délivré par l’OEB. L’impact sera, ici, considérable à la fois pour les juges et pour les avocats parisiens.

• Le contentieux des actes de concurrence déloyale connexes à l’atteinte à un brevet

L’impact sur le volume des affaires jugées à Paris, probablement sera encore plus important. En effet, si les juridictions nationales conservent leur compétence en matière de concurrence déloyale, en France, quand ceux-ci sont connexes à l’atteinte à un brevet, ils sont examinés actuellement par le Tribunal de grande instance de Paris. Avec la perte du contentieux du brevet européen, l’article L 615-17 du CPI trouvera-t-il encore à s’appliquer hors le cas de l’atteinte au brevet français ? Les tribunaux de commerce retrouveraient-ils leur compétence de droit commun, puisque le Tribunal de grande instance de Paris perdant sa compétence au principal sur l’atteinte à la partie française du brevet européen comment pourrait-il conserver sa compétence en matière d’actes de concurrence déloyale fondée sur leur caractère accessoire ?

Parallèlement au contentieux devant la juridiction unifiée du brevet, un autre contentieux devra être mené pour les actes de concurrence déloyale connexe à ceux-ci et ce contentieux sera mené devant une juridiction française. Ou bien, ce second contentieux n’existera jamais en pratique parce que les parties préféreront concentrer leurs efforts sur l’action principale en contrefaçon de brevet européen ou unitaire.

• La licence et la cession du brevet européen à effet unitaire, des brevets européens et des CCP .

- La licence de droit du brevet unitaire. Son contentieux appartiendra à la juridiction unifiée du brevet.

- Pour les licences obligatoires : le règlement sur la coopération renforcée prévoit que les licences obligatoires pour les brevets européens à effet unitaire devraient être régies par le droit des États membres participants en ce qui concerne leurs territoires respectifs. S’agit-il d’une reconnaissance de la compétence des juridictions nationales ou simplement de l’indication de(s) loi(s) à laquelle (auxquelles) ces licences seront soumises ?

- Les autres licences et les cessions. Pour les contentieux contractuels entre le titulaire du brevet unitaire et son licencié. A priori, les juridictions nationales conserveraient leur compétence mais la cession du brevet unitaire devant être pour l’ensemble des États membres sous peine de perte du caractère unitaire du brevet, le pouvoir d’attraction de la Juridiction Unifiée du brevet ne devra pas être sous-estimé.

• Le CCP

La juridiction unifiée du brevet se voit reconnaitre une compétence en matière de CCP. Passée la période transitoire, le CCP accordé sur un brevet européen aura obligatoirement ses contentieux de la validité et de l’atteinte transférés à la juridiction unifiée. Mais pour ces CCP quand ils seront délivrés par l’INPI, les conditions nationales relatives à leur délivrance pourront-elles encore être examinées par la Cour de Paris dans le cadre de recours contre la décision de leur délivrance ?

Philippe Schmitt Avocat www.schmitt-avocats.fr https://www.linkedin.com/in/avocatmarquebrevetmodele/

[1L’essentiel de l’innovation européenne sera protégée par la Juridiction Unifiée créée avec le brevet unitaire https://www.village-justice.com/articles/Juridiction-Unifiee-creee-brevet,13794.html.