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Airbnb : les dangers de l’appartement sous-loué. Par Romain Darriere, Avocat et Marion Barbezieux, Juriste.
Parution : jeudi 6 juin 2013
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Les années 2000 ont ouvert l’ère de la consommation collaborative, qui consiste à augmenter l’usage d’un bien ou d’un service par le partage, l’échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci. Dernier bien touché par ce phénomène : le logement. On parlait encore hier de « couchsurfing » ou d’ « échange d’appartements ou de maisons » ; on ne jure aujourd’hui plus que par Airbnb.

Et pour cause, le concept proposé par ce site répond à une véritable demande : il consiste à mettre en relation des particuliers qui souhaitent louer leur habitation pour arrondir leur fins de mois avec des voyageurs qui recherchent un hébergement à moindre prix. Rien d’étonnant donc à ce que cette start-up de la Silicon Valley ait séduit plus de 4 millions d’utilisateurs présents dans 192 pays du globe. Face à cette success-story, les plateformes de tourisme collaboratif se multiplient, à l’instar des site Sejourning, Bedycasa ou Wimdu.

Et pourtant, le modèle Airbnb a récemment fait l’objet d’une polémique, posant la question de sa légalité. Le site américain et ses homologues étrangers soulèvent notamment des difficultés au regard du droit de propriété. La source du problème tient à ce que de nombreux « hôtes » ne sont pas propriétaires du logement qu’ils proposent à la location, mais en sont eux-mêmes locataires. Or certaines législations connaissent un principe d’interdiction de la sous-location. Dès lors, en pareille hypothèse, il est intéressant de se poser la question des risques encourus par les différents acteurs du site.

1⎮Que risque le locataire qui propose la sous-location de son habitation sur Airbnb ?

 Vis-à-vis de la loi sur les baux d’habitation :

Si sous-louer son appartement le temps d’une nuit ou d’une semaine d’absence peut être à bien des égards avantageux, le locataire ne doit pas perdre de vue qu’il s’agit d’une pratique risquée, qui peut s’avérer coûteuse.

En effet, en France, l’article 8 de la loi « Mermaz » du 6 juillet 1989 prévoit que « le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l’accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer  ».
Le principe est donc celui de l’interdiction de la sous-location, même temporaire, sauf accord exprès du propriétaire. Et l’article 1717 du Code civil prévoit une autre exception, qui autorise le preneur à sous-louer son logement meublé sans l’accord de son propriétaire, à condition qu’aucune clause du bail ne l’interdise. Le plus souvent cependant, le bail comporte une clause prohibant le recours à la sous-location.
Dès lors, celui qui sous-loue son appartement sans l’accord de son propriétaire et/ou en violation d’une clause d’interdiction se met en danger. Il risque tout d’abord de perdre son logement, puisque le propriétaire pourra demander la résiliation du bail. Il peut ensuite être condamné à verser des dommages et intérêts au propriétaire. Et ces sanctions sont loin d’être hypothétiques. Ainsi, les décisions ayant sanctionné une sous-location non autorisée par la résiliation du bail sont nombreuses (c’est encore en ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Toulouse le 5 mars dernier).

En outre, ceux qui n’étaient pas encore convaincus de la réalité des risques encourus ne pourront que s’inquiéter de ce que, le 21 mai dernier, la justice new-yorkaise a condamné à une amende de 2 400 dollars un particulier américain qui, par l’intermédiaire du site Airbnb, avait sous-loué à une touriste russe une partie de son appartement de Manhattan pendant trois nuits à raison de 300 dollars par nuit. En l’espèce n’était pas en cause la violation d’une loi relative aux rapports locatifs mais celle d’une loi sur les « hôtels illégaux », qui interdit depuis mai 2011 aux particuliers de tirer des revenus d’une location de moins de 29 jours, à moins de se déclarer hôtelier ou d’être présent dans l’habitation louée.

Certes, en l’absence de réglementation similaire en France, le problème d’une durée minimum de location ne se pose pas. Néanmoins, cette décision du juge new-yorkais constituera certainement un précédent et le juge français sera plus enclin à prononcer le versement de dommages et intérêts sur le terrain, cette fois-ci, de l’interdiction de la sous-location.

 Vis-à-vis de la législation sur le travail dissimulé

En matière de travail dissimulé, les risques encourus concernent aussi bien les locataires que les propriétaires, lesquels devront faire attention à la fréquence des locations ou sous-locations conclues sur Airbnb.

