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Paris sportifs : « jouer comporte des risques ». Par Pierre Robillard, Avocat.
Parution : lundi 29 avril 2013
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Archi-médiatisée en raison de l’implication d’un joueur vedette, l’affaire des paris truqués dans le handball fait injustement passer au second plan ses ressorts juridiques. Et pourtant, ils montrent que derrière chaque sportif se cache un délinquant en puissance !

Il y a près d’un an, des handballeurs français défrayaient la chronique avec l’affaire des paris truqués, mais ils n’avaient rien inventé : ni l’amateurisme de leur démarche (les pieds nickelés avaient ouvert la voie dès 1908), ni le mode opératoire, déjà pratiqué dans d’autres disciplines mais surtout connu dans le monde de la finance.

Comment se prendre les pieds dans son propre filet ?

Revenons pour mémoire sur les faits : le 12 mai 2012 en une heure, la Française des jeux (FDJ) enregistre « un pic anormal » de paris sur le match entre le club de Cesson-Rennes (Ille-et-Vilaine) et le Montpellier Agglomération Handball (MAHB), prévu ce même jour en fin d’après-midi. Quelques parieurs misent un total de 87 880 € dans 3 bureaux de tabac à Paris, Rennes et Montpellier pour un rapport de 252.880 €, soit des montants 40 fois supérieurs à l’ordinaire et portant « à 99,94% » sur un score défavorable à Montpellier à la pause, selon le procureur. Les investigations menées tant sur les comptes bancaires des joueurs et leurs proches que sur leurs téléphones mobiles (localisation et écoutes) permettent de recueillir des aveux avant même le début des gardes à vues (au cours de laquelle la compagne du joueur vedette déclarera immédiatement avoir joué à la demande de celui-ci et avec son argent, retiré précédemment de son propre compte bancaire).

Bref, dès le départ de l’opération, tout était prévu pour qu’elle capote.
Rappelons toutefois que les paris sur le hand concernaient en 2011 2 % des enjeux (contre 55 % pour le foot) [1] et que, parallèlement, le salaire mensuel moyen d’un handballeur pro est de 4 521 € (contre 45 321 € pour un footeux de L1, le tout hors sponsors). Quel que soit son niveau d’implication, Nikola Karabatic (salaire mensuel de 30 000 € selon Challenges) est l’arbre qui cache la forêt tout en démontrant que l’appât du gain reste une valeur partagée par tous les êtres humains.

Initié toi-même !

Quant au mode opératoire, il fait écho à la notion de « délit d’initié », définie par l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier comme le fait, pour les personnes disposant à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un titre, de réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations.

Illustrée sur grand écran en 1987 dans « Wall Street », cette manipulation sera appliquée dès l’année suivante dans l’Hexagone dans d’autres superproductions : les affaires « Société Générale » et « Triangle Pechiney » ; et oui, en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées !

Comme on n’arrête pas une série qui cartonne, début février 2012 est sorti sur nos écrans « (soupçon de) délit d’initié n°229 » sous titré Areva / Uramin (le cours de bourse de cette société reprise par la société française avait subitement augmenté dans les 4 jours précédent l’annonce officielle, en parallèle avec le cours de l’uranium ; depuis, il a été divisé par 5 …).

Transposé à notre cas, les joueurs incriminés auraient donc parié (ou fait parier des relations) sur le résultat du match de leur propre club ; cette appartenance rend indubitable la détention d’informations privilégiées. Qui mieux que les joueurs peuvent savoir (prévoir ?) qu’ils vont perdre ? Les Italiens ont apporté la réponse à la fin des années 1990 : les arbitres ! Le scandale du « Calciopoli » aboutit en 2006 à des exclusions d’arbitres, de joueurs et la relégation de leurs équipes (Juve, Lazio, Milan AC …) en divisions inférieures. Episode 2 (2012) le « Calcioscommesse » vient d’éclater, on prend – presque - les mêmes et on recommence.

Un petit dernier pour la route : le 21 novembre 2012, on apprenait [2] que la justice américaine reprochait à un « hedge fund » (SAC Capital, filiale de CR Intrinsic Investors), d’avoir engrangé 276 millions de dollars entre 2006 et 2008 au moyen de délits d’initié. Ceux-ci ont porté sur les résultats de tests, non publics à l’époque, sur des médicaments pour traiter la maladie d’Alzheimer, avec l’aide du neurologue qui supervisait les essais cliniques sur le remède contre ce fléau. Grâce à ces « tuyaux », le trader spécialisé dans le secteur de la santé a pu obtenir un bonus de près de 10 millions de dollars en 2009. La mise en relation entre les protagonistes (trader-médecin) a été accomplie par une agence d’experts, à mi chemin entre le lobbying et le sourcing.

