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Sites internet : une trop grande ressemblance avec un autre site peut caractériser un acte de concurrence déloyale. Par Benoît Favot, Avocat.
Parution : jeudi 4 avril 2013
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De nombreux propriétaires de site internet font souvent le désagréable constat de voir le contenu de leur site reproduit sur des sites concurrents, alors qu’ils avaient investi des sommes importantes pour l’élaboration, le développement, le référencement et l’amélioration de leur site.

Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 15 mars 2013 (Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section - Jugement du 15 mars 2013. Beemoov / Jurovi Studio) permet de rappeler quelles sont les conditions et les éléments pris en compte par la justice pour empêcher la reproduction par un concurrent du contenu de son site et pour obtenir une indemnisation du préjudice qui en résulte.

Les faits

La société BEEMOV, exploitant un site Internet dénommé « www.ma-bimbo.com » proposant des jeux virtuels en ligne, avait constaté qu’une société concurrente, la société JUROVI STUDIO, également spécialisé dans l’édition de jeux virtuels, avait mis en ligne un site internet reproduisant de nombreux éléments de son contenu.

La société BEEMOV, titulaire de la marque française « MA BIMBO », reprochait également à son concurrent d’avoir reproduit sur sa page d’accueil le terme « BIMBO », ce qui constituait, selon elle, une contrefaçon de marque.

La société BEEMOV reprochait également à son concurrent d’avoir porté atteinte à son nom de domaine www.ma-bimbo.com en faisant figurer sur son site le terme « BIMBO ».

La société BEEMOV a donc fait assigner son concurrent :
- en contrefaçon de marque pour l’utilisation du terme « BIMBO »,
- et concurrence déloyale et parasitaire pour la reproduction de son contenu et pour la prétendue atteinte à son nom de domaine.

Dans le cadre de la présente analyse, nous ne nous intéresserons qu’à la discussion relative aux actes de concurrence déloyale et parasitaire résultant de la reproduction du contenu d’un site Internet.

Les prétentions des Parties

La société BEEMOV soutenait que la société JUROVI avait "sans complexe", repris plusieurs éléments de son propre site internet, notamment :
- les onglets du menu de la page d’accueil, à savoir accueil, forum, inscription et démo, qui seraient non seulement les mêmes, mais encore ordonnés de la même manière,
- il y aurait un accès direct à Facebook en bas de la page d’accueil sur les deux sites,
- de nombreux vocables de son site seraient repris sur le site de la société JUROVI,
- on retrouverait des intitulés similaires pour les forums,
- le site litigieux serait fondé sur le même schéma économique que le sien, utiliserait le même schéma de fonctionnement et reprendrait son architecture, notamment une monnaie virtuelle,
- il reprendrait à son compte certaines phrases et certains slogans.

La société BEEMOV ajoutait que ces reprises ne devraient rien au hasard puisque la société JUROVI aurait comme associée majoritaire une société dont la direction serait assurée par deux anciens camarades de classe et connaissances de longue date de ses deux associés, qui n’ignoraient donc rien selon elle de son activité.

La société BEEMOV soutenait enfin que la société JUROVI aurait reproduit des passages entiers de ses conditions générales.

La société JUROVI, sans contester une certaine similarité entre les deux sites, estimait quant à elle qu’elle serait commune à tous les jeux de simulation de vie, et dictée par des nécessités fonctionnelles.

Elle produisait pour le démontrer des comparatifs des jeux se rapprochant de celui de la société BEEMOV, desquels il résultait que l’architecture de ces jeux comportait également un système d’onglets permettant l’accès à différentes pages, ainsi que la présence d’un forum, d’un accès Facebook et de mini-jeux, l’emploi d’objets et de monnaie virtuelle.

La décision

Selon le Tribunal : « s’il est indéniable que bon nombre de fonctionnalités sont inhérentes à ce genre de jeux virtuels, force est de constater que certains vocables que l’on retrouve sur le site de la société défenderesse comme sur celui de la société BEEMOOV (…) n’étaient pas sur le site antérieur ni sur les autres sites montrés à titre d’exemple (…). »

Ainsi, dans la mesure où « la société JUROVI ne précis[ait] pas en quoi ces vocables, intitulés ou boutiques seraient, comme elle l’allègue, dictés par les nécessités fonctionnelles de ce type de jeux. », le Tribunal concluait que « sans qu’il y ait lieu d’examiner l’empreinte de la personnalité de ces éléments, puisqu’il ne s’agit pas là de protéger une œuvre de l’esprit, il apparaît que cette reprise, liée au fait que les personne physiques se connaissent les unes et les autres, ce qui n’est pas sérieusement contesté en défense, présente par son aspect généralisé un caractère fautif constitutif de la concurrence déloyale. »

S’agissant des conditions générales, le Tribunal jugeait que celles de la société JUROVI étaient manifestement inspirées par celles de la société BEEMOV.

