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La lutte contre la fraude aux prestations sociales. Par Christophe Georges Albert.
Parution : mardi 9 avril 2013
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Maintenir les dépenses de santé au niveau actuel risque d’être de plus en plus en plus délicat pour un pays dont le déficit de l’assurance maladie est en 2012 de 13,3 Mds d’euros, contre, il est vrai, 17,4 Mds d’euros en 2011.
Plus précisément, la fraude aux prestations sociales est évaluée par la Cour des comptes à 3 à 4 milliards d’euros pour le régime général, bien éloignée des 8 à 14 milliards de la fraude aux cotisations sociales alimentée notamment par le travail au noir.

Par ailleurs, dirigée sur les prestations maladies, la lutte contre la fraude est devenue tout à la fois un impératif de justice sociale et d’efficacité économique.

Si, d’un point de vue juridique, la fraude est bien définie et se caractérise par trois éléments : un manquement à des obligations, l’existence d’un préjudice et, surtout, un élément intentionnel, c’est fort de ce constat, que le précédent gouvernement avait envisagé de durcir les politiques de lutte contre la fraude et lancé à cet effet une campagne de sensibilisation comportant une série de 6 spots radio sur des thématiques diverses à compter du 29/08/11.

Or, cette politique à aussi ses effets pervers et sous la forme d’un non recours aux prestations sociales, on a vu s’éloigner une catégorie d’individus, qui parmi les plus fragilisés renoncent aux soins par crainte d’une stigmatisation opérée par la norme sociale culpabilisatrice.
En effet, la frontière entre la fraude avérée et l’erreur non intentionnelle ou entre la fraude et l’abus est parfois incertaine.

Les dispositifs de lutte contre la fraude aux prestations sociales ne contribuent pas en effet à différencier ces notions puisque, par exemple, les pénalités peuvent sanctionner des déclarations inexactes ou incomplètes sans qu’une quelconque intention de frauder soit à établir.

La lutte contre la fraude peut elle dès lors passer uniquement par un renforcement des sanctions ?
Sont- elles la seule arme efficiente dans la lutte engagée contre les déficits des comptes sociaux ?
Quel est le coût économique engendré par les non-recours ?
La réponse à ces questions nous amène à définir tant la notion de fraude (I), que les moyens mis en œuvre pour y remédier (II)

I – Définition de la notion de fraude

A la différence de la faute ou de l’abus, il s’agit pleinement d’un acte illicite dont la définition n’est pas à rechercher dans le Code de la Sécurité sociale, mais dans le Code pénal (A) et dont la qualification entraîne des enjeux distincts (B).

A – Une définition délicate à appréhender

Il existe une définition générique de la fraude « Acte intentionnel de contournement de la loi pour éluder le paiement d’un prélèvement ou bénéficier indument de prestations », la fraude pouvant précéder le versement, au moment de la constitution du droit ».

Le terme s’applique, cela étant, à des faits extrêmement variés et à des niveaux de gravité extrêmement différents – avec par exemple des enjeux financiers extrêmement divers pour une simple fausse déclaration.

Il n’existe pas de définition juridique précise de la fraude dans le Code de la Sécurité sociale : le terme est généralement employé avec d’autres éléments le détaillant.

Dans le Code pénal, la fraude à la Sécurité sociale recouvre des incriminations très diverses et très nombreuses (faux et usage de faux, escroquerie simple ou en bande organisée, etc.). La qualification la plus précise concerne la lutte contre la fraude, plus que la fraude elle-même. Elle est devenue un objectif politique fort, mais également un objectif à valeur constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel. Celui-ci a estimé, au sujet des dispositions prévues dans une loi récente sur l’aide médicale d’Etat, qu’elles établissaient un bon équilibre entre les objectifs à valeur constitutionnelle du droit à la santé et de la lutte contre la fraude.

D’un point de vue opérationnel, la frontière entre fraude, abus et faute est souvent délicate à tracer, il est impératif d’en préciser dès lors les enjeux.

B – Les enjeux de la qualification

Parmi les grands enjeux de la lutte contre la fraude, il faut citer l’objectif politique qui est la défense de la solidarité de notre système de protection sociale (préservation de l’ordre public social), et l’enjeu financier qui est loin d’être négligeable. Les évaluations de la fraude sont extrêmement fluctuantes, mais les détections par les organismes de Sécurité sociale représentent plus d’1,7 milliards d’euros depuis 2006.

