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Dénigrement sur Internet et forum de discussion : suivez le guide (2). Par Romain Darriere, Avocat et Marion Barbezieux, Juriste.
Parution : mardi 14 mai 2013
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Dans notre précédent article, nous nous proposions de faire le point sur le régime de responsabilité applicable en cas de tenue de propos diffamatoires ou injurieux sur un forum de discussion. Mais que se passe-t-il lorsque, au lieu d’être diffamants, les propos en cause se contentent de dénigrer des produits ou services sans expressément désigner la personne physique ou morale qui les fournit ?

D’un point de vue légal, la critique d’un produit ou d’un service et la critique de la personne qui en est à l’origine sont deux choses bien distinctes. En effet, si propos diffamants et propos dénigrants peuvent tous deux avoir vocation à jeter le discrédit sur une personne, le régime de responsabilité diffèrera sensiblement selon qu’ils comprennent la désignation expresse d’une personne physique ou morale.

C’est ainsi que la jurisprudence énonce de manière constante que « les appréciations même excessives, concernant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle et commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’elles ne concernent par une personne physique ou morale déterminée  » (Civ 1ère, 30 mai 2006). Autrement dit, l’absence de désignation de la personne ou de précisions permettant de l’identifier fait échec à toute action en diffamation. Seule la responsabilité civile délictuelle restera applicable au cas de dénigrement. C’est ainsi que des critiques gastronomiques ou encore des critiques relatives à un site Internet (TGI Paris, 8 juin 2012) ne pourront être attaquées, lorsqu’elles sont abusives, que pour dénigrement sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.

Reste encore à déterminer les personnes susceptibles d’être poursuivies sur ce fondement. Le régime de responsabilité en cascade de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 précédemment étudié ne s’appliquera en effet pas aux cas de dénigrement puisqu’il ne concerne que les infractions de presse réprimées par la loi de 1881. Le droit commun, et notamment la loi du 21 juin 2004 (dite LCEN), retrouve alors son empire. La notion de « producteur » n’ayant plus lieu d’être, seules deux possibilités s’offrent à la victime de dénigrement : agir contre l’auteur des propos ou contre le forum. Notons toutefois que l’éventuelle action en responsabilité contre le forum dépendra encore de son statut juridique, lequel peut être, selon la loi du 21 juin 2004, celui :

• D’éditeur d’un service de communication au public en ligne, défini comme étant “la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu‘il a créé ou dont il a la charge" (TGI Paris, 3ème ch., 22 novembre 2012) ;

• D’hébergeur, défini comme la « personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (article 6 I-2° LCEN)

L’enjeu de la qualification d’éditeur ou d’hébergeur est de taille, car alors que le premier est responsable de plein droit, le second bénéficie d’un régime de responsabilité atténuée. L’article 6-I-2 de la LCEN dispose en effet que la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée s’il n’avait pas « effectivement connaissance » du « caractère illicite  » des contenus fournis par des destinataires de ses services ou « de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère  » ou si, dès le moment où il a eu cette connaissance, il a « agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Rien d’étonnant donc à ce que le débat jurisprudentiel se soit cristallisé autour de la délimitation de la frontière entre éditeur et hébergeur. Et c’est la qualification d’hébergeur qui semble, au vu de la jurisprudence dominante, devoir être retenue à l’encontre du site fournissant des services de forum (voir en ce sens le contentieux relatif à l’association Lesarnaques.com, et notamment la décision du TGI de Paris en date du 22 novembre 2012). La responsabilité des forums de discussion pourra donc être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, dès l’instant où la notification du retrait du contenu litigieux n’aura donné lieu à aucune action prompte de leur part.

Reste que la poursuite de la société qui fournit le service de forum, si elle est possible, n’est pas forcément opportune. Et ce parce que la jurisprudence fait preuve d’une certaine clémence envers les hébergeurs. C’est ainsi que, par deux ordonnances de référé en date du 4 avril 2013, le Tribunal de Grande Instance de Paris est venu rappeler que :

• d’une part, l’hébergeur n’est tenu de retirer que les contenus manifestement illicites (pédopornographie, apologie de crimes contre l‘humanité, incitation à la haine raciale,…), ce qui n’est à l’évidence pas le cas de propos dénigrants ;

• d’autre part, l’hébergeur n’a pas à apprécier le caractère diffamatoire (ou dénigrant) d’un contenu, dès lors que cette appréciation « suppose une analyse des circonstances ayant présidé à [la] diffusion [des vidéos et écrits], laquelle échappe par principe à celui qui n’est qu’un intermédiaire technique.

Ainsi, à partir du moment où l’hébergeur n’a pas à apprécier le caractère manifestement illicite de propos ambigus, une action en responsabilité intentée à son encontre aura peu de chances d’aboutir. Dans ces conditions, mieux vaut se retourner contre l’auteur des propos litigieux et demander à cette fin au forum, par voie de requête, la communication des données personnelles permettant de l’identifier afin de l’assigner directement sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris Marion Barbezieux Juriste Cabinet Romain Darrière http://romain-darriere.fr/
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