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La publication de décisions de justice sur internet : une liberté conditionnée. Par Romain Darrière, Avocat et Marion Barbezieux, Juriste.
Parution : vendredi 7 juin 2013
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“La justice est rendue publiquement. Sauf exception, les décisions de justice peuvent être diffusées (…)”. Dans cet arrêt du 3 septembre 2002, la Cour d’appel de Colmar se faisait l’écho d’un principe largement consacré en droit français : celui de la publicité des décisions de justice.

Aujourd’hui, ce principe voit son effectivité incontestablement renforcée par la diffusion des données de jurisprudence sur internet. Mais cette mise en ligne de décisions de justice n’est pas sans poser problème : si elle permet un meilleur accès à des données en toutes hypothèses publiques, elle autorise également certaines déviances. Quel que soit le support utilisé, la publication de décisions de justice doit donc respecter certaines règles.

1 / Le risque au civil : l’atteinte à la présomption d’innocence

En premier lieu, pour que la publication d’une décision de justice soit licite, elle ne doit pas être incomplète. En réalité, cette exigence se dédouble et implique que la publication :
 présente les débats judiciaires fidèlement et de bonne foi ;
 fasse mention de l‘existence d‘un éventuel recours formé, chaque fois que la décision publiée n’aura pas acquis un caractère définitif.

Cette règle a récemment été appliquée par la Cour de cassation dans un arrêt du 10 avril 2013, à l’encontre d’un médecin qui avait affiché sur la porte de la salle d’attente de son cabinet une version expurgée d’un jugement correctionnel qui avait condamné son ex-associé pour abus de confiance.

La première chambre civile a alors considéré que, ce faisant, l’auteur de la publication avait porté atteinte à la présomption d’innocence de son ex-confrère, qui était dès lors en droit de se prévaloir de la protection offerte par l’article 9-1 du Code civil. En effet, l’auteur de la publication avait volontairement tronqué certaines parties du jugement et omis de mentionner que le jugement avait été frappé d’appel.

Ainsi, la publication d’un jugement non définitif (car frappé d’appel ou ayant donné lieu à un pourvoi en cassation) pourra constituer une atteinte à la présomption d’innocence chaque fois qu’elle ne fait pas état du caractère révocable de la décision. L’auteur de la publication pourra alors être sanctionné sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil. Seule une condamnation définitive, devenue irrévocable, fait disparaître la protection conférée par l’article 9-1 et peut donc, en principe, être librement publiée.

2 / Le risque au pénal : la diffamation

Même lorsqu’elle porte sur une décision définitive, une publication pourra se voir sanctionnée, mais cette fois-ci sur le plan pénal.

Seconde règle donc, les décisions de justice ne doivent pas être utilisées dans l’intention de nuire activement à une personne. A défaut, leur publication peut constituer le délit de diffamation publique. Cette exigence a été régulièrement posée par la Cour de cassation en ces termes : “Si la publication du dispositif d’un jugement portant condamnation n’est pas en soi illicite, il en va différemment lorsque (...) cette publication a été faite avec malveillance pour donner à la condamnation une publicité particulière et supplémentaire” (Cass. Crim., 12 juin 1956 et 28 février 1989).

Il s’agira donc d’apprécier in concreto si les circonstances et la manière dont les faits sont imputés à une personne condamnée sont de nature à caractériser l’intention malveillante de l’auteur de la publication ; celui-ci pouvant alors être lui-même condamné pour diffamation sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. La solution des arrêts de 1956 et 1989, relative à l’affichage de décisions dans des lieux publics, doit pouvoir être étendue à la publication de décisions sur Internet. Tel est le sens d’un jugement rendu par le TGI de Nanterre le 4 septembre 2012.

Enfin, la publication d’une décision, même définitive, pourra encore être sanctionnée pour diffamation lorsque les faits allégués ont été amnistiés.
C’est en tout cas ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mai dernier. Dans cette affaire, un journaliste avait récemment mis en ligne un article reprenant un papier de 1965, lequel relatait une audience correctionnelle de 1965 lors de laquelle avaient été condamnés deux étudiants devenus depuis de célèbres hommes politiques.
Les deux prévenus avaient entre temps été amnistiés. Pour rappel, l’amnistie, sorte de pardon légal prévu aux articles 133-9 à 133-11 du Code pénal, permet d’enlever rétroactivement à certains faits leur caractère délictuel.

Poursuivi pour diffamation, le journaliste s’était défendu en soulignant sa bonne foi : il estimait non seulement que son article était issu d’une enquête sérieuse mais aussi qu’il avait pour objet de porter à la connaissance du public les agissements de deux hommes politiques d’une notoriété certaine.
Pour autant, la Cour jugea de manière lapidaire que le délit de diffamation était caractérisé, au motif que la bonne foi ne saurait être invoquée lorsque la publication «  consiste dans le rappel de condamnations amnistiées”.
Ainsi, et c’est là la troisième règle, il est interdit de publier des décisions de justice lorsque les condamnations qu’elles prononcent ont été amnistiées.

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris Marion Barbezieux Juriste Cabinet Romain Darrière http://romain-darriere.fr/
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