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Affaire Twitter : suite et fin ? Par Romain Darrière, Avocat et Marion Barbezieux, Juriste.
Parution : jeudi 27 juin 2013
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Souvenez-vous : le 24 janvier dernier, dans une affaire opposant le célèbre site de micro-blogging Twitter à l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), le TGI de Paris avait, par ordonnance de référé, enjoint au premier de communiquer au second les données personnelles permettant l’identification des auteurs de tweets racistes ou antisémites, et de mettre en place un dispositif de signalement des contenus illicites. Aujourd’hui, la « polémique-Twitter », dont nous vous proposions déjà un commentaire, continue à faire parler d’elle.

Dernier épisode en date de ce feuilleton, la Cour d’appel de Paris a décidé, par une ordonnance du 12 juin dernier, de radier l’appel interjeté par Twitter le 21 mars 2013.

Explications.
La procédure civile française se caractérise par le principe du double degré de juridiction, lequel permet à une partie succombant à l’instance de faire appel de la décision qu’elle estime injuste, sans pour autant devoir l’exécuter. En effet, un jugement ne devra en principe être exécuté qu’à partir du moment où il passe en force de chose jugée, c’est-à-dire lorsqu’il devient définitif.

Par exception cependant, le juge saisi d’un litige peut décider (en le motivant) qu’il y a lieu d’ordonner l’exécution provisoire d’une décision de première instance. Celui qui a « gagné » pourra ainsi obtenir l’exécution immédiate de ce jugement ; du moins « provisoirement », dans le sens où cette exécution sera remise en cause s’il n’obtient pas gain de cause en appel.

Plus encore, l’exécution provisoire est parfois de droit pour des décisions qui, bien que par essence provisoires, présentent un caractère d‘urgence : c’est le cas des ordonnances de référé, conformément à l’article 514 alinéa 2 du Code de procédure civile.

En l’espèce, la société Twitter avait donc l’obligation d’exécuter provisoirement cette décision de première d’instance… Ce qu’elle n’a pas fait. Or, l’article 526 du Code de procédure civile prévoit que dans les cas où l’exécution provisoire est de droit, le premier président de la Cour d’appel (ou le conseiller de la mise en état) peut décider la radiation du rôle de l’affaire, lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel, sauf :

 S’il lui apparait que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ;
 Si l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

Dans notre affaire, le premier président releva tout d’abord que Twitter ne pouvait se prévaloir de l’impossibilité d’exécuter l’ordonnance, dès lors que la société avait elle-même reconnu détenir les données personnelles dont la communication était demandée.

Ensuite, selon le magistrat, l’exception tirée de l’existence de conséquences manifestement excessives attachées à l’exécution de l’ordonnance ne serait pas plus applicable.

Pour bénéficier de cette exception, Twitter prétendait que l’exécution de l’ordonnance était de nature à la priver d’un double degré de juridiction, dès lors que la communication des données demandée avait un caractère irréversible. Il est vrai que si Twitter s’était exécutée comme elle en avait l’obligation, l’UEJF aurait obtenu l’identification des auteurs des tweets litigieux, situation qui n’aurait pas pu être remise en cause par un éventuel gain de cause de Twitter en appel.

Si l’argument est à notre sens pertinent, il fut écarté par le premier président qui considéra que les conséquences manifestement excessives attachées à l’exécution provisoire devaient être appréciées en prenant en considération les intérêts de chacune des parties. Or, les conséquences attachées à l’exécution provisoire de l’ordonnance du 24 janvier 2013 ne sauraient être qualifiées d’excessives lorsqu’on les compare aux conséquences qu’aurait, pour l’UEJF, l’inexécution de cette ordonnance.

Communication irréversible des données pour Twitter versus impossibilité d’agir au pénal du fait de l’expiration prochaine du délai de prescription pour l’association : la balance penchait nettement en faveur des intimés !

Le simple fait d’avoir interjeté appel n’exonérait donc pas la société Twitter d’exécuter l’ordonnance du TGI de Paris. La seule possibilité de se soustraire à cette exécution, le temps de l’appel, aurait été d’en demander la suspension au premier président, en application de l’article 524 du Code de procédure civile.

Le doute est cependant permis quant à l’octroi d’une telle suspension, dès lors que l’arrêt de l’exécution provisoire de droit ne peut être accordé que « lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives » ce qui, selon le premier président, n’est pas le cas en ce qui concerne Twitter.

Dernier battement d’ailes pour l’oiseau Twitter qui devrait bien rester en cage. En effet, son appel ne pourra désormais être réinscrit au rôle de la Cour que si elle se résout à exécuter la décision de première instance...Pour autant, le fera t’elle avant la fin du fameux délai de prescription d’un an ? Rien n’est moins sûr. En effet, elle pourrait préférer, par principe, payer une forte somme d’argent en raison de l’astreinte qui a été prononcée à son encontre plutôt que de s’exécuter immédiatement. Twitter ne manque pas de ressources…Affaire à suivre !

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris Marion Barbezieux Juriste Cabinet Romain Darrière http://romain-darriere.fr/