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Des précisions sur l’offre anormalement basse. Par Florestan Arnaud, Elève-Avocat.
Parution : lundi 22 juillet 2013
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A l’heure des projets de réformes communautaires des marchés publics, l’offre anormalement basse constitue un enjeu crucial. Des éclaircissements sont souhaités par les différents acteurs, et le Conseil d’État vient avec cet arrêt apporter sa pierre à l’édifice.

(A propos de Conseil d’Etat, 17 juillet 2013, Sté Aeromécanic, n° 364827)

La structure intégrée de maintien des conditions opérationnelles des matériels aéronautiques du ministère de la défense (SIMMAD) a lancé une procédure de passation d’un marché négocié relatif aux visites d’entretien des hélicoptères Puma de l’armée française. L’offre de la société Sabena Technics DNR a été retenue, au détriment de celle de la société Aeromécanic, pour l’attribution du lot n°1 relatif aux hélicoptères stationnés en France métropolitaine.

Le candidat évincé a alors saisi le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Versailles. Ce dernier a annulé l’intégralité de la procédure de passation du lot n°1, au motif que la SIMMAD avait méconnu les dispositions du 1° du I de l’article 244 du Code des marchés publics. Le ministre de la Défense s’est alors pourvu en cassation, et le Conseil d’État a annulé l’ordonnance pour erreur de droit le 11 mars 2013. Il relève ensuite, sur fondement de l’article L 821-2 du Code de justice administrative, que la SIMMAD n’a pas communiqué à la demande du candidat évincé le choix de l’attributaire, et les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue, comme il doit le faire en vertu de l’article 255 du Code des marchés publics. En conséquence, le juge du Palais-Royal décide de sursoir à statuer sur la requête de la société Aeromécanic jusqu’à ce que le ministre de la défense ait communiqué, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de jugement, le montant global et les délais d’exécution de l’offre de la société Sabena Technics DNR, sauf à justifier que la communication de ces éléments porterait atteinte au secret des affaires.
Le 29 mai 2013, constatant que le ministre de la Défense n’avait pas communiqué les éléments, le juge administratif lui impose de le faire sous peine d’astreinte.

Par un arrêt du 17 juillet 2013, le Conseil d’État relève que la communication exigée a été faite, et statue alors sur les deux moyens retenus restants. Le second, soulevant la notation des offres par la SIMMAD, n’appelle guère de commentaire. La position du juge s’inscrit dans une jurisprudence constante : il vérifie que cette notation ne rompt pas l’égalité entre les candidats et ne fausse pas la concurrence (CE, 21 mai 2010, Commune d’Ajaccio, n° 333737).
En l’espèce, il n’y a pas de violation. Reste alors à examiner le premier moyen, qui permet au juge administratif d’éclairer l’obscure problématique des offres anormalement basse.

Le Conseil d’État confirme d’abord le sens donné à l’offre anormalement basse : il s’agit d’une négation de la réalité économique. Cette acception est désormais pleinement admise de tous (que cela soit au Ministère de l’Economie et des Finances à travers son guide pratique, ou dans la jurisprudence : CE, 15 avril 1996, Commune de Poindimie, n° 133171). En l’espèce, la société Aeromécanic s’appuyait sur une comparaison entre l’offre suspectée et la sienne. Elle arguait que les prestations étaient proches alors que l’écart de prix était anormal.
Or un tel moyen ne pouvait pas prospérer. En effet, le caractère « anormalement bas » de l’offre s’apprécie par rapport à la valeur sur un marché, et non à d’autres offres (CE, 29 mai 2013, Sté Artéis, n° 366606, Contrats-Marchés publics 2013 comm. 187 note W. Zimmer, JCP A 2013 act. 495). Certes, le moyen soulevé pouvait servir d’indice, mais n’était pas en soi suffisant. D’ailleurs, dans son instruction, le juge du Palais Royal préfère comparer le montant de la présente offre retenue au montant des deux derniers marchés identiques passés. Cet exemple éclaire donc le sens de la réalité économique. Il s’agira de faire transparaître le prix du marché universel de l’objet du contrat dans le marché d’espèce.

D’autre part, il est patent que l’arrêt fait peser une lourde charge de la preuve sur celui qui entend dénoncer une offre anormalement basse. Le requérant devra d’abord démontrer qu’une telle offre est insuffisante eu égard aux besoins du pouvoir adjudicateur. Puis, en conséquence, qu’elle est de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Ainsi, le juge érige un véritable régime de preuve à la charge de celui qui dénonce une offre anormalement basse. Mais en plus, puisque son contrôle porté sur une telle offre est celui de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 29 janvier 2003, Département de l’Ille-et-Vilaine, n° 208096 ; CE, 01 mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159, AJDA 2012 p. 464, AJCT 2012 p. 434 obs. S. Hul, Contrats-Marchés publics 2012 n° 109 note W. Zimmer, JCP A 2012 act. 181), il faudra mettre en exergue une évidence.

Or cette démonstration sera particulièrement complexe. Il faudra pour le requérant établir l’inadéquation manifeste entre le besoin du pouvoir adjudicateur et l’offre dénoncée. En conséquence, des débats techniques et économiques s’avèreront nécessaires. Cette idée ressort d’ailleurs de l’arrêt d’espèce. Le Conseil d’État rentre dans une comparaison technique des offres (notamment sur le recours aux ingénieurs ou mécaniciens). Mais le caractère de l’erreur manifeste d’appréciation du contrôle du juge se concilie mal avec une telle approche, ce qui pourrait engendrer des complications.
La preuve de l’existence d’une offre anormalement basse ne sera donc pas aisée à rapporter en pratique. Cette position n’est pas forcément en pleine adéquation avec celle du juge communautaire (V. Corneloup, Vade mecum pour la gestion des offres anormalement basses, Lexbase Hebdo n° 281 du 21 mars 2013, n° N6225BTQ). Mais n’assiste-t-on pas également par là à l’émergence d’une nouvelle « preuve diabolique » ?

Florestan ARNAUD, Elève-avocat (ERAGE)