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L’abus de biens sociaux : rappel des points fondamentaux. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : lundi 2 septembre 2013
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Les dirigeants sociaux ne doivent jamais confondre leurs propres biens avec ceux de la société.

Le texte d’incrimination (ici pour les gérants de SARL) est des plus explicites :

« Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 € (…).

4° Le fait pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ; » (article L. 241-3, 4° du Code de commerce).

Cette infraction est également prévue par les articles L. 242-6, 3° du Code de commerce (pour le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une SA) et L. 231-11, 3° du Code monétaire et financier (pour les dirigeants de la société de gestion d’une société civile de placement immobilier).

Dans l’exercice de leurs fonctions, les dirigeants sociaux disposent des biens contenus dans le patrimoine de la personne morale. Ils doivent dès lors respecter la finalité juridique de leur pouvoir de gestion.

L’abus de biens sociaux est constitué d’un élément matériel et d’un élément intentionnel.

1 L’élément matériel

Une confusion de patrimoines, même temporaire, est considérée comme un élément matériel d’abus de biens sociaux (Cass. crim., 21/08/1991, n°90-86505).

Tout emprunt de fonds sociaux pour régler des dettes personnelles est, en effet, prohibé (Cass. crim., 26/01/2011, n°10-80894).

De même l’abstention du dirigeant peut également être constitutive d’un abus de biens sociaux : « l’usage des biens ou du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci peut résulter non seulement d’une action, mais aussi d’une abstention volontaire du dirigeant » (Cass. crim., 28/01/2004, n°02-88.094).

Cependant pour qu’un usage soit qualifié d’abusif l’abstention elle doit être contraire à l’intérêt de la société.

S’il n’existe aucune définition légale ni jurisprudentielle de la notion d’intérêt social et jurisprudentielle, les juges distinguent néanmoins l’intérêt social de l’intérêt des associés ou de l’objet social de la société.

En revanche les conséquences d’un acte contraire à l’intérêt de la société sont, elles, plus facilement identifiables. La chambre criminelle considère qu’«  il suffit que l’acte ait abouti à des pertes ou même qu’il ait comporté des risques de pertes auxquels l’actif social n’avait pas à être exposé » (Cass. crim., 3 mai 1967) pour être contraire à l’intérêt social.

2 L’élément intentionnel

L’élément intentionnel est retenu par les juges lorsque l’usage des biens de la société est effectué en toute connaissance de l’usage contraire aux intérêts de la société.

Le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi en sachant que l’acte était contraire à l’intérêt de la société et cela à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle les dirigeants]étaient intéressés directement ou indirectement.

La preuve de la poursuite d’un intérêt personnel doit être apportée par l’accusation :

-  faire état d’une dépense émise par une société pour rémunérer le dirigeant d’une autre société n’est pas suffisant pour constituer un abus de biens sociaux, l’accusation doit préciser en quoi le dirigeant « poursuivait un intérêt personnel à cette opération ou aurait eu un intérêt, direct ou indirect, dans la société » (Cass. crim., 08/02/2012, n° 11-81.280).

-  la preuve de l’utilisation de véhicules de la société « sans expliquer en quoi le demandeur en aurait fait un usage contraire à l’intérêt social et dans son intérêt personnel » n’est pas suffisante pour qualifier un abus de sociaux (Cass. crim., 31/05/2012, n°11-85.188).

Cependant, les juges renversent parfois la charge de la preuve et demander au dirigeant de prouver qu’il n’avait pas agi dans son intérêt personnel. Ainsi il existe des actes présumés effectués dans l’intérêt personnel du dirigeant.

Il a ainsi été jugé que « s’il n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux, prélevés de manière occulte par un dirigeant social, l’ont nécessairement été dans son intérêt personnel » (Cass. crim., 27/03/2002, n°01-84.195).

3 La complicité

Se rend complice d’abus de biens sociaux la personne coupable d’actes positifs qui, au moment de l’opération délictuelle, a connaissance que celle-ci est contraire à l’intérêt social.

Tel est le cas d’un administrateur provisoire qui a été déclaré complice, en raison des instructions qu’il avait données au dirigeant, lequel avait perçu un salaire abusif, sans contrepartie effective (Cass. crim.,19/06/1997, n°96-83274).

La veuve d’un dirigeant a, quant à elle, été déclarée coupable de recel d’abus de biens sociaux pour avoir conservé des actions d’une société bénéficiaire d’un abus de biens sociaux, commis par son époux décédé, au détriment d’une autre société qu’il dirigeait (Cass. crim., 3/05/1982, n°81-91455).

4 La prescription

L’abus de bien sociaux est une infraction instantanée qui se prescrit en trois ans à compter, en principe, de la réalisation du délit.

Cependant, la prescription ne court pas si le dirigeant a dissimulé les dépenses et qu’ainsi la présentation des comptes annuels ne permet pas de révéler le délit. Telle dissimulation ne peut être caractérisée que par un acte positif du dirigeant (Crim. 30 janvier 2013 n°12-80.107).

Attention, une simple plainte sans constitution de partie civile ne constituait pas un acte interruptif de la prescription en elle-même. Si suite à cette plainte le procureur décide de déclencher les poursuites alors la prescription sera interrompue, ce ne sera pas le cas dans l’hypothèse inverse (Cass. crim.,11/07/2012, n° 11-87.583).

5 La victime lésée

Selon une jurisprudence constante « l’abus de biens sociaux n’occasionne un dommage personnel et direct qu’à la société elle-même, et non à chaque associé » (Cass. crim., 17/01/2007, n° 06-85.903).

De même les créanciers sociaux, le comité d’entreprise et les syndicats professionnels ne sont pas recevables à se constituer partie civile.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com
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