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Droit bancaire et crédit, devoir de mise en garde de la banque : oui, mais quelle réparation ? Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : lundi 2 septembre 2013
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Obligation d’information, obligation de mise en garde et obligation de conseil du banquier (ou de l’IOBSP, intermédiaire bancaire) dispensateur de crédits sont trois thématiques juridiques qui connaissent une vive évolution.

Cet apport reste essentiel, car la relation de crédit constitue une question centrale des relations entre clients bancaires et professionnels.

Leur décantage jurisprudentiel, somme toute récent (moins de dix années : juillet 2005), est surtout articulé autour de l’obligation de mise en garde lors de l’octroi du crédit. Celle-ci a fait l’objet d’évolutions sensibles, qui peuvent troubler la bonne appréhension du droit positif.

De plus, ces bases étant clarifiées, il reste à bâtir un chapitre essentiel : celui de la définition du quantum du préjudice réparable. Des arrêts de juillet 2013 apportent leurs contributions à cette question, encore largement en friche.

1. L’obligation de mise en garde due à l’emprunteur.

1.1. En résumé, le dispensateur de crédit doit alerter l’emprunteur loyal et averti, quant à ses "capacités financières" et quant aux "risques de l’endettement né de l’octroi des prêts".

Deux termes d’expressions jurisprudentielles parfois difficiles à interpréter, qui ont conduit l’obligation de mise en garde, dans un premier temps, à profiter très favorablement à l’emprunteur, puis, dans une seconde phase, à limiter les cas de responsabilité des banques, dans un mouvement de rééquilibrage nécessaire.

C’est par un arrêt du 12 juillet 2005 que la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation lance l’obligation de mise en garde (antérieurement, voir Cour de cassation, 8 juin 2004, Jurisdata 2004-024007).

La Cour écarte alors l’obligation de conseil du banquier (au contraire de CA de Rennes, 9 septembre 1999, Jurisdata 1999-123033, par exemple), en raison du principe de non ingérence de la banque dans les opérations du client.

Elle écarte également l’action en nullité et propose, au secours de l’emprunteur, cette nouvelle obligation, fondée sur l’analyse conforme des capacités de remboursement de l’emprunteur (Cour de cassation, Civ. 1ère, 12 juillet 2005, Jurisdata 2005-029447).

L’article 1147 du Code civil est visé comme fondement juridique de cette responsabilité particulière, qui prend la forme d’une alerte : si la situation y conduit, le banquier ou l’intermédiaire de crédit doit alerter sur les dangers de l’opération, en détaillant ses risques prévisibles.

1.2. Deux arrêts du même jour, le 29 juin 2007, viendront fixer les divergences internes dans une solution commune, en réservant le bénéfice de cette obligation à l’emprunteur "non averti" (Cour de cassation, Ch. mixte, 29 juin 2007, Jurisdata 2007-039908), préféré au terme de "profane". Un professionnel n’est pas nécessairement un emprunteur "averti" (Cour de cassation, Comm. 31 mai 2011, Jurisdata 2011-010665 ou Cour de cassation, Civ. 1-re, 25 avril 2007, n°06-15.258) : par exemple, un pharmacien ou un gérant de société n’est pas, de plein droit, "averti", en matière de financements.

La notion d’emprunteur "averti" (éducation, profession, habitude, revenus, nature du prêt...), qualifiée de subjective par la doctrine, laisse encore de la marge aux débats judiciaires, confiés aux juges du fond, d’autant que, dans certains cas, l’emprunteur, même averti, peut être créancier d’un devoir de mise en garde, si la banque dispose sur lui d’informations dont il n’a pas connaissance.

1.3. La mise en garde n’est pas due si les capacités financières sont compatibles avec la charge financière du prêt (Cour de cassation, Civ. 1ère, 19 novembre 2009, Jurisdata 2009-050334). De même, si l’emprunteur se comporte déloyalement (Cour de cassation, Civ. 1ère, 18 février 2009, Jurisdata 2009-040119), encore que ce critère reste encore mal cerné (Cour de cassation, Civ. 1ère, 26 septembre 2006, Jurisdata 2006-035194).
L’article 1134 sur la bonne foi dans l’exécution des conventions vient à l’appui de ce tempérament.

Les mêmes solutions se retrouvent au bénéfice des cautions, le risque de crédit ayant la même nature.

Dans cette construction jurisprudentielle, la faute de la banque s’analyse comme la perte d’une chance de ne pas souscrire le prêt.

1.4. La charge de la preuve de cette obligation incombe à la banque, qui doit prouver le fait justifiant l’extinction de celle-ci (Cass. Comm. 22 mars 2011, n°10-13.727). Cet arrêt portait sur l’obligation de conseil en matière de gestion financière, mais la solution vient d’être confirmée pour le crédit (Cour de cassation, Civ. 1ère, 9 juillet 2013, Jurisdata 2013-014719). C’est la base posée par l’article 1315 du Code civil. De même, c’est au professionnel qu’il incombe de démontrer la qualité d’emprunteur averti (Cour de cassation, Civ. 1ère, 9 juillet 2013, Jurisdata 2013-014687).

Au final, l’emprunteur n’a pas de preuve particulière à apporter, outre le dommage financier causé par le prêt.

Il s’en déduit que le montant de la réparation varie : un quantum découle de la perte d’une chance, quoique ses critères d’établissement soient encore flous. Mais une réparation plus importante peut, théoriquement, être allouée, si l’emprunteur apporte la preuve qu’en cas de mise en garde, il n’aurait pas souscrit le prêt.

