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L’assistance éducative, facteur d’accélération de l’aliénation parentale ? Par Jean Pannier, Avocat.
Parution : mercredi 22 mai 2013
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Les décisions courageuses qui osent associer ces deux réalités que sont les mesures d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) et l’aliénation parentale pour acter un constat d’échec sont encore assez rares mais il en existe.

Comme celle-ci rendue le 8 février 2013 par le Juge des enfants du Tribunal de Grande Instance de Bayonne, intitulée : « Jugement de fin de suivi et de clôture » :

« Nous, Madame D, juge des enfants au Tribunal de Grande Instance de Bayonne,
Vu les articles 375 et suivants du Code civil et 1200 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu la procédure d’assistance éducative en faveur de…
Vu les précédentes décisions auxquelles il convient de se référer ;
Vu l’avis de Madame le Procureur de la République…
Vu l’audience de ce jour à laquelle a comparu X…(l’enfant) puis Mme Y assistée de Me Z…, Monsieur … et Monsieur…représentant le service d’AEMO (Mesure d’assistance éducative en milieu ouvert) ;

Il convient de se reporter aux précédentes décisions pour appréhender le déroulement de la procédure d’assistance éducative. La situation de X… (l’enfant) peut être qualifiée d’aliénation parentale. Face à son refus de toute rencontre et de tout contact avec son père avec des réactions très vives aux tentatives, et pour faire réagir mère et fille avait été ordonné lors de notre dernière audience un placement séquentiel au GAAM de la Maison d’enfants à… Madame Y…avait contesté cette décision et la Cour d’appel est revenue à une mesure d’AEMO au constat que cette décision de placement a provoqué chez X…(l’enfant) une profonde angoisse, un malaise intense, un désinvestissement scolaire et de ses activités.

La mesure d’AEMO est inefficiente dans le sens que rien ne bouge dans le positionnement fermé de X (l’enfant) à l’égard de son père, que si la mère affiche une volonté de collaborer, on peut s’interroger sur sa réelle participation à une reprise de liens père-fille, M....(le père) lui-même reconnait l’inefficience de l’intervention, par ailleurs, par ailleurs X…est une jeune fille qui évolue bien sur les autres plans et qui bénéficie d’une certaine ouverture sur l’extérieur.

L’intervention éducative ne peut atteindre l’objectif fixé, ni même débuter un travail sur cette question du lien père-fille. Elle ne sert à rien.
Certes, X… demeure une adolescente en danger au sens qu’elle n’entretient des liens qu’avec sa mère, pas avec son père, et n’a aucun recul sur le positionnement maternel dans cette séparation du couple parental sans que soit expliquée cette réaction, avec le risque d’une altération de son libre-arbitre, d’une absence de pluralité de repères identificatoires. Sur tous les autres plans X… est une jeune qui va bien actuellement.

Toute mesure d’assistance éducative apparait ainsi inefficiente. Il convient de clôturer sur ce constat l’échec de notre intervention.

PAR CES MOTIFS

Dit n’y avoir lieu en l’état à intervention concernant X…née le …
Ordonne le clôture de la présente procédure en assistance éducative. »

N’ayons pas peur des mots, cette décision est tout simplement un rayon de lumière, un immense espoir dans l’enfer de l’assistance éducative dont on se demande pourquoi, au vu des nombreuses mesures d’AEMO qui n’ont fait qu’aggraver des conflits de loyauté naissants, les juges pour enfants continuent d’y rester attachés avec l’espoir d’une amélioration.

Alors qu’ils se sont fait balader, assez souvent et d’entrée de jeu, par une requête fabriquée pour les besoins de la cause par des parents prêts à tout pour parvenir à leurs fins. C’est finalement une sorte de prime à la casse que leur offre la justice et cela, forcément, ne va pas manquer de donner des idées à d’autres parents acharnés à la perte de leur ex par enfant interposé ; ça marche étonnamment assez facilement comme ont pu le déplorer de nombreux parents évincés. On n’est pourtant pas loin de l’injure à magistrat.

