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Les perquisitions et saisies fiscales face aux règles de procédure civile : quand la Cour de cassation perd pied. Par Didier Reins, Avocat.
Parution : mardi 20 août 2013
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La rencontre des règles du droit fiscal et des règles de la procédure civile donne parfois naissance à des curiosités dont le droit français n’a pas à se vanter.

Ainsi, la Cour de Cassation vient-elle récemment d’affirmer l’exclusivité juridictionnelle d’un magistrat pour trancher un litige et de confier la même affaire à un autre magistrat.
(Cour de Cassation en date du 16 avril 2013, pourvoi n°12-17.539.)

L’affaire présentée touche un groupe de sociétés spécialisé dans le travail temporaire.

Pour les besoins de la présente, nous appellerons ce groupe de sociétés XXX.

Ce groupe dispose de sièges sociaux répartis en France, au Luxembourg et en Pologne.

La branche française de ce groupe dispose quant à elle de plusieurs dizaines d’agences réparties sur tout le territoire français.

L’administration fiscale soupçonnait la branche française et la branche luxembourgeoise de ce groupe de sociétés de se livrer à la fraude fiscale, notamment en s’étant soustrait à l’établissement et au paiement de l’impôt sur les sociétés, de la taxe sur la valeur ajoutée, notamment en procédant à des achats ou des ventes sans factures, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents qui ne se rapporteraient pas à des opérations réelles, en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures comptables et enfin en passant des écritures inexactes ou fictives en comptabilité.

L’administration fiscale envisagea alors d’appréhender tous documents permettant de confirmer ou d’infirmer ses soupçons et enclencha la procédure fixée à l’article L 16B du Code de procédure fiscale.

Cette procédure permet à l’administration fiscale de présenter une requête au Juge des Libertés et de la Détention territorialement compétent afin que celui-ci l’autorise à pénétrer dans les locaux d’une société ou au domicile de ses représentants pour y saisir tous documents nécessaires.

Notez que notre droit français ne manque pas d’humour puisqu’il parle, pour dénommer ces opérations, de " visites " là où on préférerait parler de perquisitions.

Le contribuable n’est donc pas perquisitionné, il fait simplement l’objet d’une " visite ".
Si cela peut consoler quelqu’un…

Bien entendu, et hélas, le dépôt de cette requête n’est pas porté à la connaissance du contribuable soupçonné.

Il n’existe donc aucun débat devant le Juge des Libertés et de la Détention entre les représentants de l’administration fiscale et les représentants du justiciable sur le bien-fondé ou non de cette requête.

Dans 99,99 % des cas, le Juge des Libertés et de la Détention fait droit à cette requête en rendant une ordonnance dans laquelle il autorise l’administration fiscale à "visiter" le contribuable et à effectuer toutes saisies nécessaires, en reprenant mot pour mot les motifs contenus dans la requête elle-même rédigée par les membres de l’administration fiscale.

Cet usage du « copier coller " judiciaire n’a malheureusement pas choqué la Cour de Cassation dont la jurisprudence est favorable à l’administration fiscale.

Une fois l’ordonnance rendue par le Juge des Libertés et de la Détention, l’administration fiscale se présente sur place et signifie ce document au contribuable tout en démarrant sur-le-champ ces opérations de visites et de saisies.

Cette " spontanéité " fiscale a pour but d’éviter qu’un contribuable indélicat ne profite d’un délai, même court, entre la signification de l’ordonnance du Juge des Libertés et de la Détention et le début des opérations de visites, pour faire disparaître des documents compromettants.

D’un point de vue procédural, les choses se compliquent quand l’administration fiscale entend mener ces visites et saisies en différents endroits.

La présente affaire montre l’écueil sur lequel s’est récemment échouée la Cour de Cassation avant de couler à pic.

Comme nous l’avons indiqué, le groupe de travail temporaire disposait de plusieurs agences sur le territoire français ainsi que d’un siège social.

L’administration fiscale entendait pratiquer des visites et saisies au siège français de ce groupe de sociétés et dans les différentes agences françaises et principalement aux endroits suivants :
- à Forbach.
- à Strasbourg.
- à Colmar.
- à Mulhouse.
- à Metz.
- à Sarreguemines.

Pour cela, l’administration fiscale a donc saisi le Juge des Libertés et de la Détention territorialement compétent, à savoir :
- Metz pour l’agence de Forbach.
- Sarreguemines pour l’agence de Sarreguemines.
- Strasbourg pour l’agence de Strasbourg.
- Colmar pour l’agence de Colmar.

