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Salariés, il est risqué de transférer vos emails personnels sur votre ordinateur professionnel ! Par Nadine Regnier Rouet, Avocat.
Parution : jeudi 4 juillet 2013
Adresse de l'article original :
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Une nouvelle décision toute « chaude » de la Cour de cassation trace un peu plus la limite entre le « perso » et le « pro » sur votre ordinateur… "pro".

Le 19 juin 2013 (n° 12-12138), la Cour de cassation a rendu une décision qui concerne beaucoup de salariés.

Il vous arrive d’envoyer des emails depuis votre messagerie personnelle, depuis votre ordinateur personnel et votre adresse personnelle, puis de les transférer sur votre ordinateur professionnel au bureau  ? Lisez attentivement ce qui suit !

La Cour a jugé de la qualité de « personnels » ou « professionnels » de tels emails.

Les faits

Un directeur artistique de la société Young & Rubicam France, agence de publicité, est licencié pour faute grave : concurrence déloyale.

Une expertise avec saisie de son disque dur professionnel a mis en évidence la présence de nombreux emails qu’il avait échangés, depuis son ordinateur personnel et son adresse de messagerie personnelle, avec des salariés d’une agence concurrente, concernant les produits d’un client de son employeur, puis qu’il avait transférés sur son ordinateur professionnel.

Ces emails ne sont pas estampillés « personnels » dans leur objet et ne figurent pas dans des dossiers identifiés comme « personnels » par le salarié dans son ordinateur professionnel.

Le salarié soutient qu’il s’agit d’emails personnels du fait qu’ils ont été envoyés à l’origine depuis son adresse de messagerie personnelle. Par conséquent, l’employeur ne pouvait les lire ni s’en servir comme preuve d’une faute : de ce fait, le licenciement se trouvait dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision

La Cour rappelle le principe de base qu’elle a dégagé concernant la qualité « professionnelle » des emails se trouvant dans l’ordinateur professionnel du salarié :

« Attendu que les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence. »

Il s’agit d’une règle générale simple créant une présomption :

Tout le contenu du disque dur de l’ordinateur professionnel, ainsi que sa messagerie, est présumé à caractère professionnel.

Par conséquent, l’employeur y a accès et peut consulter l’ensemble de son contenu, y compris pour l’utiliser contre le salarié (hypothèse de la recherche d’une preuve de faute du salarié).

Cette règle est assortie d’une exception qui est, elle aussi, simple :

Lorsque le salarié a identifié clairement comme « personnels » des emails, des documents, des fichiers ou des dossiers présents dans l’ordinateur professionnel, ceux-ci deviennent effectivement « personnels » au salarié.

Ils sont alors protégés comme « correspondance privée » du salarié. L’employeur n’y a pas accès et il ne peut les utiliser à titre de preuve des agissements du salarié.

Puis la Cour applique cette règle aux emails émis depuis l’ordinateur personnel du salarié, avec son adresse personnelle, puis transférés sur son ordinateur professionnel. Elle juge :

« que des courriels et fichiers intégrés dans le disque dur de l’ordinateur mis à disposition du salarié par l’employeur ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu’ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié. »

La règle concernant ces documents et emails transférés depuis la messagerie personnelle du salarié est donc également simple et conforme à ce qui a déjà été énoncé :

Si le salarié transfère des emails, dossiers ou documents personnels sur son ordinateur professionnel et qu’il veut que ceux-ci demeurent personnels, donc inaccessibles à son employeur, il doit le préciser dans leur identification, à savoir les étiqueter comme « personnels ».

Sinon, ces emails, dossiers et documents suivront la règle générale et supporteront la présomption de caractère "professionnel" de par leur localisation dans l’ordinateur professionnel du salarié.

Voilà une règle simplissime, dans la ligne des précédentes jurisprudences de la Cour sur l’utilisation privée par le salarié de son ordinateur professionnel.

Salariés, soyez certains de la suivre : à vos étiquettes virtuelles !

Nadine Regnier Rouet Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit du travail Site internet : www.n2r-avocats.com Email : contact@n2r-avocats.com