C’est le drame de notre chère justice réputée très routinière qui semble attachée à ses réflexes. Mais on ne sait pas si c’est par peur de l’inconnu ou par manque d’imagination. Pourtant, une mesure d’assistance éducative n’est souvent rien d’autre qu’une source de violence sur enfant qu’on devrait « prescrire » avec précaution. Mais les juges n’ont guère de comptes à rendre, ils risquent tout au plus de ne pas être suivi par leur cour d’appel. Ce qui est d’ailleurs fort rare en cette matière.

Si certaines affaires méritent un traitement énergique qui passe par une AEMO la généralisation de cette solution pose plus de problèmes qu’elle n’en résout dès lors qu’il s’agit d’enfants manipulés qu’il faudrait, au contraire, sortir du piège avec fermeté.

Le résultat vécu par ces innombrables enfants-soldats et leur parent évincé c’est que la justice soi-disant éclairée s’accommode, sans état d’âme, de porter la lourde responsabilité d’aggraver des situations qu’elle a pourtant pour mission d’apaiser. Comme si elle ne percevait pas la différence entre un enfant libre de sa parole et un enfant qui montre des signes évidents d’instrumentalisation.

Vu la tendance actuelle, on ne peut que saluer le courage du juge qui ne suit pas la trace moutonnière de ses collègues.

Décortiquons maintenant les séquences significative de la décision ci-dessus. Tout y est, même l’allusion à l’aliénation parentale que la plupart des juges considèrent toujours comme un gros mot qui agace. Au point que l’espoir d’obtenir, de la part de ces juges-là, la désignation d’un expert psy qui n’est pas, par principe, hostile à la notion d’aliénation parentale est totalement illusoire car ils vont bien évidemment désigner un expert qui pense comme eux. C’est plus commode pour écarter les arguments de l’avocat du parent aliéné qui comprendra vite que les dés sont pipés.

Mme Mireille LASBATS, psychologue clinicienne, expert près la cour d’appel de Douai, explique :
« Le syndrome d’aliénation parentale mentale est le processus où l’enfant est amené par un parent, de façon plus ou moins subtile, à partager un ensemble d’idées et de perceptions fausses, déformées ou exagérées sur l’autre parent. »

L’enfant devient graduellement captif du mode de pensée du parent aliénant.
Il y adhère totalement et véhicule, à propos de l’autre parent, des propos insensés, voire des allégations de tout genre qui font douter le professionnel de la capacité parentale du parent aliéné.
L’analyse d’un ensemble de cas caractéristiques permet de démontrer les influences pathogènes d’une telle situation.
Dans tous les cas, l’enfant est exposé à des dangers menaçants son équilibre personnel et l’évolution de sa personnalité.
Lorsque les prérogatives parentales sont démesurées, au point d’entraîner une relation parentale exclusive et nier les prérogatives de l’autre, la situation peut, dans ses conséquences immédiates ou à long terme, placer l’enfant dans une position dite de danger, eu égard à son évolution psychoaffective.
Des auteurs ont dénoncé le trouble qui apparaît dans le contexte de dénigrement injustifié d’un parent par l’enfant : c’est le syndrome d’aliénation parentale.

Deux facteurs contribuent à la constitution du syndrome d’aliénation mentale :
1. la combinaison de la manipulation par un parent,
2. la propre contribution de l’enfant à la calomnie du parent cible ».

Il semble bien que le juge de Bayonne ai identifié cette souffrance chez l’enfant : 1° « La situation de X… (l’enfant) peut être qualifiée d’aliénation parentale  ».

Le mot est lâché, qui mérite un peu d’écho. Mais il faudrait d’autres décisions comme celle-ci pour mettre le doigt sur la plaie comme avait su le faire en termes tout aussi percutants le JAF de Toulon dans un jugement quasi-précurseur que nous avions commenté à la Gazette du Palais [1].

Grâce à cette publication ce jugement avait été signalé dans le rapport annuel de la Défenseure des enfants au Président de la République (Rapport 2008) largement consacré à l’aliénation parentale. Mais revenons au jugement de Toulon en date du 4 juin 2007 :