L’enjeu de gestion et de performance a été évoqué, de même que le paiement à bon droit. La lutte contre l’évasion fiscale, contre le travail dissimulé et les fraudes aux cotisations, n’est pas dans le champ de cette journée d’étude, mais cela demeure une préoccupation très forte. Il faut par ailleurs mentionner ce qui touche à l’analyse des risques et aux procédures de certification des comptes de la Sécurité sociale.

Enfin, il existe des enjeux de communication de la Sécurité sociale sur sa capacité à maîtriser les risques. Ces sujets sont de plus en plus dans l’actualité médiatique : les organismes de Sécurité sociale et les ministères doivent donc de plus en plus réagir rapidement face à la médiatisation de certaines fraudes ou de certains chiffres.

La fraude apparaît comme protéiforme, aussi, dans un souci d’efficacité, les moyens de lutte contre elle ont épousé ses qualifications.

II – Les moyens mis en œuvre pour lutter contre la fraude

Entre 2007-2008, Nicolas Sarkozy avait concentré tous ses efforts dans la lutte contre la fraude, érigée en priorité de son mandat.

Un ensemble d’outils innovants sera alors mis en place (A), mais, ces derniers révèleront leurs effets pervers (B).

A – Les outils de lutte contre la fraude

Estimée entre 2 et 3 Mds d’euros sur la foi d’une étude de la Cour des comptes, la CAF avait mis en place sous l’égide du ministre du budget de l’époque un fichier national unique pour croiser les données d’une caisse à l’autre, alors que le Président Sarkozy déclarait le 18/09/08 que l’assurance maladie devait s’appuyer sur de nouveaux instruments pour s’attaquer aux fraudes et évoquaient à ce titre la mise en place de peines-planchers contre les fraudeurs de la sécurité sociale.

Pratiquement, il est mis en œuvre des organes permettant un échange systématique d’informations :

-  Il faut d’abord citer la création du répertoire commun de la protection sociale (RNCPS) qui concernera l’ensemble des régimes de base de la Sécurité sociale. Sur le plan informatique, ce système n’est pas uniforme mais procède de la connexion des bases entre elles avec pour premier objectif la gestion des droits des assurés (avant la lutte contre la fraude).

-  Les connexions entre la protection sociale et l’administration fiscale sont également une nouveauté ; les déclarations faites à chacun de ces univers étaient auparavant séparées ; l’information sur les revenus est ainsi désormais automatiquement envoyée aux Caisses d’allocations familiales qui y adaptent le niveau des prestations familiales. Le circuit, très intégré, permet de mieux gérer les droits et de détecter des situations d’erreurs ou de fraudes.

-  De nouveaux moyens d’investigation sont apparus, dont la procédure d’évaluation des ressources d’après les éléments de train de vie ou l’exercice du droit de communication vis-à-vis des tiers, par exemple des organismes bancaires. Ces dispositifs existaient au niveau fiscal et ont été transplantés dans le domaine social.

-  Le droit de communication des agents de contrôle des organismes de Sécurité sociale est exactement le même que celui qui figure dans le Livre des procédures fiscales. De nouveaux moyens d’investigation existent aussi dans le domaine de la lutte contre la fraude documentaire, pour vérifier l’authenticité et la validité des titres présentés. Le contrôle par échantillonnage est prévu par les textes et permet d’extrapoler des sur l’ensemble de la structure considérée.

Il fut alors constaté qu’une part importante des fraudes est le fait d’hôpitaux, de cliniques ou de médecins plutôt que de particuliers, avec pour conséquence la production d’effets pervers.

B – Les effets pervers des outils de lutte contre la fraude

Selon Ph. Warin, le non recours aux prestations sociales est bien supérieur à la fraude.
Il faut ainsi mettre en balance les 4 Mds d’euros de fraudes avec les 5,3 Mds d’euros de non dépenses produits par le non recours au seul RSA.

Les effets pervers qui en sont induits ont tout d’abord été la stigmatisation des publics ayant recours aux prestations sociales car toute demande d’aide est perçue comme une preuve de faiblesse et par ailleurs paradoxalement, si le non recours représente une économie comptable pour la collectivité, ils constituent également une perte économique pour le territoire qui verse ces prestations, ainsi l’APA en permettant le financement d’auxiliaires de vie, favorise également l’emploi et les cotisations sociales qui y sont prélevées.

Ainsi, la lutte contre la fraude a-t-elle contribué à créer selon C. Despres, un double renoncement :

-  Un renoncement –barrière par lequel une personne renonce à la poursuite d’un objectif visant à soigner et recouvrer sa santé
-  Un renoncement –refus par lequel la personne renonce à un soin spécifique, en abandonnant la démarche d’obtention ou d’usage d’un soin curatif ou préventif

Christophe GEORGES ALBERT www.pack-ankh.fr