En effet, un particulier ne peut tirer un revenu de son appartement qu’à titre exceptionnel. Ainsi, s’il exerce une activité de location (ou de sous-location) de manière régulière et perçoit à ce titre une rémunération, il doit être considéré comme réalisant cette activité à titre professionnel. Il devra alors procéder à certaines déclarations imposées par la loi, à défaut de quoi il pourra être poursuivi pour travail dissimulé.

L’article L. 8221-3 du Code du travail prévoit en effet que toute personne qui exerce à but lucratif une activité de prestation de services ou accomplit des actes de commerce en se soustrayant intentionnellement à ses obligations - soit parce qu’elle n’a pas demandé son immatriculation au répertoire des métiers, soit parce qu’elle n’a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur – est réputée être en état de travail dissimulé, par dissimilation d’activité. Et, lorsque les activités sont accomplies selon une certaine fréquence, le travail dissimulé est présumé.

Le locataire ou le propriétaire devra donc faire preuve de vigilance et ce d’autant que les recettes obtenues de la location (ou de la sous-location) ne peuvent être dissimulées dès lors qu’elles ne sont pas versées directement par le client, mais qu’elles transitent par Airbnb. En effet, agissant en tant qu’agent de l’hôte aux fins de recueillir les paiements effectués par les Clients, Airbnb reverse les soldes aux hôtes par un moyen de paiement traçable (chèque, PayPal, dépôt direct…).

Reste encore à déterminer le seuil à partir duquel l’activité exercée doit être qualifiée d’activité professionnelle. S’agissant de l’activité de location sur Airbnb, la question n’a pas encore fait jurisprudence. La seule réponse paraît donc avoir été donnée, en décembre 2008, par le Secrétaire d’Etat au commerce, qui avait considéré que « dès lors que des actes de commerce sont exercés de manière habituelle et répétée, la personne physique qui les exerce est tenue à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés ». Reste que cette référence à une activité habituelle et répétée est relativement imprécise.

La comparaison avec les solutions retenues pour le site de vente aux enchères eBay, également concerné par la problématique du travail dissimulé, apporte à cet égard un éclairage intéressant. En 2008, le site eBay a fixé pour l’identification des particuliers devant être qualifiés de professionnels, un seuil de 2000 euros mensuel sur trois mois consécutifs. La jurisprudence, quant à elle, semble avoir opté pour un seuil exprimé non pas en terme de recettes maximales perçues mais de fréquence d’actes de commerce réalisés. Le TGI de Mulhouse a ainsi condamné un eBayeur, le 12 janvier 2006, pour avoir revendu sur le site au moins 470 objets sur une période de deux ans.

Proposer ponctuellement son logement à la location sur Airbnb apparaît donc licite. Toutefois, si une telle activité venait à être régulière et donner lieu à une rémunération conséquente, vous n’êtes pas à l’abri de poursuites judiciaires !

2⎮Que risque Airbnb lorsque des logements sont proposés à la sous-location par des locataires ?

A priori, pas grand-chose, si ce n’est un « bad buzz » chaque fois qu’un hôte se trouvera mis en cause devant la justice, comme à New York. En effet, Airbnb qui est un simple intermédiaire technique, a pris le soin de « se dégager de toute responsabilité relative à tout listage et logement ». Plus précisément, les conditions générales d’Airbnb précise que tout utilisateur « reconnait et accepte être responsable de tout Listage qu’[il poste]. De ce fait, [il] déclare et garantit que tout Listage qu’[il] poste […] (i) ne viole aucun accord que […] passé avec des tiers et (ii) (a) sera conforme à toutes les lois applicables, exigences fiscales, règles et réglementations pouvant s’appliquer à tout Logement figurant dans un Listage [qu’il] avez posté […] ».

La conformité de l’hôte vis-à-vis des lois applicables et donc, a fortiori, de la loi interdisant la sous-location à défaut d’accord du propriétaire, relève donc de la seule responsabilité de l’hôte, à l’exclusion de celle d’Airbnb.

Le modèle Airbnb ne serait donc pas remis en cause par les éventuelles illégalités commises par des locataires cherchant à optimiser la rentabilité de leur appartement. Et l’on ne peut que s’en réjouir, tant le concept est ingénieux. Il ne reste donc plus qu’à encourager les propriétaires et locataires autorisés à accroitre les listing de Aibnb. Quant aux locataires non autorisés, désormais conscients des risques encourus, à vous de voir si le jeu en vaut la chandelle !

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris Marion Barbezieux Juriste Cabinet Romain Darrière http://romain-darriere.fr/
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