Selon le Tribunal : « certes, les rubriques de ces conditions générales, à savoir définitions, inscription, fonctionnement, forum, obligations des parties, responsabilité, propriété intellectuelle, résiliation, protection des données, modifications et dispositions générales sont communément présentes dans différents sites internet. Il n’en demeure pas moins que leur contenu varie cependant, et fort heureusement selon les sites internet, et qu’en l’espèce la société défenderesse ne peut contester avoir repris certains passages en entier au site internet de la demanderesse. Alors que la société BEEMOOV a engagé des frais pour personnaliser ces rubriques et donc individualiser ses conditions générales, la société JUROVI a donc pu, sans bourse délié introduire des conditions générales d’utilisation sur son site, comportement fautif caractérisant là encore la déloyauté de la concurrence. »

L’analyse

Cette décision est à rapprocher d’un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 30 octobre 2009 (T. com., 15e ch., 30 oct. 2009, Dreamnex c/ In’Exes), en ce qu’il permet de faire le point sur les éléments à prendre en compte pour caractériser une ressemblance fautive entre deux sites Internet.

Dans la décision du Tribunal de commerce du 30 octobre 2009, pour des faits similaires à la décision commentée, les juges avait retenu qu’un site internet présentait « des menus en tête de page avec le positionnement d’onglets sur une bande horizontale permettant l’accès aux différentes rubriques et catégories d’articles mis en vente », « le positionnement de la fenêtre “service client” en haut de la colonne de droite », « le positionnement [d’une] rubrique (…) dans le bas de la colonne de droite, illustrée par la photographie d’un homme portant un vêtement de médecin », « l’utilisation d’un fond de page bleu, les champs de recherche surmontés d’une photographie, le mode de présentation d[d’une] rubrique (…) sous forme de 8 sous-rubriques rangées en deux colonnes de quatre icônes de forme carrée » et enfin, ” la rédaction de nombreux textes sur plus de 80 pages répondant aux différentes rubriques ».

Les juges en avaient déduit que « ces caractéristiques apparaiss[ai]ent originales », sachant que « le défendeur ne présent[ait] aucune antériorité de ce modèle » et « qu’il est justifié des investissements financiers réalisés pour la création de ce site ». Le site de la société demanderesse était ainsi « digne de bénéficier de la protection légale réservée aux œuvres de création ».

Les juges précisaient que enfin que « la contrefaçon s’apprécie sur les ressemblances en fonction de ce qu’en pense un consommateur d’attention moyenne » et constatent « une ressemblance manifeste entre le contenu des deux sites, tant générale que dans les éléments les composants de telle sorte que la quasi-totalité des textes » étaient strictement identiques.

Ainsi, à la lecture de ces deux décisions, il est possible d’identifier les éléments qui caractérisent une ressemblance fautive :

-  La structure du site : le positionnement des menus et des colonnes, s’ils sont empreints d’une certaine originalité, peut bénéficier d’une certaine protection. Ainsi, le positionnement à droite ou à gauche d’une colonne, l’insertion d’une bande horizontale, la taille du header, le positionnement d’une illustration (dessin ou photographie), etc., permettent de caractériser une certaine originalité d’un site Internet, qui permet d’empêcher les sites concurrents de reproduire à l’identique la structure de son site. Il convient cependant de préciser que l’originalité du site relève de l’appréciation du juge. Ainsi, l’utilisation d’un template classique, largement diffusé sur Internet, ne semble pas pouvoir bénéficier d’une protection particulière. La condition d’originalité vaut également pour la présentation du site. Ainsi, une page-écran, un graphisme, une animation ou l’arborescence d’un site peuvent être protégés en tant qu’œuvres de l’esprit, lorsqu’ils présentent un caractère original. Il en va de même pour ce qui concerne l’assemblage de textes, d’images, de sons et de liens hypertextes.