Cela étant, même en droit fiscal, il faut donner au justiciable l’impression que des moyens de défense lui sont laissés.

Lorsque celui-ci apprend son infortune, se voit signifier l’ordonnance rendue par le Juge des Libertés et de la Détention, et voit les fonctionnaires de l’administration fiscale démarrer sur-le-champ leurs opérations de visites et de saisies, celui-ci dispose d’un recours : il peut saisir le Premier Président de la Cour d’appel territorialement compétente afin de contester la décision ayant autorisé ces visites et saisies.

C’est ce que n’a pas manqué de faire la branche française du groupe de sociétés XXX, qui a introduit un recours contre chacune de ces ordonnances devant le Premier Président de la Cour d’appel :
- de Colmar en ce qui concerne les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Strasbourg et Colmar.
- de Metz en ce qui concerne les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Metz, Forbach et Sarreguemines.

À ce stade, il faut savoir que le Juge des Libertés et de la Détention, ainsi que le Premier Président de la Cour d’appel, sont des magistrats de l’ordre judiciaire et non de l’ordre administratif.

Les règles de compétence sont donc celles fixées par le Code de procédure civile et non le Code de justice administrative (même si la partie adverse est l’administration fiscale).

Ce sont donc les règles contenues dans le code de procédure civile qui déterminent le régime procédural de ce type de contentieux.

En l’espèce, les recours ont été introduits devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar quelques heures avant ceux introduits devant le Premier Président de la Cour d’appel de Metz.

Colmar a donc été saisi en premier et Metz en second.

Or :

L’article 100 du Code de Procédure Civile dispose :
"Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d’office."
L’article 103 du Code de Procédure Civile dispose :
"L’exception de connexité peut être proposée en tout état de cause..."

Le hasard du calendrier judiciaire a fait que le Premier Président de la Cour d’appel de Metz a fixé audience avant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar.

Le groupe de sociétés XXX a déposé devant le Premier Président de la Cour d’appel de Metz des conclusions pour faire renvoyer cette affaire devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar en application des articles 100 et 103 du Code de procédure civile.

En effet, les litiges introduits devant la Cour d’appel de Metz et de Colmar opposaient les mêmes parties et pour les mêmes faits.
Il était donc normal et logique qu’un seul magistrat se prononce sur ces recours en raison de la connexité évidente entre toutes ces affaires.

Il était aussi nécessaire d’éviter une contrariété de décisions.
En effet, le Premier Président de la Cour d’appel de Metz aurait très bien pu décider d’accueillir le recours du groupe de sociétés XXX et d’annuler les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Metz et Sarreguemines, tandis que le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar aurait pu faire droit à la position de l’administration fiscale en validant les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention de Strasbourg et Colmar.
Il y aurait eu là un cas de contrariété de décisions inexplicable dans la mesure où un magistrat aurait dit que la requête présentée par l’administration fiscale était infondée tandis que l’autre aurait dit que celle-ci était fondée.

L’administration fiscale s’est opposée bec et ongles à cette demande de renvoi devant la juridiction Colmarienne.

Par ordonnance du 23/03/2012, le Premier Président de la Cour d’appel de Metz a fait droit à l’argumentation du contribuable et s’est déclaré incompétent pour connaître de cette affaire, en raison du lien de connexité ci-dessus évoqué, et cela au profit du premier président de la Cour d’appel de Colmar, ce dernier ayant été saisi en premier.

L’administration fiscale a immédiatement introduit un pourvoi en cassation à l’encontre de l’ordonnance rendue par le Premier Président de la Cour d’appel de Metz, afin de ne pas se laisser installer une jurisprudence qu’elle estimait contraire à ses intérêts.

La Cour de Cassation était donc saisie d’une question de procédure particulièrement épineuse et s’est malheureusement échouée sur l’écueil de ce dossier avant de couler à pic.

Notons à ce stade que la Cour de Cassation a eu conscience du caractère particulièrement inédit de la question qui lui était posée et des enjeux importants qui pouvaient découler de sa décision.
Celle-ci a réuni ses troupes au grand complet puisque celle-ci a statué en formation de section, c’est-à-dire de manière on ne peut plus solennelle.
Pareille formation est composée de 16 magistrats là où les affaires dites standards sont jugées par 3 magistrats seulement.
Cela révélait donc l’hésitation de la haute cour sur la solution à donner.