«  L’expertise psychologique a mis en évidence le lien entre le comportement des enfants et le discours négatif que tient la mère à l’encontre du père.
De ce fait, les enfants ne s’autorisent pas à se rapprocher de leur père. Pris dans un conflit de loyauté, ils expriment un sentiment de culpabilité à l’égard de leur mère s’ils admettent désirer voir leur père.
Il est urgent de faire cesser cette dictature affective qui pèse sur les enfants et dont l’un d’eux commence à se faire le relai.
L’expertise psychologique a relevé une forte immaturité affective chez ces enfants qui sont instrumentalisés et dont l’épanouissement personnel est en danger. Ils présentent tous deux des perturbations au niveau de leurs repères familiaux et l’un d’eux possède d’ailleurs à cet égard une représentation familiale faussée puisque c’est le compagnon de la mère qui a pris la place du père.
Ces enfants, qui sont victimes du syndrome d’aliénation parentale, dont la mère est à l’origine, doivent maintenant pouvoir en toute sérénité avoir des contacts réguliers avec leur père pour qu’ils puissent renouer confiance avec celui-ci, qui ne doit plus être une source d’anxiété alimentée par la mère. »

Le scénario est archi classique mais la justice préfère le plus souvent ne pas voir l’évidence et se laisser alors embarquer par une plainte grossière, par nature parfaitement suspecte, fabriquée sur mesure, comme ce fut le cas à Toulon, avec comme toile de fond une sordide accusation d’attouchement qui s’est soldée par une relaxe…mais, hélas, sans frais pour la plaignante.

C’est depuis longtemps un grand classique qui continue d’agiter les policiers…et les juges sans qu’ils prennent garde au risque que fait courir à l’enfant manipulé le parent aliénant. On passe alors beaucoup de temps à vérifier…ce qui est le plus souvent invérifiable. Pendant ce temps-là, l’enfant forcément impressionné et conforté par le spectre judiciaire devient une arme redoutable, il est piégé et a bien peu de chance, vu son jeune âge de prendre un recul salutaire. Là-dessus, au moins, les spécialistes s’accordent pour essuyer une larme.

Finalement, alors que le droit a pas mal progressé, la pratique judiciaire, elle, nous donne l’affligeante démonstration du contraire y compris d’ailleurs devant les cours d’appel lorsque les juges d’appel, par exemple, prennent pour argent comptant les lettres parfaitement rédigées - c’est-à-dire sans fautes avec des lignes bien droites – par des enfants-soldats, pour reprendre l’expression du psychiatre Paul BENSSUSSAN [2]. Un juge expérimenté ne peut pas ignorer que ces enfants sont prisonniers d’un conflit de loyauté, joli nom pour caractériser le résultat d’un travail de sape.

Sauf que, quand une exception surgit, il ne faut pas se priver de la publier pour rendre à César… Nous avions évoqué une décision de la Cour d’appel de Grenoble qui, une fois n’est pas coutume, avait soumis la lettre « fabriquée » à un expert pour pouvoir dénoncer et neutraliser la supercherie. [3]

2° « La mesure d’AEMO est inefficiente dans le sens que rien ne bouge dans le positionnement fermé de X (l’enfant) à l’égard de son père… »

Le constat du juge des enfants de Bayonne est ici frappé au coin du bon sens mais il est d’autant plus remarquable qu’il ne reflète absolument pas la pratique judiciaire en cette matière habituée à faire durer les mesures d’assistance éducative, y compris lorsque le constat d’échec est patent. C’est alors que le mal insidieux risque de transformer le conflit de loyauté en syndrome d’aliénation parentale, le fameux SAP tant décrié. Même si le mot syndrome n’est pas nécessaire pour caractériser le fléau lui-même reconnu pourtant depuis longtemps par la Cour européenne elle-même.

Quant aux substituts des procureurs appelés à donner un avis dans ces procédures, ils sont le plus souvent enclins à préconiser la prolongation d’une AEMO pourtant décevante pour ne pas dire inutile ce qui avantage énormément, du même coup, le parent aliénant pour continuer son œuvre de destruction méthodique. Et permet à ce dernier de dire à l’enfant : « tu vois, le juge et le procureur sont avec moi ». Effet garanti. Ainsi la messe est dite et le mal va pouvoir tranquillement prospérer, tel un cancer, dans la durée avec la bénédiction des juges. L’autorité judiciaire a mal fait son boulot, elle porte en cela une terrible responsabilité.

Cette attitude inconséquente justifierait dans bien des cas de saisir l’Inspection générale des services judiciaires car il y va de la santé psychologique et morale de l’enfant et du parent évincé qui deviennent, du fait de mesures judiciaires totalement inadaptées de véritables victimes. Aujourd’hui, on peut saisir directement cette Inspection qui dépend du Garde des Sceaux.