Ce qui pose fortement la question du quantum du préjudice et des dommages et intérêts en cas de violation de son obligation par la banque.

2. Quelle réparation, en cas d’octroi fautif du prêt par la banque ?

2.1. Une fois la faute établie, au visa de cet article 1147 du Code civil, il reste la difficile question de l’indemnisation de la victime. Sans solution claire sur ce point, toute la construction théorique resterait bien inutile.

Quel est le régime des dommages et intérêts découlant de la violation de l’obligation de mise en garde ?

Cette question revient à s’interroger sur l’indemnité due en cas de perte d’une chance. Combien vaut la perte d’une chance de ne pas souscrire un crédit qui s’avérera financièrement ravageur ?

Plusieurs solutions sont actuellement proposées par la Jurisprudence, sans qu’un point d’arrivée semble, encore, véritablement fixé.

Trois solutions sont théoriquement possibles :

- le montant total du prêt et de ses accessoires, qui instaurerait une forme assez inédite de crédit gratuit ;

- les accessoires du prêt : intérêts, frais, pénalités etc. laissant ainsi à l’emprunteur le soin de restituer l’intégralité du capital prêté ;

- l’évaluation financière des conséquences de la perte de la chance.

2.2. Rapidement, le bénéfice d’une sorte de "loto" du crédit est, naturellement, refusé à l’emprunteur. L’indemnité due en cas de violation de l’obligation de mise en garde ne peut être égale à la totalité du prêt, capital inclus.

En 2009, un arrêt de Cour d’appel (Orléans, 25 juin 2009, Jurisdata 2009-379146) fixe la réparation due au montant des intérêts. Puis la Cour de cassation apporte sa contribution, en indiquant que le montant de la réparation du préjudice comprend les intérêts, les frais financiers et les pénalités éventuelles (Cour de cassation, Civ. 1ère, 1er juillet 2010, n°09-16.474).

Extensivement, cette deuxième solution doit comprendre tous les frais, quels que soient leur nature. Ainsi, des cotisations d’assurance liées au prêt, ou encore, les sommes payées à un Courtier-IOBSP en crédits, devraient entrer dans le calcul de l’indemnité, en cas de faute de la banque.

2.3. Des réponses nouvelles se dessinent en matière de chiffrage de la perte d’une chance. Par exemple, une Cour d’appel évalue à 5 % la probabilité, au cas d’espèce, que l’emprunteur n’ait pas souscrit le prêt si la banque l’avait mis en garde (ou à 95 % qu’il aurait, malgré tout, contracté, si la banque avait lancé la mise en garde faisant défaut). Son taux d’endettement avait bondi au-delà du raisonnable, pour un achat de pur loisir. L’emprunteur se voit ainsi allouer 5 % du montant du prêt, au titre des dommages et intérêts (Cour d’appel de Grenoble, 2 juillet 2013, n°11/01558, Jurisdata 2013-014188).

Une autre Cour d’appel accorde, sur une base voisine, 4.000 euros de dommages et intérêts pour deux crédits de 15.000 euros, en apportant la précision qu’il ne peut y avoir, en la matière, de distinction entre le préjudice économique et le préjudice moral (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 juin 2013, n°2013/342, Jurisdata 2013-104975).

2.4. Une difficulté se pose : si le recours à cette probabilité semble davantage en phase avec la règle de droit, à quel indicateur financier le juge doit-il l’appliquer ? Aux cas d’espèces, c’est le montant du prêt qui sert de base de calcul. Mais d’autres options pourraient s’envisager. En particulier, lorsque le prêt litigieux a causé des dégâts dans le patrimoine de l’emprunteur, lesquels peuvent être bien supérieurs au seul montant du prêt. Dans pareil cas, la perte de chance devrait s’appliquer à la surface effective démontrée du préjudice, sans se cantonner au seul périmètre du prêt. Un très petit prêt peut causer des dégâts financiers bien supérieurs à son montant, s’il vient déséquilibrer tout un patrimoine, entraîner la cession d’actifs, d’une épargne de précaution, d’une résidence principale.

2.5. Comment l’emprunteur pourra-t-il apporter la preuve qu’il n’aurait pas souscrit le prêt si la banque lui avait adressé une mise en garde ? Une telle preuve suppose que des intentions soient exprimées préalablement à la souscription du prêt, et que leur trace puissent être retrouvées. La question de la preuve se retrouve ainsi au stade de la réparation.

Allégé de la procédure probatoire, l’emprunteur recevra un premier niveau d’indemnité pour son préjudice ; il pourra apporter la démonstration d’un préjudice bien supérieur au montant du seul prêt ; mais il aura besoin d’apporter la preuve qu’il n’aurait pas souscrit, s’il souhaite obtenir de plus forts dommages et intérêts.

Cette dernière perspective est, sans doute, vouée à rester bien théorique, soulignant la nécessité, à l’avenir, de continuer à préciser les critères de calcul de ce préjudice spécifique, en cas de seule faute de la banque et de la répartition de la charge de la preuve que la voie probabiliste entraîne.

En matière de distribution, des règles claires et affinées, lorsqu’un dommage survient, sont certainement de nature à donner la meilleure sécurité aux opérateurs, qu’il s’agisse des professionnels ou des consommateurs.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr
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