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Responsabilité contractuelle : force majeure, une cause exonératoire à contrôler. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : mercredi 3 avril 2013
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Comme indiqué dans nombre de Conditions Générales de Vente, une partie s’exonère habituellement de sa responsabilité contractuelle du fait de la survenance d’un cas de force majeure (1).
L’existence d’un cas de force majeure est soumise à l’interprétation des juges du fond (2).
Afin d’éviter l’aléa de l’interprétation des tribunaux, les parties peuvent prévoir leur propre définition de la force majeure dans une clause spécifique de leur contrat ou même renoncer à invoquer la force majeure pour s’exonérer de leurs obligations. (3).

1 Une notion jurisprudentielle fluctuante

Le Code civil ne donne pas de définition de la force majeure.
Ce sont les juges du fond qui en façonnent les contours. Extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité : la réunion de trois critères cumulatifs est en principe nécessaire même si la Cour de cassation insiste sur les deux critères les plus importants pour elles ; irrésistibilité et imprévisibilité en acceptant une définition plus souple de l’extériorité.

Il a ainsi été jugé que même en l’absence d’extériorité, la survenance d’une maladie, « dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution », est constitutive d’un cas de force majeure (Cass. Ass. Plén., 14 avr. 2006, 02-11168).

Même si dans son arrêt précité, la Cour de cassation a paru mettre au second plan, le caractère d’extériorité de la force majeure, l’évènement doit tout de même résulter d’une cause étrangère et être indépendant de la volonté des parties.

Il a, par ailleurs, été jugé que ne constituaient pas des cas de force majeure :

- le prononcé du règlement judiciaire du débiteur (Cass. com. 8 juill. 1981, n°76-15343) ;

- la mort de l’employeur, même si elle entraîne la disparition de l’entreprise, la succession restant tenue à l’égard des salariés aux diverses obligations nées des contrats de travail (Cass. soc., 10 fév. 1982, n° 80-40.044) ;

- l’effondrement sous le poids de la neige d’une toiture atteinte d’un vice caché, (Cass. civ., 19 juil. 1988, n° 86-11.859) ;

- le seul refus d’une entreprise de peinture à exécuter, dans le délai demandé, les travaux de peinture auxquels s’étaient engagés les locataires en vertu du contrat, ce refus ne mettant pas les locataires dans l’impossibilité de remplir leurs obligations (Cass. civ., 23 avr. 1975 : GP 1975.2.588).

En revanche, il a été jugé que constituait un cas de force majeure, la grève du personnel d’une imprimerie, celle-ci ayant fait tout ce qui était dans son pouvoir pour en pallier les conséquences (CA Rouen, 21 avr. 1978 : GP 1979.som.260).

Les éléments d’imprévisibilité et d’irrésistibilité sont, ainsi, mis en avant par la jurisprudence.

A titre d’exemples, il a été jugé que constituaient un cas de force majeure :

- l’incendie qui a détruit totalement les locaux et les machines utilisés pour l’exploitation d’une société (Cass. soc., 20 oct. 1983, n° 40-42.056) ;

- de fortes chutes de neige collante qui ont entraîné des interruptions de fourniture de courant (CA Nîmes, 8 mars 1990, JCP G 1990.II.21573).

2 Les effets de la force majeure

Une partie peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en démontrant la survenance d’un événement indépendant de sa volonté rendant impossible l’exécution du contrat.

L’article 1147 du Code civil prévoit ainsi : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

L’article 1148 du Code civil dispose quant à lui :
« Il n’y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. »

Pour que le débiteur soit libéré, il faut encore que l’événement qu’il invoque pour justifier l’inexécution de son obligation ait rendu absolument impossible l’exécution de cette obligation ou ait imposé la violation d’une obligation lui incombant.

Ainsi, il a été jugé qu’une destruction en partie d’un hôtel par un cyclone ne rendait pas impossible la reprise de l’exploitation de celui-ci et, de fait, ne pouvant justifier le licenciement de tous les salariés (Cass. soc., 7 déc. 2005, n° 04-42.907).

Si l’empêchement a rendu définitivement impossible l’exécution du contrat, celui-ci est caduc ; une demande en résolution judiciaire du contrat n’est donc pas nécessaire (Cass. com., 28 avr. 1982 : Bull. civ. IV p. 128).

En revanche, si l’empêchement est momentané, l’exécution du contrat est suspendue jusqu’à l’extinction de l’empêchement (Cass. 3e civ., 22 févr. 2006, n°05-12032).

