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Viticulteurs, pourquoi et comment protéger vos marques à l’export ? Par Philippe Rodhain, CPI.
Parution : samedi 5 octobre 2013
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L’enregistrement d’une marque en France confère à son titulaire une protection sur l’ensemble du territoire national. Une telle protection est-elle suffisante pour les opérateurs de la filière viticole ? Certainement pas !

La spécificité de la filière viticole et de ses réseaux de distribution sont autant de facteurs qui plaident en faveur de l’élargissement de la protection de la marque au-delà du territoire national.

A défaut de sécuriser les marchés d’exportation, l’opérateur s’expose non seulement au risque de contrefaçon ou de dépôt frauduleux de la part des tiers, mais également au danger de devenir lui-même contrefacteur d’une marque déposée antérieurement et de bonne foi par un concurrent.

En effet, le droit qui s’attache à la marque est régi par le principe de territorialité, selon lequel une marque n’est protégée sur un territoire que pour autant qu’elle y ait été enregistrée, l’usage n’étant, en principe, générateur d’aucun droit privatif sur celle-ci.

De plus, le phénomène de la globalisation, le principe de la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne, ainsi que l’importance grandissante du commerce électronique viticole accentuent davantage, si besoin était, l’impérieuse nécessité d’étendre les droits nationaux d’une marque sur l’ensemble des marchés stratégiques d’exportation.

Compte tenu du budget que requièrent de telles extensions de protection à l‘international (dont les frais ne se limitent pas, rappelons-le, aux simples opérations de dépôt), il est vivement conseillé d’établir un ordre de priorité au vu des impératifs commerciaux et, dans une certaine mesure, eu égard aux pays à haut risque de contrefaçon (Chine, Fédération de Russie, Brésil, etc.).

Une fois la stratégie de dépôts déterminée, trois voies de protection sont généralement disponibles, à savoir : la voie nationale, la voie régionale et la voie internationale.

Il est possible de déposer une marque directement auprès des autorités nationales des pays choisis. La plupart requièrent la constitution d’un mandataire local. Si la marque n’est destinée qu’à un seul pays, un dépôt national peut apparaître, dès lors, opportun (par exemple, en cas de dépôt d’une marque dans les caractères correspondant à la langue du pays ciblé – caractères chinois, cyrilliques, etc.).

Des dépôts peuvent aussi être effectués auprès d’Offices régionaux qui permettent d’obtenir la protection d’une marque simultanément dans plusieurs pays, comme par exemple auprès de l’Office d’Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI) pour tous les Etats membres de l’Union européenne ou encore de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) pour tous les pays de l’Afrique francophone subsaharienne.

Les dépôts régionaux permettent d’obtenir une protection uniforme sur un vaste territoire régional pour un coût sensiblement inférieur à celui induit par des dépôts nationaux successifs.

L’enregistrement international des marques (dénommé Système de Madrid) permet d’étendre la protection d’une marque déposée ou enregistrée, dans plusieurs pays simultanément, moyennant le dépôt d’une demande d’enregistrement unique auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Outre l’avantage financier notable qu’il procure par rapport à des dépôts nationaux étrangers, le Système de Madrid permet aux titulaires d’étendre la portée géographique de la protection de leurs enregistrements internationaux de marques au fur et à mesure de la conquête de nouveaux marchés étrangers.

Pour le cas où la marque sur laquelle reposera la future demande d’enregistrement international (marque de base) n’aurait pas été préalablement déposée, il convient de garder à l’esprit les recommandations suivantes.

En premier lieu, il est préconisé de retirer de la représentation du signe de la marque de base toutes les mentions obligatoires et facultatives en matière de règlementation d’étiquetage sur lesquelles le déposant ne peut prétendre à aucun droit exclusif (appellation d’origine, mention valorisante, type ou couleur du vin, millésime, etc.).

En effet, la présence de ces éléments peut non seulement venir encombrer la protection juridique de la marque ainsi déposée, mais également constituer des motifs de refus d’enregistrement selon certaines législations étrangères dans le cadre de la validation ultérieure de l’enregistrement international par les Offices des pays concernés.

En second lieu, il est toujours préférable de privilégier, à titre de marque, la protection de la dénomination avant d’envisager celle de l’étiquette intégrant des éléments graphiques (représentation domaniale, blasons, couleurs, etc.).

En effet, les étiquettes, logos, couleurs évoluent nécessairement avec le temps, au point de s’éloigner parfois notablement de la forme graphique de la marque telle que déposée. Aussi, l’intérêt de la protection de la marque portant uniquement sur la dénomination est de conserver une antériorité, et ce quelle que soit l’évolution de l’étiquette dans laquelle elle s’intègre.

En outre, le dépôt sous forme verbale permet d’optimiser la portée de la protection juridique, en focalisant le droit privatif sur le nom de la marque. En effet, la contrefaçon porte généralement davantage sur le nom d’une marque que sur son aspect figuratif, dans la mesure où seul le nom permet d’identifier le vin en question.

Quelle que soit la voie de protection retenue, il est toujours conseillé de vérifier, avant les opérations de dépôt et/ou les premiers actes d’exploitation, la disponibilité juridique de la marque sur les territoires étrangers visés.

Enfin, la réflexion sur la protection d’une marque à l’étranger doit intervenir au plus tôt. En effet, à compter du jour du premier dépôt de marque, le titulaire bénéficie d’un droit de priorité qui lui permet, durant une période de six mois, d’effectuer à l’étranger d’autres extensions de la même marque, sans que des tiers puissent s’y opposer en invoquant des droits postérieurs au premier dépôt.

Ces démarches de protection visant à la sécurisation d’une marque sur les marchés d’exportation s’avèrent nécessaires, pour ne pas dire incontournables. En effet, il n’est pas rare qu’un opérateur s’aperçoive que sa marque a d’ores et déjà été déposée par un tiers malintentionné, voire par un ancien partenaire, ce qui est susceptible de mettre en péril toute collaboration avec un nouveau distributeur local, lequel demandera fréquemment les justificatifs de protection de la marque afin de s’assurer une paisible exploitation de celle-ci sur son territoire.

Philippe Rodhain Chargé d’enseignement Bordeaux IV Master II Droit de la Vigne et du Vin Master II Intelligence Economique _ Conseil en Propriété Industrielle _ www.ipsphere.fr