Et cette marque d’hésitation a donné naissance à un arrêt de la Cour de Cassation en date du 16 avril 2013, pourvois n°12-17.539.

La motivation retenue par la haute juridiction est particulièrement intéressante et mérite d’être reprise intégralement :
"Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par un Premier Président de Cour d’appel, que le 12/10/2011, le Juge des Libertés et de la Détention du tribunal de grande instance de (Metz/Sarreguemines/Forbach) a, sur le fondement de l’article L 16B du livre des procédures fiscales, autorisé des agents des impôts à procéder à une visite avec saisies dans les locaux et dépendances de la société XXX, afin de rechercher la preuve de la fraude fiscale de cette société au titre de l’impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée ;
Que, saisie de l’appel des sociétés XXXX Luxembourg et XXX France, le Premier Président a ordonné le renvoi de la procédure devant le Premier Président de la Cour d’appel de Colmar ;
Attendu que les dispositions de l’article L 16B du livre des procédures fiscales qui attribuent compétence exclusive au Juge des Libertés et de la Détention dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, et, sur appel, au Premier Président de la Cour d’appel, n’autorise aucune possibilité de dessaisissement pour connexité des recours institués par ce texte ;
Attendu que, pour accueillir l’exception de connexité soulevée devant lui, et renvoyer devant un autre Premier Président de Cour d’appel, l’examen de l’appel formé contre l’autorisation de visite et de saisies, le Premier Président retient que, si l’article L16B institue une règle de compétence du Juge des Libertés et de la Détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, ce même texte soumet la procédure aux règles prévues par le code de procédure civile ;
Attendu qu’en statuant ainsi, le Premier Président a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés.
"

La Cour de cassation a donc cassé et annulé l’ordonnance rendue par le Premier Président de la Cour d’appel de Metz au motif que celui-ci était exclusivement compétent et n’aurait jamais dû renvoyer cette affaire devant la juridiction de Colmar.

Mais… la Cour de cassation décide dans ce même arrêt de renvoyer à nouveau le dossier devant la Cour d’appel de… Nancy !!!

Il faut le faire !

Pour bien comprendre l’implosion de nos règles de compétence judiciaire et procédurale dans une affaire qui confie au juge judiciaire les intérêts de l’administration, il faut reprendre les arguments avancés par la Cour de cassation et les analyser une par une.

On sent bien d’ailleurs que la cour de Cassation a été terriblement gênée par la question posée puisque sa motivation réside finalement en un paragraphe qui se contente de poser une solution mais sans expliquer comment on y arrive.

On sent également que la Cour de cassation n’a pas pris de gants pour casser la décision rendue par le Premier Président de la Cour d’appel de Metz, puisque celle-ci n’a même pas pris le soin de le désigner.
"Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par un Premier Président de Cour d’appel.."

Le langage judiciaire sait dire beaucoup de choses, avec parfois beaucoup de vocabulaire, mais ces silences sont parfois encore plus explicites.

Et lorsque l’on désigne un haut magistrat dont la décision est attaquée par les termes "un Premier Président de Cour d’appel", comme si l’on parlait de l’inconnu du coin de la rue, on n’arrive pas vraiment à masquer une certaine forme de mépris là où on aurait pu, avec un peu plus de considération, désigner explicitement " le Premier Président de la Cour d’appel de Metz "

Mais le fond est plus intéressant encore.

La Cour de cassation commence par reconnaître que la procédure instituée à l’article L16B relève bien du juge judiciaire.
"Attendu que les dispositions de l’article L16B du livre des procédures fiscales qui attribuent compétence exclusive au Juge des Libertés et de la Détention dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter, et, sur appel, au Premier Président de la Cour d’appel…"

La Cour pose ensuite un régime procédural spécifique à ce type de contentieux par exclusion.
Attendu que les dispositions de l’article L 16B du livre des procédures fiscales …n’autorisent aucune possibilité de dessaisissement pour connexité des recours institués par ce texte

Il ne lui en était pourtant pas demandé tant !
Qui plus est, pareille solution est tout à fait contraire au Code de procédure civile.
En effet, le renvoi pour cause de connexité est d’ordre général, ce qui signifie qu’il s’applique à toutes les procédures pendantes devant le Juge judiciaire et donc également devant le 1er Président de la Cour d’appel.
En excluant l’application de l’article 100 du Code de procédure civile d’un contentieux judiciaire, la Cour de cassation tisse les nouveaux contours du régime applicable à l’article L 16B, alors que cette disposition ne prévoit pas la mise en place d’un régime d’exception.