3 Elaboration d’une clause contractuelle sur le cas de force majeure

3.1 Afin d’éviter l’aléa de l’interprétation des tribunaux, les parties peuvent prévoir leur propre définition de la force majeure dans une clause spécifique de leur contrat.

Les règles sur les causes exonératoires ne sont, en principe, pas d’ordre public.
Ainsi, les clauses relatives à la force majeure peuvent être prévues dans tout document contractuel mais doivent être acceptées.

Ainsi, est inopposable à l’acquéreur une clause des conditions générales de vente stipulant que « tous les événements pouvant entraîner un retard de fabrication des produits ou de leur livraison sont considérés comme des cas de force majeure » car cette clause ne figurait ni dans les bons de commande remplis par l’acquéreur ni dans la lettre ultérieure par laquelle le vendeur avait ratifié la commande faite par l’acquéreur mais seulement dans des documents établis postérieurement à l’accord de volontés des parties.

Cette clause a, en effet, été déclarée, dans ces conditions, inopposable à l’acquéreur, dès lors qu’il n’avait pas entretenu de relations d’affaires constantes et suivies avec le vendeur (CA Aix, 6 mars 1980, Bull. Cour d’Aix 1980/1 p. 68).

A l’inverse, bien qu’insérée en petits caractères avec les autres conditions générales d’un contrat de location d’un véhicule automobile conclu entre une société de location et un commerçant, une clause excluant le caractère exonératoire de la force majeure en cas de sinistre a été réputée opposable au locataire « commerçant suffisamment averti du monde des affaires pour n’être pas surpris par des clauses usuelles dans des contrats de ce type » (CA Paris, 9 juil. 1982, BRDA 20/82 p. 22).

Une clause relative à la force majeure doit tenir compte des circonstances du contrat auquel elle est attachée.

Ainsi, à titre d’exemple, dans un contrat de vente, les problèmes d’exécution susceptibles de se poser et d’être qualifiés de force majeure dépendent des moyens de transport utilisés, de la nature plus ou moins fragile ou périssable des produits vendus, des États entre lesquels le paiement du prix doit intervenir.
Les parties peuvent énumérer les événements (faits de la nature ou d’un tiers, notamment fournisseur, sous-traitant, autorité publique) qu’elles considèrent comme constitutifs de force majeure (CA Aix 6-3-1980 : Bull. Cour d’Aix 1980/1 p. 68).

La seule survenance de l’événement visé constitue la force majeure, sans qu’il y ait lieu de rechercher, comme il est de règle pour la force majeure prévue par la loi, si le fait a été irrésistible (Cass. com., 8 juil. 1981, n° 79-15626).

Toutefois, il est conseillé de ne pas procéder à une énumération car celle-ci peut comporter des oublis et n’écarte pas les contestations sur le point de savoir si tel ou tel fait entre dans la liste des cas prévus.

La rédaction d’une définition claire du cas de force majeure est préférable : par exemple, définir comme un cas de force majeure le renchérissement de x % du montant des fournitures ou matières premières.

En cas d’ambiguïté, les tribunaux apprécient souverainement la commune intention des parties.

A titre d’exemple, il a ainsi été jugé que la clause d’un accord conclu entre une papeterie et un agent commercial en vertu de laquelle les commissions dues à ce dernier seraient réduites en « cas de force majeure dont l’effet limiterait la production » de la papeterie joue même si les obstacles rencontrés par la papeterie sont dus à sa mauvaise politique commerciale (Arrêt précité, Cass. com., 8 juil. 1981, n° 79-15626).

3.2 Les parties peuvent aussi renoncer à invoquer la force majeure pour s’exonérer de leurs obligations.

Tel est le cas du locataire de matériel qui, au terme du contrat de location, prend en charge toutes les détériorations et pertes dus à tous les cas de force majeure.

Ne peut pas davantage se prévaloir de la force majeure celui qui a pris engagement incompatible avec la libération qu’elle implique.

Il en est ainsi du bailleur qui s’est engagé à effectuer à ses frais exclusifs toutes les réparations des dégâts causés par fait de guerre. Il ne peut pas soutenir que le fait de guerre ayant entraîné une coupure d’eau dans l’immeuble loué constitue un cas de force majeure (Cass. soc., 24 janv. 1958, Bull. civ. IV p. 145).

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com