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Courrier de reproches et menaces de l’employeur suivi d’une rupture conventionnelle : risque RH ! Par Nadine Regnier Rouet, Avocat.
Parution : jeudi 6 juin 2013
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Peut-on signer une rupture conventionnelle lorsqu’il existe un différend entre le salarié et l’employeur ? Vaste débat sur lequel la Cour de cassation se prononce fermement : oui !
Mais… Attention à ce que l’expression de ce différend ne prenne pas les contours d’une menace dans les courriers envoyés par l’employeur au salarié au moment de la rupture conventionnelle !
Par une décision du 23 mai 2013 (n° 12-13865), la Cour de cassation précise ces deux principes.

Si plus d’un million de ruptures conventionnelles ont été signées depuis la création légale de ce dispositif juridique en 2008, les juges de la Cour de cassation voient depuis peu arriver sur leurs bureaux les premiers dossiers de contentieux. Ils ont ainsi l’occasion de prendre position sur la loi récente et d’en affiner les mesures. Il est donc capital de suivre les décisions rendues pour éviter des faux-pas lourds de conséquences.

Premier principe
La rupture conventionnelle est valablement conclue même lorsqu’il existe un litige entre l’employeur et le salarié

Par une décision du 23 mai 2013 (n° 12-13865), la Cour de cassation tranche le débat qui agite depuis plusieurs années les Cours d’appel sur cette question et cause des décisions de justice opposées entre les cours qui admettent la validité de telles ruptures et celles pour qui il est inconcevable qu’une rupture conventionnelle fasse suite à l’expression d’un différend entre l’employeur et le salarié.

Cette prise de position est donc salutaire puisqu’elle est de nature à unifier la jurisprudence en précisant la loi et à permettre à ceux qui souhaitent conclure une telle rupture de savoir à quoi s’en tenir.

La Cour de cassation précise nettement :

« L’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture [conventionnelle] ».

Par conséquent, l’employeur et le salarié qui ont un litige entre eux dans le cadre du contrat de travail - et qui ont rendu ce différend public, d’une manière ou d’une autre, de sorte que son existence peut être attestée en justice - peuvent légitimement recourir à la rupture conventionnelle pour mettre fin au contrat de travail alors même que ce litige est établi au moment où ils se mettent d’accord sur les modalités de la rupture conventionnelle.

Ils ne sont pas obligés de se tourner vers d’autres ruptures (démission, licenciement, notamment). Or, c’est la position stricte qui découlait de certaines décisions de cours d’Appel, position que prônaient par prudence nombre de juristes et auteurs.

Grâce à ce signal fort de la Cour de cassation, les employeurs et les salariés en désaccord sur une ou des modalités du contrat de travail devraient être en mesure de rompre ce dernier par le moyen d’une rupture conventionnelle sans craindre une remise en cause ultérieure de cette forme de rupture choisie par eux…

…A condition de respecter ce qui fait le socle juridique de la rupture conventionnelle : le consentement volontairement donné par l’une et l’autre des deux parties au contrat de travail.

C’est le second enseignement de cette décision.

Et c’est du consentement donné par le salarié dont les juges se soucient.

Second principe
Menaces et violence morale vicient le consentement du salarié et s’opposent à la validité de la rupture conventionnelle

C’est la seconde partie de la règle posée, plutôt rappelée, par la Cour :

« La rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. »

Si l’existence d’un litige ou des reproches formulés par l’employeur, comme dans cette affaire, ne rendent pas impossible la conclusion d’une rupture conventionnelle entre ce dernier et le salarié, c’est à la condition que le salarié donne librement son accord à cette rupture, sans pouvoir ensuite démontrer qu’il a en fait été menacé par l’employeur.

Dans cette affaire, une avocate salariée soutenait que son employeur l’avait menacée d’un licenciement - fondé sur des griefs professionnels - qui était « de nature à ternir son avenir professionnel  » pour exercer sur elle des pressions visant à lui faire accepter une rupture conventionnelle. Elle produisait le courrier de son employeur, précédant la signature de la rupture conventionnelle, qui indiquait :

« Le manque de confiance dont vous faites l’objet de la part des clients, de vos partenaires et de vos collègues apparaît incompatible avec le maintien de vos fonctions en l’état au sein de la société SJVL.
Il ne m’apparaît pas néanmoins opportun, compte tenu de la spécificité du statut d’avocat, collaborateur salarié, de mettre en avant vos erreurs et manquements de façon plus précise, ni d’engager une procédure unilatérale, avant d’examiner avec vous la possibilité d’une mesure alternative qui préservera des relations confraternelles et ne ternira pas la poursuite de votre parcours professionnel.
Une rupture amiable me semble être la voie la plus adaptée
à notre statut professionnel spécifique »
.

La salariée produisait également ses arrêts de travail successifs à la suite de la réception de ce courrier.

La Cour d’appel a analysé ce courrier et a considéré que « L’employeur

(1) avait menacé la salariée de voir ternir la poursuite de son parcours professionnel en raison des erreurs et manquements de sa part justifiant un licenciement et
(2) l’avait incitée, par une pression, à choisir la voie de la rupture conventionnelle… »

Les juges en ont conclu que « le consentement de la salariée avait été vicié  ». Elle n’avait pas, de son plein gré, choisi de rompre son contrat de travail par une rupture conventionnelle.

Cette décision d’appel est approuvée par la Cour de cassation.

La salariée obtient la requalification de la rupture conventionnelle en un licenciement. Il s’agit d’un licenciement abusif ou sans motif réel et sérieux qui entraîne l’octroi à la salariée du préavis avec les congés payés, de l’indemnité de licenciement et d’une indemnité pour licenciement abusif égale à six mois de salaires (elle avait trois ans d’ancienneté). Soit plus de 23.000 euros.

Conclusion
Conseil RH : la rupture conventionnelle s’accommode d’un litige entre l’employeur et le salarié mais elle ne souffre pas que le consentement du salarié soit l’objet d’un doute.

Par conséquent, employeurs, vous devez être en mesure de démontrer que le salarié a volontairement choisi ce mode de rupture sans subir aucune pression.

A tout le moins, vous devez vous comporter de telle sorte, durant l’approche puis durant la conclusion de la rupture conventionnelle, que votre salarié sera dans l’incapacité de vous accuser de l’avoir menacé ou d’avoir exercé des pressions sur lui pour l’amener à accepter une rupture conventionnelle.

Les moyens à votre disposition sont multiples pour ce faire :
- soit, le salarié vous a fait une demande écrite en vue de conclure une rupture conventionnelle.
- soit, vous l’avez convoqué par écrit et avez tenu avec lui un ou plusieurs entretiens pour définir les composantes de la rupture, lui laissant le temps de s’entourer d’avis et de conseils juridiques avant de conclure.
- soit, enfin, il a négocié avec vous assisté de son Avocat.

Cette liste d’exemples n’est, bien entendu, pas exhaustive.

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit du travail Site internet : www.n2r-avocats.com Email : contact@n2r-avocats.com
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