Initié, enlève ta casquette, on t’a reconnu !

Truquer un match est incontestablement plus délicat en sport collectif qu’individuel, mais également plus risqué (il y a plus de chances que cela se voit !) : le tennisman russe Davydenko peut en témoigner, lui qui a failli être victime d’une erreur judiciaire en août 2006 (il occupe alors la 4ème place à l’ATP) : après avoir remporté le premier set face à son adversaire (Arguello, 87ème mondial), les parieurs se mettent à miser sur sa défaite pour la modique somme de 5 millions d’euros, soit dix fois le montant habituellement constaté pour un rencontre de ce type. Après avoir perdu le deuxième set, il abandonne dans le 3ème à cause d’une fracture de fatigue … sans jamais avoir signalé la moindre douleur auparavant. Que Davydenko se rassure : les ignobles parieurs n’ont pas pu percevoir leurs gains puisque l’autorité compétente est intervenue à temps pour suspendre les jeux …

Truquer n’est pas jouer.

Revenons à nos handballeurs : un des arguments de la défense consiste à marteler que les joueurs impliqués dans les paris n’ont pas joué lors du match en question et, par conséquent, n’ont pu avoir aucune influence sur son issue.

Mais, au regard de la définition du délit d’initié ou de l’escroquerie, cela n’a aucun importance : en effet d’après l’accusation, ils disposaient d’informations leur laissant penser que leur club allait perdre et cela suffit à créer l’infraction.
D’ailleurs, ils ont bien gagné leurs paris (Montpellier a été battu 31-28) CQFD ! Suivant cette logique, l’affaire judiciaire aurait été identique si les mises avaient anticipé une victoire ; gageons que le traitement médiatique, lui, aurait été tout autre …

Pour éviter toute suspicion, il est interdit de parier sur un match de sa propre équipe (voire de sa discipline), un point c’est tout.

Initié à l’insu de son plein gré

Peu importe le moyen d’obtention des « infos privilégiées » : la loi sanctionne d’ailleurs aussi bien les initiés primaires que secondaires. Ces derniers, bien que non membres de l’entreprise (ou de l’équipe), sont ceux qui ont connaissance des données sensibles et les ont utilisées pour en tirer un profit. Ils encourent les mêmes sanctions mais la preuve de leur implication est souvent plus difficile à démontrer. Ayant horreur du vide, le législateur est allé plus loin en créant le délit de « recel de délit d’initié » : le détenteur de l’info sait qu’il a obtenue de façon illicite puisque son émetteur est initié.

Exemple : sur le bord du terrain, Nikola Karabatic déclare à Nelson Montfort « ce soir, les joueurs ne sont pas en forme » ou « notre gardien de but ne trouve plus ses lentilles de contact ». Le joueur est détenteur de l’info privilégiée. Si le journaliste répercute le propos dans Stade 2, il devient un délinquant en puissance ; s’il parie sur une défaite de son interlocuteur, il devient un délinquant tout court. Transmettre l’information peut donc être aussi répréhensible que l’utiliser.

Reste à faire la part des choses : un journaliste sportif peut toujours parier avec discernement grâce à son analyse de la situation, son expérience, de la même façon qu’un investisseur ayant étudié la situation de telle ou telle entreprise, en acquiert ou cède des actions sans être pour autant soupçonné de truquage … Ainsi, lorsque Basile Boli ou Bernard Diomède conseillent aux clients du Loto Foot (branche de la FDJ dont ils sont les représentants) de parier sur la victoire de telle ou telle équipe, ils ne sauraient être suspectés, quel que soit le résultat (on peut supposer que pour éviter tout malentendu leurs contrats contiennent une clause d’interdiction de parier directement ou indirectement).

Joyeux anniversaire, ARJEL !

Pour souffler ses deux bougies, l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne s’est donc offert un coup de projecteur. Née avec la loi du 12 mai 2010, elle avait eu l’occasion de se mettre en valeur avant l’intervention du MAHB : l’inespérée victoire de Lyon 7 à 1 sur le Dynamo Zagreb le 8 décembre 2011 avait d’autant plus attiré les regards qu’il fallait impérativement que les gones rattrape un goal average de … 7 buts ! L’ARJEL n’a toutefois détecté aucun mouvement suspect dans les paris cette fois-ci.

Il faut dire que la triche sportive, née avec le concept même de compétition, n’avait pas attendu la naissance des paris pour se développer. Et il n’est même pas nécessaire que les enjeux sportifs soient prégnants pour qu’elle prospère : dans notre match de hand, Montpellier était déjà sacré champion avant de rencontrer Cesson.