La Cour pose enfin un régime procédural par omission.
Hélas, la Cour de cassation a omis, dans son empressement à vouloir donner raison à l’administration fiscale, de dire par quoi elle allait remplacer le Code de procédure civile !!!
Il faut en effet savoir qu’il n’appartient pas à la Cour de cassation de dire quelles règles, parmi celles figurant dans le Code de procédure civile, lui conviennent et lesquelles doivent être bannies.
Soit le Code de procédure civile s’applique dans toutes ses dispositions et la cour doit alors veiller à son respect strict par toutes les juridictions, soit il ne s’applique pas du tout et la Cour doit alors nous dire ce qui vient le remplacer…
Ce dernier exercice serait bien entendu délicat…
C’est sans doute pour éviter la critique dite du « gouvernement des juges » que la Cour a préféré rester discrète sur cette question.
Pour autant, sa jurisprudence ne peut être attaquée en l’espèce, il est donc regrettable de rester sur une telle omission.

Mais s’il n’y avait que ça…
Car le plus beau est à venir.

En effet, la Cour nous explique donc qu’en matière de contentieux fiscal pris sur le fondement de l’article L 16 B, chaque 1er Président de chaque Cour d’appel est exclusivement compétent pour les litiges relevant de son ressort, à l’exclusion de tout autre.
Soit !
Mais alors et du même coup, le 1er Président de la Cour d’appel de Metz était donc seul compétent pour connaître des recours introduits contre les ordonnances rendues par le Juge des Libertés et de la Détention du tribunal de grande instance de Metz, Forbach et Sarreguemines.
Fort logiquement, la Cour de Cassation aurait dû tirer les conséquences de sa propre décision et renvoyer à nouveau le dossier à Metz devant le même premier président.

Contre toute attente, la Cour de Cassation renvoie le dossier au 1er Président de la Cour d’appel de Nancy qui n’en demandait pas tant.

Autrement dit, la juridiction de Nancy va donc devoir juger un litige que seule peut connaître la juridiction de Metz.

Merci donc à la Cour de Cassation pour ce bel exercice d’équilibriste et de grand écart cumulés.

Il y aura cependant une explication derrière laquelle on pourra s’abriter pour ne pas enterrer trop vite le code de procédure civile, même si l’on sait à présent qu’il est malléable, rétractable et extensible au gré des envies de la Cour.

L’explication tient, elle aussi, à une question de procédure :
Lorsque la Cour de Cassation casse un arrêt rendu par une Cour d’appel, elle n’a, en théorie, pas le droit de juger l’affaire au fond.
Elle doit se contenter de dire si les juges de la Cour d’appel ont ou non appliqué le droit correctement.
Si les juges de la Cour d’appel ont correctement appliqué le droit, alors la Cour de cassation rejettera le recours formé devant elle.
Par contre, si elle estime que les juges de la Cour d’appel n’ont pas correctement appliqué le droit, alors elle cassera l’arrêt rendu par ces derniers et renverra l’affaire devant une autre Cour d’appel afin que celle-ci juge définitivement le dossier qui lui est soumis.

En l’espèce, la Cour de Cassation a cassé l’ordonnance rendue par Monsieur le Premier Président de la Cour d’appel de Metz et a renvoyé cette affaire devant une autre Cour d’appel comme cela est prévu, de manière globale, par le code de procédure civile.
Il s’agit là de la seule explication possible, même si celle-ci prête le flanc à la critique, puisqu’il est tout de même curieux, voire illogique, de casser une ordonnance rendue par la Cour d’appel de Metz au motif selon la Cour de Cassation que la Cour d’appel de Metz serait seule compétente pour connaître dudit litige et de le renvoyer devant la Cour d’appel de Nancy.

Il y a donc là une absurdité juridique que ni le livre des procédures fiscales ni le Code de procédure civile n’avaient envisagée.

Les règles du droit fiscal et les règles de la procédure civile ne font donc pas toujours bon ménage.

Didier Reins Avocat E-Mail : [->reins.avocat@gmail.com] Site Web: https://reinsdidier-avocat.com
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