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Du droit de la médiation au droit à la médiation. Par Agnès Tavel, Avocat.
Parution : mercredi 7 août 2013
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L’un des objectifs fondamentaux du droit est d’apporter des repères de régulation des comportements sociaux. En matière civile, il constitue un ensemble de règles de bonne conduite qui évoluent avec les us et coutumes. Pour faire modifier des comportements, on change des règles de droit et on peut aussi inventer de nouveaux droits.

Désormais, on teste la médiation obligatoire (Bordeaux, Arras, pour des situations dans le domaine familial). En juillet, on a proposé un texte de loi avec le recours à la médiation obligatoire (dans le cas de licenciements dans des sociétés en bonne santé que certains ont nommé "licenciements boursiers"). En octobre, la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation va officialiser le "Manifeste pour le droit à la médiation"...

Le droit est pris dans un virage

Depuis quelques années, dans la matière du droit civil, la référence au droit n’est plus le seul moyen auquel il semble convenir de devoir avoir recours. L’intervention de tiers moralisateurs, porte-parole et décideurs en lieu et place des protagonistes des différends n’est plus la règle. Le justiciable soumis aurait au moins un autre procédé à sa disposition pour se sortir de l’ornière relationnelle dans laquelle il est fourré. L’idée est toujours, certes, d’en appeler à un tiers. Mais ce tiers n’est plus un décideur. Il n’est pas non plus un conseil, un consultant et non plus un bon samaritain. Ce tiers saurait aider les justiciables à trouver la solution la mieux adaptée. Du coup, le justiciable n’en serait plus un, puisque la solution ne serait plus judiciaire. Cet antique système de gestion par les procédures apparaît désormais trop coûteux. Le droit romain ravale sa préséance. Les gestionnaires de l’Etat cherchent à faire des économies sur le rôle qui revient à l’institution d’être garante des libertés et des responsabilités. Mais comme il est clair qu’elles ne savent pas comment faire, alors, et si on prenait un tiers accompagnateur de réflexion ?

Bonne idée. Et si des justiciables on en faisait des "médiables" ? Cet horrible néologisme montre mieux qu’un autre qu’il s’agit de guider les personnes en relations d’affrontement vers un dispositif qui devrait leur apporter une réponse. En tant que « justiciables », elles ont une issue selon les procédures judiciaires, en tant que « médiables », elles auront une issue selon un processus de médiation.

De cette conception nouvelle d’envisager la résolution des différends émerge une nouvelle pratique relative bien moins au système judiciaire que de l’exercice de la liberté de décision et de la responsabilité liée au pacte social. Pour réaliser cet objectif, il conviendrait que l’éducation soit orientée vers la responsabilisation des personnes et non vers leur soumission à une pensée unique ; il conviendrait d’envisager l’éducation comme permanente et tout au long de la vie, afin de garantir à chacun(e) le recours à la pédagogie de l’existence plutôt qu’à la sanction de ses ignorances.

La médiation obligatoire expérimentée en matière judiciaire

Une expérimentation va bien avoir lieu sur le principe de la médiation obligatoire, c’est-à-dire sur l’instauration nouvelle du « droit à la médiation ». A Bordeaux et à Arras (arrêté du 16 mai 2013), des magistrats renvoient déjà des personnes en médiation concernant l’exercice de l’autorité parentale. A elles de réfléchir. Ensemble. Avec un médiateur. C’est vrai que le médiateur ne doit pas être un de ces amateurs qui moralisent, admonestent ou sympathisent. Pour que ça marche, le médiateur doit être un professionnel qui fait l’adhésion des parties. Si les parties doivent être les auteurs de l’accord, le médiateur est l’auteur de la médiation. C’est lui qui fait l’implication ; c’est lui qui met en place les conditions de l’adhésion, en dépit des états émotionnels. Un vrai challenge. Déjà en matière familiale, des juges sont revenus de désigner des médiateurs diplômés d’Etat, tant leurs résultats ne les rassurent pas. Ils désignent des médiateurs professionnels membres de la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation - CPMN.

Le droit à la médiation dans de nouvelles propositions de loi

Ainsi, un nouveau droit est en train d’émerger. Ce droit ne fait pas plaisir aux juristes, parce qu’ils ne savent pas comment le pratiquer. Professionnels de l’interprétation des textes, ils ne savent pas (encore) comment intervenir dans l’art qui a fait leur réputation initiale : celui de la rhétorique. Ils ne savent pas pacifier et pourtant n’était-ce pas cela qui était au cœur de cette profession ? Les avocats sont les héritiers malheureux de cette dérive de la recherche d’apaisement par les mots : ils ont appris à cultiver la sophistique, voire l’éristique au lieu de pratiquer la rhétorique, cette quête de sagesse, de prise de recul sur les événements pour mieux réfléchir et prendre des décisions avec toute la quiétude nécessaire.

Avec la médiation, sous sa forme « discipline à part entière », soit la « médiation professionnelle », le vieux débat sur la relation au pacte social est relancé. De nouveaux textes vont sortir des assemblées et il faudra bien composer avec eux. Le métier d’avocat doit évoluer, sinon il va s’étouffer. Les pratiques doivent se tourner très clairement vers l’art de rapprocher, de travailler les ententes, de provoquer les accords, sinon ce métier va décliner et d’autres prendront la place qui s’offre.

Dans cette perspective d’un droit naissant, des députés ont proposé que dans le cadre de licenciements par des sociétés dont la situation économique est stable, voire très favorable, les instances représentatives du personnel disposent d’un droit de veto. Les médiateurs professionnels leur ont immédiatement suggéré la mise en place du droit à la médiation, c’est-à-dire de la médiation obligatoire. C’est une première en matière du droit du travail.
Ne soyons pas effrayé : l’obligation de l’assistance d’un tiers n’est pas nouvelle : c’est le principe même qui justifie l’exercice de la profession d’avocat : son assistance est obligatoire dans un grand nombre de procédures. Alors pourquoi pas le médiateur dans le processus de la médiation ?

En bref

La société du droit, avec tout ce que cela implique de dynamique contraignante, a encore de beaux jours devant elle. Les aveuglements veillent à son entretien. En octobre, à la Bibliothèque Nationale de France, les médiateurs professionnels vont promouvoir le « manifeste du droit à la médiation ». Alors, la société de la médiation ne serait-elle que pour demain ?

Agnès Tavel, Avocat
Médiateure professionnelle Ouvrage : Code de la médiation et du médiateur professionnel, préface du 1er Président de la CA de Fort-de-France, Bruno Steinmann, Ed. Médiateurs, 2013, 2° édition
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