Ce qui ne veut pas dire que les situations d’aliénation parentale dénoncées par tel ou tel parent soient systématiquement le reflet de la réalité. Loin s’en faut, certains parents ayant largement abusé de cette facilité, ce qui ne manque pas d’affaiblir les vraies victimes lorsque le SAP est bien là, même pas embusqué.

Mais ce ne sera jamais une raison de nier l’existence de l’aliénation parentale comme s’ingénient à le faire quelques psy « négationnistes » qui courent les colloques pour se faire une réputation.

Bref le sujet passionne mais on va aujourd’hui, certes à petits pas, vers une reconnaissance médicale de l’aliénation parentale. Il existe déjà une thèse de doctorat en médecine sur le sujet. [4]

A vrai dire, le plus important n’est pas de s’accrocher à une bataille sémantique sur l’existence ou non d’un syndrome – ce mot qui enflamme les passions – mais de constater que le conflit de loyauté peut faire des ravages pouvant atteindre, si l’on ne prend aucune initiative pour le réduire, une forme supérieure dangereuse qu’on peut bien qualifier d’effet turbo si on veut faire un pied de nez aux « négationnistes » qui ne brillent pas par leur sens des réalités. Le spectacle d’un enfant en grande souffrance devrait pourtant les bousculer dans leurs certitudes.

Notre propos est ici de dénoncer la pratique abusive et totalement à contre-emploi des mesures d’assistance éducative renouvelées à loisir sans qu’on en perçoive pour autant les effets positifs et encore moins les dommages accumulés. Elles constituent le plus souvent une solution de facilité préjudiciable au rétablissement des relations parent-enfant et vont d’ailleurs – c’est tout de même un comble - à l’encontre de la jurisprudence constante de la Cour de cassation trop éloignée du terrain.

« …que si la mère affiche une volonté de collaborer, on peut s’interroger sur sa réelle participation à une reprise de liens père-fille… »

Là encore, le juge des enfants de Bayonne enfonce le clou en des termes non équivoques mais malheureusement trop rarement utilisés dans les décisions judiciaires parce que tout simplement cela priverait les juges de leur propension routinière consistant à prolonger les mesures d’assistance. Cette incapacité à réagir au mal-être de l’enfant est terrifiante.

Et ceci d’autant que, la plupart du temps, le juge des enfants va ordonner le renouvellement de l’AEMO comme si les parents avaient forcément besoin d’un arbitre pour continuer le jeu de massacre. On comprend bien que la prolongation d’une AEMO qui a fait la démonstration de son inefficience, pour reprendre l’expression du Juge de Bayonne, va donner l’avantage au parent aliénant pour persévérer dans sa stratégie. Ce qui est totalement contraire à l’intérêt de l’enfant mais aussi aux principes fixés par la Convention européenne des droits de l’Homme que la France a signée.

S’agissant plus particulièrement de l’obligation pour l’Etat d’arrêter des mesures positives, la Cour européenne a déclaré à de nombreuses reprises que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir à son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre. (Ignaccolo-Zénide c.Roumanie, n°31679/96 ; Nuutinen c. Finlande, n°32842/96 ; Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, n°5673/00 ; Monory c. Roumanie et Hongrie, n°71099/01).

Outre cela, la Cour précise que les obligations de l’article 8 de la Convention fait peser sur les Etats contractants en matière de réunion d’un parent doivent s’interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
A part ça on vous explique, la main sur le cœur, que même un repris de justice incarcéré ne doit pas être privé de ses droits c’est-à-dire de ses liens avec ses enfants. Mais il est vrai qu’on a pu préserver les intérêts familiaux d’individus particulièrement dangereux pour la société tandis que des parents parfaitement normaux – mais maladroits – ont définitivement perdu toute relation avec leur enfant.

Comment comprendre cet aveuglement des juges et des procureurs à l’égard du danger que va continuer à faire progresser le renouvellement d’une AEMO ? Cette dérive répond à une certaine perception qui ne dit pas son nom : cela s’appelle la politique du fait accompli qui consiste, pour le juge et ses auxiliaires à considérer que le mal est fait et qu’il est inenvisageable de revenir en arrière. Alors oubliez votre enfant ! Voilà l’état d’esprit qui transpire aussi à la lecture de nombreux rapports des services sociaux voire aussi des expertises. Les choses, lit-on dans ces rapports, sont allées beaucoup trop loin, la rupture est consommée. Reste alors à la mettre en musique en y mettant les formes.