- Les intitulés des menus et des icônes : la dénomination des menus, si elle est reproduite à l’identique ou dans une formule très proche, peut caractériser une ressemblance fautive entre deux sites Internet. De même, l’ordre du nom des menus et le nombre de rubrique peuvent, s’ils sont identiques ou similaires, caractériser une ressemblance fautive. Cependant, comme le relève le Tribunal a contrario, la reproduction à l’identique d’un intitulé peut être dictée « par les nécessités fonctionnelles ». La preuve de la nécessité de reproduire ou de s’inspirer fortement d’un menu d’un concurrent est à la charge du prétendu copieur.

- Le contenu des textes : il s’agit d’un point important. Si les textes sont intégralement reproduits, avec aucune ou peu de différences, d’un site à l’autre, alors il pourra être reproché au copieur un acte de concurrence déloyale. Conformément à une jurisprudence constante, rappelée par la décision commentée, les conditions générales (d’utilisation ou d’achat, par exemple) bénéficient également d’une certaine protection et ne peuvent être reproduites servilement. Il est à souligner que la concurrence déloyale sera d’autant plus caractérisée que le nombre de pages reproduites est important.

- Le fait que les copieurs et les copiés se connaissent  : le Tribunal de grande instance de Paris a retenu de manière assez originale que l’acte de concurrence déloyale était également caractérisé par le fait que les personnes concernées « se connaissaient les unes les autres ». Cela participe ainsi au faisceau d’indices permettant de démontrer le caractère volontaire de la reproduction du site, et par conséquent, la déloyauté dans l’acte de concurrence.

- Une activité concurrente : de manière générale, un acte de concurrence déloyale vise les abus pratiqués entre concurrents, mais peut également viser les pratiques d’entreprises évoluant sur des marchés distincts. De fait, il sera plus facile de démontrer l’existence d’un acte de concurrence déloyale si le copieur exerce une activité parfaitement concurrente à celle du copié.

- Un consommateur d’attention moyenne : selon les juges du tribunal de commerce dans la décision précitée :« la contrefaçon s’apprécie sur les ressemblances en fonction de ce qu’en pense un consommateur d’attention moyenne ». Cela signifie que de faibles ressemblances, visibles à l’œil d’un spécialiste (développeur, web designer) mais qui pourraient passer inaperçues au yeux d’un consommateur d’attention moyenne, qui ne passe qu’un temps limité sur un site Internet, ne permettront pas d’engager une action pour concurrence déloyale.

- Une antériorité  : bien entendu, pour bénéficier d’une protection du contenu et de la structure de son site internet, il faut impérativement pouvoir justifier que celui-ci était déjà en ligne lorsqu’un un site ressemblant est apparu.

Pour cela, il faut pouvoir justifier de la date de mise en ligne du contenu. Plusieurs mesures existent :

- Si le site web présente un aspect graphique, il peut être protégé par un dépôt de modèle auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle, sous réserve que ladite œuvre graphique soit nouvelle.

- Il est également possible d’envoyer une copie des pages du site sous pli recommandé au domicile de l’auteur (par exemple sur un CD-ROM). Le pli doit rester parfaitement cacheté par le document adhésif de la Poste valant demande d’accusé de réception.

- Il est possible de déposer une copie des pages du site auprès d’un huissier ou d’un notaire, ce qui a une valeur plus grande, mais qui est également plus coûteux.

- De même, il est possible de déposer ’une enveloppe SOLEAU à l’INPI. L’enveloppe SOLEAU (du nom de son créateur) est un système permettant à un auteur de faire valoir ses droits en constituant une preuve de la date à laquelle l’œuvre a été créée. Il s’agit d’une enveloppe constituée de deux compartiments servant chacun à accueillir un exemplaire de la description ou d’une représentation de l’œuvre puis à plier et cacheter afin de l’envoyer à l’INPI. L’INPI, après enregistrement et perforation de l’enveloppe au laser, retourne un des compartiments qu’il est nécessaire de conserver cacheté.

- Enfin, il est possible d’enregistrer l’œuvre auprès d’un organisme spécialisé. La Société des Gens de Lettres propose ainsi d’enregistrer une empreinte numérique de l’œuvre numérisée qu’elle conserve pendant une durée d’un an, charge à l’auteur de conserver en lieu sûr l’œuvre numérisée ainsi transmise, sans la moindre modification.

Benoît Favot www.negotium-avocats.com [->bfavot@negotium-avocats.com]
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