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A propos du devenir de la profession de médiateur. Par Jean-Louis Lascoux.
Parution : lundi 9 septembre 2013
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Une confusion semble avoir été introduite par le gouvernement le 20 janvier 2012 concernant la conciliation et la médiation, l’une et l’autre depuis dites potentiellement "conventionnelles". Les uns s’en plaignent, les autres s’en satisfont, d’autres s’interrogent. Je prends le pas : qu’en est-il réellement et pourquoi ?

A propos de la pseudo confusion entre médiation et conciliation

Les rédacteurs du décret de transposition de la directive européenne de mai 2008, ont en effet inventé la "conciliation conventionnelle" pour l’assimiler à la "médiation conventionnelle" (voir : http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025179010 et plus spécifiquement : http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025179010&categorieLien=id ). Ce décret a été pris en application de l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 et de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010. Faut-il observer qu’il s’agit d’un "décret loi" ? Le cas échéant, il devrait être ratifié par l’Assemblée Nationale, comme le prévoit le principe de l’intégration de tels textes dans le corpus législatif. Ainsi, les textes mis en discussion par M. Christophe Mollard-Courteau seraient dans une pile quelque part en attente. "Quelqu’un m’a dit" qu’ils seraient dans un carton au Conseil constitutionnel...

Dans un cas comme dans l’autre, le "talent" des rédacteurs gouvernementaux aurait consisté à créer l’incompréhension et l’invraisemblance. En fait, rien ne change, légalement, la médiation reste très floue, même si pour les professionnels ( pour lesquels la laïcité n’est pas une ambiguïté : EPMN, CPMN et ViaMediation), la chose a été parfaitement clarifiée et que le courant confessionnel (ICP, IFOMENE, AME, ANM, FNCM, etc) a aussi pris des marques et des positions se raccrochant souvent à une représentation de la médiation visant la mise en conformité qui pèse préalablement sur l’idée même du libre accord. Nous avons pu identifier qu’il existe ainsi une médiation pour faire réfléchir (la médiation que j’ai nommée médiation professionnelle, pour marquer la différence) et une médiation pour faire obéir (en jouant d’ambiguïté opportune le plus souvent et en envahissant nombre d’universités via les D.U.).

Sur le terrain, les textes discutés ici pourraient très bien ne pas avoir d’effet. En réalité, ils tendraient très clairement à priver certaines personnes vivant et travaillant en France de droits reconnus dans les contextes similaires mais transfrontaliers. Ici, on identifie que le "talent" que l’on aurait bien voulu attribuer aux rédacteurs suscités est en fait le propre d’un amateurisme déconcertant. La CPMN, qui porte la professionnalisation de la médiation et conduit le microcosme de la médiation à élever ses exigences, vient d’initier le nouveau "droit à la médiation", a immédiatement dénoncé l’inconstitutionnalité de ces textes, mais le changement n’est pas venu encore et, majorité nouvelle, situation identique : les choses en sont encore là maintenant.

Blanc bonnet et bonnet blanc : médiation et conciliation

Concernant la différence entre "conciliation" et "médiation", on peut observer que les timides nuances présentées précédemment (par des représentants du courant confessionnel (ICP, IFOMENE, etc ...)) sont aussi cause du manque de repères chez le législateur ou les rédacteurs que j’ai tancé plus haut, alors qu’ils ne véhiculent le plus souvent que les propos qui leur sont dits être de référence. CQFD.

Et lorsque je lis : "Les différences sont multiples et fondamentales : le médiateur (reconnu) est formé par des organismes accrédités, il ne conseille pas, il ne propose pas, il ne prend aucune décision, il est neutre, indépendant et impartial ... La liste est longue... ". Je pense que nos conciliateurs ne doivent pas bien comprendre la différence relativement aux "organismes accrédités" (par qui ?). Ils ne doivent pas forcément comprendre non plus la différence avec ce qu’ils font puisque parfois, ils ne conseillent pas non plus, et parfois le médiateur propose (et même souvent, si j’en crois les procédés connus des médiateurs émanant des inspections du travail.). Le médiateur ne prend pas de décision... le conciliateur non plus. Et ils sont impartiaux l’un et l’autre, en tout cas, autant que le souhaite tout médiateur ... même amateur. Ça ne fait pas beaucoup de différences au final. Dans le genre fondamentales, excusez du peu, mais il va falloir creuser.

Que peut devenir la "profession" de médiateur ?

Mais on peut quand même s’interroger sur le devenir d’une profession de "médiateur" officialisée. Pour la CPMN, c’est une profession qui doit s’organiser de manière autonome (notre Code d’éthique et de déontologie, le CODEOME, est sans ambiguïté). Le modèle de l’organisation de la profession de journaliste apparaît être celle qui serait le plus proche de la nécessité des médiateurs professionnels intervenants sur les aspects relationnels. C’est en tout cas, ce que je propose depuis plusieurs années tandis que d’autres, fantasmant sur un statut d’autorité, jouant de mélange des activités et professions en tout genre, considèrent qu’il faudrait mettre en place une profession ordinale et d’autres encore (parfois sous la houlette des mêmes associations confusionnelles - et confessionnelles) qu’il ne devra s’agir en aucune manière d’une profession à part entière. Nous avons déjà empêché des projets contraires à l’intérêt de la liberté de décision d’aboutir, nous saurons entretenir notre motivation.

L’affirmation préalable de la profession de médiateur

Et pourtant, dans tout cela, on peut creuser et s’y retrouver. Cela fait maintenant plus d’une dizaine d’années que les médiateurs professionnels insistent sur les définitions des postures, tandis que seuls les mots souvent vidés de leur sens ont été récupérés ici et là. Ce qui pourra être adopté comme différence est que, sur le plan postural :
- la conciliation se pratique sous la tutelle d’une autorité (donc pas d’indépendance tutélaire) et dans le contexte du droit (donc pas de neutralité)
- et la médiation se pratique de manière indépendante (donc pas d’autorité de tutelle), et sans cadre préjugeant de la solution (donc neutre)
L’impartialité étant le propre des deux pratiques.

On pourra ainsi classer les inspecteurs du travail parmi les conciliateurs, puisqu’ils sont sous la tutelle de l’État. On pourra aussi classer la liste des intervenants à la demande d’un préfet (conflit collectif du travail créant des troubles à l’ordre public), parmi les conciliateurs. Les choses deviendront simples et claires.

L’usage des mots ne suffit souvent pas à en appliquer les éléments de définition. Cette définition rigoureuse est celle des organisations de la médiation professionnelle.

Et, si le temps de la conciliation semble bien être venu, parce que M. Christophe Mollard-Courteau fait une excellente lecture de ce qui est commun aujourd’hui avec le courant de la médiation qui s’est le mieux fait entendre via ses lobbys, médiation et conciliation, c’est la même chose. Oui, dire le contraire, c’est ne pas connaître les pratiques. Ainsi, le mot "médiation" est depuis longtemps associé aux autres mots désignant des tiers intervenants dans des relations litigieuses ou conflictuelles (un tiers = un médiateur, c’est d’ailleurs le sens anglo-saxon).

Pour trouver une différence, il faut élever la profession. La différence est entre "conciliation / médiation" et médiation professionnelle. Et nous nous sommes donnés du temps pour faire avancer le droit à la médiation.

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr
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