Et l’on s’éloigne ainsi un peu plus du droit et de l’intérêt bien compris de l’enfant dont la parole sacralisée sur tous les tons par des imbéciles n’est plus, en réalité, que « la voix de son maître ». C’est totalement consternant mais cela se passe tous les jours ainsi dans beaucoup de tribunaux pour enfants.

4° « …par ailleurs, par ailleurs X…est une jeune fille qui évolue bien sur les autres plans et qui bénéficie d’une certaine ouverture sur l’extérieur. »

L’affaire est entendue, si l’enfant évolue bien sur les autres plans et fait preuve d’ouverture sur l’extérieur, à quoi bon risquer de l’asphyxier avec une mesure d’assistance qui n’a rien donné de bon ? Le juge des enfants montre ici un vrai sens de sa responsabilité. Bien sûr, il fait involontairement de l’ombre aux autres qui demeurent englués dans leur logique d’infaillibilité et dans leur croyance aux vertus d’une solution – l’AEMO – qui n’a cessé depuis son invention de montrer sa très contestable efficacité. C’est un échec avéré que les juges sont souvent incapables de remettre en question alors que le prix à payer va s’avérer très lourd, surtout pour l’enfant. Parce que, dans leur esprit, le fait accompli est passé par là.
On ne lit malheureusement que très rarement cette analyse dans les publications.

« L’intervention éducative ne peut atteindre l’objectif fixé, ni même débuter un travail sur cette question du lien père-fille. Elle ne sert à rien. »

Voilà une conclusion qui remet les pendules à l’heure. Ce n’est, hélas, guère l’habitude dans la pratique des juges de reconnaitre qu’on a engagé une procédure d’assistance « inefficiente », autrement dit qu’on s’est trompé. C’est un autre aspect de la routine judiciaire qui sévit depuis la nuit des temps. Il suffit de constater qu’aujourd’hui encore les révisions de procédures criminelles se comptent sur les doigts d’une main. C’est l’état d’esprit maison : la justice est infaillible, admettre une faille dans cette religion revient à fragiliser les colonnes du temple.

Mais il y a pire encore dans les affaires d’enfants.

En effet, dans ces procédures les services sociaux en charge d’une mesure d’AEMO ont rarement l’autonomie souhaitable – ne serait-ce qu’en raison d’un statut d’infériorité par rapport au juge - pour signaler, dans leurs rapports au juge, ce qui n’a pas pu leur échapper, c’est à dire l’inefficience d’une mesure… qui est – ne l’oublions pas - la raison de vivre de l’association dont ils dépendent. On entend d’ici les grincements de dents.
Au contraire, les services sociaux prennent le plus souvent bien soin de prendre le vent, c’est-à-dire de chausser les patins du juge pour ne pas s’écarter du bon chemin qu’on leur indique subtilement. Pas toujours subtilement d’ailleurs. Une simple conversation avec le juge leur permet de recueillir la bonne parole pour ne pas risquer de se tromper de direction dans leurs rapports. C’est d’ailleurs à peu près le même risque qui est souvent constaté chez les avocats d’enfants désignés qui s’empressent, eux aussi, de « flairer » l’orientation du juge. C’est tellement plus confortable.
Face à un juge des enfants chef d’orchestre d’un système consensuel parfaitement maîtrisé et hostile à toute forme de prise en compte du SAP, le parent aliéné n’a aucune chance d’être entendu. Certes il existe des exceptions à ces tendances naturelles mais le réflexe judiciaire consiste bien souvent, hélas, à les neutraliser par la suite. Dans ce paysage inquiétant, n’oublions pas l’expert qui ne sera pas souvent choisi au hasard mais bien sur sa conformité aux idées du juge. On les retrouve d’ailleurs souvent ensemble dans les colloques. Qui osera dire que ce n’est pas vrai ?