Dans son ouvrage « Comment truquer un match de foot ? », paru en 2009, Declan Hill explique qu’en corrompant 3 joueurs de l’équipe la plus faible sur le papier, le risque de se faire prendre est quasiment inexistant. La question a même touché indirectement l’icone Federer après sa défaite contre Nadal en finale de Roland-Garros 2006 : son agent (Theodore Forstmann, également propriétaire de l’agence d’images et droits sportifs IMG) a été inquiété après avoir parié sur la défaite de son protégé !

Le 1er octobre 2012, le Président de l’ARJEL, proposait d’ailleurs de retirer de la cote les matches sans enjeu.

Escroc, corrupteur, initié : bienvenue au club

Les protagonistes du match de hand qui nous intéresse sont actuellement mis en examen pour « escroquerie ». Schématiquement, il leur est reproché d’avoir, en leur qualité de joueurs, d’avoir trompé la FDJ. Nous sommes à mi-chemin entre le délit d’initié et la corruption. Cette dernière avait eu son heure de gloire lorsque Jacques Glassmann, footballeur de Valenciennes, fut approché par des dirigeants de l’OM en mai 1993 pour « lever le pied » et éviter les blessures, moyennant finance, lors du match de première division qui devait opposer les deux équipes, une semaine avant que les phocéens rencontrent Milan en finale de la Ligue des Champions.

Aujourd’hui, la loi tente de rattraper son retard sur l’ingéniosité des truqueurs : le 1er février 2012 a été instauré le délit pénal de corruption sportive, qui consiste à promettre, offrir, sans droit, des avantages quelconques à un acteur d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs, afin que ce dernier modifie, par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable de cette manifestation. Il s’agit de transposer le « délit d’initié » à la sphère sportive.

Faites vos jeux !

Reste donc à parier sur l’épilogue de cette affaire : à quelle peine seront condamnés les parieurs malhonnêtes du « Cesson-MAHB - Gate » ? On oublierait presque qu’ils pourraient être innocentés, parce que les faits poursuivis ne correspondent finalement pas à la définition légale, tout simplement parce qu’ils n’ont pas commis les faits ou encore pour un vice de procédure … Ils encourent entre 5 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (s’ils sont reconnus coupables d’escroquerie) ou 3 ans de prison et de 15 000 euros d’amende (corruption sportive) ; pour mémoire, le délit initié correspond quant à lui à 2 ans de prison et 152 450 € d’amende, pouvant aller jusqu’au décuple du profit réalisé sans pouvoir être inférieure à ce même profit.

Les sanctions sont donc bien éloignées de celles prononcées sous d’autres latitudes : 10 ans et demi de prison pour corruption au mois de juin 2012 contre les deux anciens dirigeants de la Fédération chinoise de football ; six ans et trois mois de prison contre le président du club de Fenerbahçe pour son implication dans un vaste scandale de matches truqués ; suspension à vie de 3 anciens capitaines des équipes pakistanaise, sud-africaine et indienne de cricket ...

Realpolitik

Au final, le sport a bien vite repris ses droits : Nikola Karabatic a été réintégré dans son équipe (puis transféré à Aix et pressenti vers Barcelone) ; il a même rejoué avec les Bleus. Certes, la valeur d’un joueur n’est pas une circonstance atténuante, mais son frère Luka a quant à lui été licencié … pour être aussitôt embauché par un autre club.

L’affaire n’est pas close, ni sur le plan du droit du travail, ni sur celui du droit pénal. Le premier a, cette fois-ci, été plus rapide que le second ; sur le plan économique, les choses sont allées encore plus vite, le scandale ayant fait fuir les sponsors personnels et collectifs. Le handball peut néanmoins se rassurer en prenant l’exemple du cyclisme, où les nombreuses affaires n’ont finalement jamais effrayé bien longtemps les partenaires (la marque Festina reconnaissant même que son chiffre d’affaires avait augmenté après 1998).

L’instruction pénale en cours peut durer plusieurs mois, jusqu’à ce que le Parquet et le Juge décident des suites à donner : non-lieu ou renvoi devant le tribunal correctionnel.

Enfin, sur le plan sportif, après avoir écopé de 6 matches de suspension, 3 des 7 joueurs de Montpellier (dont Nikola K.) ont été innocenté en appel au bénéfice du doute ; pour les 3 autres (dont Luka K.), le jury de la Fédération de Hand a minoré la sanction initiale en l’assortissant partiellement d’un sursis.

A suivre !

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

[1source : Autorité de Régulation des Jeux en Ligne [ARJEL]

[2source : « Les Echos »

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