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Un licenciement économique mal motivé ou le nouveau Titanic. Par Nadine Regnier Rouet, Avocat.
Parution : mardi 11 juin 2013
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Certaines décisions de justice illustrent l’utilité d’un bon conseil juridique donné après diagnostic du dossier employeur, mais avant de décider de s’engager dans un contentieux très risqué initié par un salarié (qui, lui, avait un très bon dossier !)

Démonstration avec cet arrêt de la Cour de cassation (16 mai 2013, n° 11-24166).

Dans cette affaire, un salarié ayant plus de 12 ans d’ancienneté est licencié pour motif économique suite à l’absorption de son entreprise par une autre société. Il conteste son licenciement économique à la fois sur la réalité des difficultés économiques alléguées et sur les critères d’ordre des licenciements qui ont conduit à le choisir pour le licencier. L’employeur avait privilégié le critère des qualités professionnelles.

Le salarié obtient une décision favorable de la Cour d’Appel qui est confirmée par la Cour de cassation.

La Cour lui alloue 32.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en considérant, après examen des documents comptables et relatifs à l’ordre des licenciements versés par l’employeur :

1) que les difficultés alléguées n’étaient pas de nature à justifier la suppression de l’emploi du salarié ;
2) que l’employeur n’établit pas par la communication d’éléments objectifs les qualités professionnelles inférieures du salarié.

Concernant les difficultés économiques  :
L’entreprise fournit des résultats comptables incomplets, sans explications complémentaires alors même que la situation de fusion entre deux entités rendait de telles explications plus qu’utiles.
Elle n’indique pas l’impact spécifique de ces difficultés sur l’emploi du salarié.

Concernant les critères de choix des salariés à licencier (2 sur 96) :
L’entreprise justifie son évaluation des qualités professionnelles du salarié uniquement par des attestations fournies par des collègues de travail, lesquelles sont contredites par d’autres attestations versées par le salarié. Elle ne verse aux débats aucune évaluation annuelle venant corroborer la note attribuée au salarié. Elle ne verse pas d’éléments de comparaison avec d’autres salariés. Elle ne produit pas de remarque ou observation écrite faite au salarié concernant son travail.

Il s’agit typiquement d’un dossier où les éléments de preuve font défaut du côté de l’employeur.

Ce qui doit être retenu de cette affaire :

Des difficultés économiques peuvent ne pas être suffisamment importantes pour justifier le licenciement pour motif économique.

Il appartient donc à l’employeur de déployer une démonstration économique, documents comptables détaillés à l’appui, pour faire ressortir la gravité des difficultés rencontrées et leur conséquence sur l’emploi du salarié.

En l’espèce, l’employeur a été très négligent dans la production des documents qui auraient pu servir sa démonstration, alors justement que la situation économique était complexe et nécessitait des explications.

D’autre part, le licenciement économique d’un salarié repose sur la mise en œuvre de critères d’ordre des licenciements qui permettent de sélectionner - sans discriminer- le ou les salariés qui seront licenciés.

Si l’employeur peut privilégier un des critères légaux, ici : les qualités professionnelles, il doit être en mesure de démontrer aux juges quels sont les éléments objectifs sur lesquels il a fait son choix. Il doit donc fournir son processus de tri qui inclut les faits ayant donné lieu à la note attribuée au salarié licencié mais aussi le même processus appliqué aux autres salariés qui lui ont été comparés.

Or, l’employeur dans cette affaire n’a transmis aucun élément objectif, s’appuyant sur des attestations fournies par des collègues de travail, ce qui paraît pour le moins un processus de notation singulier !

Les juges relèvent qu’il ne fournit aucune évaluation annuelle du salarié licencié et qu’il ne produit aucune remarque ou observation écrite sur la qualité du travail de ce dernier.

L’objectivité du choix de l’employeur n’est pas démontrée alors qu’elle est essentielle à ce stade de la procédure de licenciement économique.

C’est pourquoi la Cour de cassation rappelle qu’il incombe à l’employeur de retenir des critères d’ordre des licenciements qui reposent « sur des éléments objectifs  ».

A défaut, l’employeur voit remis en cause par les juges le choix qu’il a opéré : à la clé, une nécessaire condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et le versement au salarié de dommages-intérêts.

Conclusion : Pourquoi évoquer le Titanic ?

Dans cette affaire, l’employeur a multiplié les erreurs et négligences, aboutissant à un naufrage judiciaire en termes de condamnations lourdes et variées, toujours pour les mêmes raisons de non production des éléments probants qui auraient pu établir son bon droit.

1 - Il a cessé unilatéralement de verser une prime annuelle dont il n’a pu écarter les caractères de fixité et régularité avancés par le salarié, tout en ne produisant pas de preuve du fait que cette prime n’était pas uniforme à tous les salariés de l’entreprise. D’où condamnation à un rappel de 2.500 euros de prime.

2 - Il a maintenu ce salarié d’astreinte en soirée et week-end sans que la rémunération de celles-ci apparaisse sur les bulletins de paie et sans être en mesure de démontrer, comme il le soutenait, que ces astreintes avaient été prises en compte pour déterminer le salaire -relativement élevé pour sa classification- du salarié. D’où condamnation à paiement de 20.000 euros d’heures supplémentaires.

3 - Il a été incapable de démontrer que le salaire convenu avec le salarié incluait une prime pour utilisation de l’anglais dans ses fonctions et aptitude à la traduction, telle que prévue par la convention collective applicable alors même qu’il reconnaissait que le salarié avait été recruté en considération de cette aptitude. D’où condamnation à paiement de 6.000 euros de prime.

4 - Enfin, il a indiqué avoir négocié avec le salarié ses heures d’astreintes et a reconnu que les horaires portés sur les fiches de paie ne correspondaient pas à la réalité du travail du salarié. La Cour d’Appel en a conclu, approuvée par la Cour de cassation, que l’employeur avait intentionnellement faussement déclaré les heures accomplies par le salarié et l’a condamné pour dissimulation d’emploi salarié (article L 8221-5 du Code du travail) à verser une indemnité de ce chef au salarié. D’où condamnation à paiement de plus de 8.500 euros d’indemnité pour travail dissimulé.

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit du travail Site internet : www.n2r-avocats.com Email : contact@n2r-avocats.com