Dans les couloirs, y compris au plus haut niveau de l’appareil judiciaire on sait fort bien tout cela et on vous confie en aparté que le contentieux de la famille est globalement calamiteux. La Cour de cassation elle-même n’y peut pas grand-chose puisqu’elle ne voit venir à son niveau qu’à peine 1% des affaires. Nous sommes donc en présence d’une tendance lourde très difficile à réduire. D’où l’utilité d’alerter à tous les niveaux possibles.

Et peu importe qu’outre l’échec de la plupart des AEMO en termes de dégâts occasionnés chez les enfants en raison de la durée des procédures, l’affaire engage chaque année des budgets colossaux sans résultats significatifs. Qu’en pense la Cour des comptes ?

Le système judiciaire, au plus haut niveau, ne semble pas trop se soucier de ce que cela peut coûter à la collectivité alors que les chiffres sont accablants. C’est encore et toujours la mode étonnante du politiquement correct ou de la pensée unique qui facilite toutes les dérives. En ces temps de crise durable, l’occasion est pourtant bonne d’y réfléchir.

En conclusion, on peut s’interroger sur le sens de laisser perdurer un mécanisme d’assistance éducative qui, dans bien des situations - est loin d’avoir apporté les résultats positifs qu’on était en droit d’en attendre. On peut surtout s’interroger sur la rareté de décisions, comme celle-ci, qui contribuent pourtant de manière efficace à mettre un terme à la souffrance des enfants manipulés et entrainés dans des procédures qui font penser à un bateau ivre.

Mais rassurez-vous, il y en a d’autres qui mériteraient aussi un peu de recul à l’usage, comme par exemple la multiplication des relations parent-enfant dans les points-rencontres. Vous savez, ces lieux idéalisés par notre justice toujours éclairée où les enfants subissent la visite du parent rejeté, le plus souvent en baissant la tête pendant l’heure chichement accordée. Situation idéale pour actionner avec acharnement la scie qui va permettre d’accélérer l’élimination du lien parental qu’on prétendait pourtant préserver. Là non plus, il ne faut pas trop compter sur les alertes des associations qui gèrent ces lieux de souffrance et constatent l’ampleur des déchirements qui se passent sous leurs yeux…puisqu’elles en vivent. Finalement on est encore au moyen-âge de l’approche de ces situations de crise. Même si internet à largement permis aux associations de parents évincés de communiquer, la partie est inégale face à un pouvoir judiciaire qui a rarement à rendre des comptes.

Selon Françoise DOLTO, médecin psychiatre expert : «  on ne protège pas la sécurité de la relation en privant l’enfant de la connaissance de l’autre parent. C’est au contraire, la promesse d’une très grande insécurité future, et qui serait déjà présente dès la mise en œuvre d’une telle mesure, puisque c’est une annulation d’une partie de l’enfant par laquelle il lui est signifié implicitement que cet autre est quelqu’un de dévalorisé et de fautif  ».

Mais puisqu’on vous dit que les juges aiment les enfants.

Un vrai regret encore, pourquoi les soi-disant grands spécialistes du droit de la famille hésitent-ils à mettre le doigt sur la plaie dans les innombrables publications consacrées à la matière ?

Un grand coup de chapeau alors au président du Tribunal de Grande Instance de Tarascon qui, lui, développe inlassablement son inquiétude en mettant le doigt sur la plaie. [5]

Mais, encore une fois… « vox clamens in deserto » !

{{Jean PANNIER _ [->jean.pannier@gmail.com] _ Docteur en droit _ Avocat à la Cour de Paris}}

[1TOULON (JAF) 4 juin 2007, Gaz. Pal. 18-20 novembre 2007, note J. Pannier.

[2La dictature de l’émotion. « La protection de l’enfant et ses dérives ». Paul BENSUSSAN et Florence RAULT. Ed. Belfond, 2002

[3Chambre des Urgences de la Cour d’appel de Grenoble (RGN- O6/00460) 6 décembre 2006 cité in « Les avocats d’enfants ou Les limites du politiquement correct. » Village de la Justice 12 novembre 2009

[4Le syndrome d’aliénation parentale. Bénédicte GOUDARD Thèse de doctorat en médecine https://www.village-justice.com/articles/Syndrome-Alienation-Parentale,4857.html

[5Voir les nombreux articles de Mac JUSTON sur le site Acalpa.info à la rubrique Bibliothèque

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