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La non assistance à personne en danger dans le milieu médical. Par Audrey Laur.
Parution : jeudi 10 octobre 2013
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Selon l’article 223-6 du Code pénal, est considéré comme non assistance à personne en danger le fait pour « quiconque [ de s’abstenir ] volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ». Cette obligation morale s’impose à tout citoyen français. Cet article se focalisera toutefois sur les professionnels de santé dont les médecins.

S’il est très rare qu’un médecin ne porte pas assistance à un malade ou à une personne en danger de manière générale, ce cas n’est pas pour autant totalement à exclure. Car la non assistance à personne en danger n’est pas qu’une situation rencontrée directement entre un seul médecin et un malade (I). Cela peut se produire lorsque deux ou plusieurs médecins sont en conflit au point que cela ait des conséquences préjudiciables à l’égard des malades (II).

I - Non assistance du médecin à l’égard du patient

Protégé par son obligation de moyens, le médecin doit mettre en œuvre tous les moyens qui lui sont disponibles pour assister la personne en danger. Un médecin qui ne porterait pas assistance à une personne en péril et serait mis en cause devant les juridictions françaises, mettrait sa responsabilité civile, pénale et ordinale en jeu. De par la loi française, la non-assistance à personne en danger ( article 223-6 du Code pénal ) est un délit punissable d’emprisonnement et d’amende, et peut donner lieu également à une réparation pécuniaire sur le plan civil en cas de dommage. De plus, cette inaction est contraire au Code de déontologie médicale ( article 9 du Code de déontologie médicale ; article R. 4127-9 du Code de la santé publique ).

En effet, ce qui est punissable est le refus conscient et intentionnel de porter secours à une personne en danger ( CA Lyon, 28 /06 /2000 ) bien que le professionnel de santé soit informé de la situation mais refuse délibérément - intention coupable - d’effectuer un diagnostic conforme aux règles de l’art médical ( C. cass. 03 /02 /1993 ), ou d’apprécier la gravité de la situation, ou de donner l’assistance nécessaire à la personne en péril sans risque pour lui ou des tiers ( C.cass., crim. 27 /05 /1991 ). Pour que soit démontré le péril, il faut des conditions cumulatives : le péril doit être réel ( toute éventualité est écartée ) et imminent ( le danger est en cours et nécessite une intervention immédiate compte tenu de la gravité du danger ), et ne doit pas présenter de risque pour celui portant secours ou pour des tiers ( à défaut de pouvoir porter secours personnellement, le professionnel de santé doit avoir recours à des personnes plus compétentes ) [1].

Ces responsabilités seront reconnues à l’encontre de tout médecin français qui serait traduit en justice devant une juridiction reconnaissant également le délit de non-assistance à personne en danger ( ex : Allemagne, Italie, Japon ). Il en va de même pour un médecin étranger qui serait poursuivi devant les juridictions françaises ou une juridiction d’un pays reconnaissant le délit de non-assistance à personne en péril.

Actuellement, mais de manière non exclusive, les professionnels de santé qui sont confrontés le plus fréquemment à ce problème de non assistance à personne en péril sont les permanenciers auxiliaires de régulation médicale, les urgentistes et médecins généralistes si bien que de nombreuses dispositions réglementaires ont été mises en place pour rappeler les missions auxquelles ces professionnels de santé sont tenus ( ex : décret n°90-839 du 21/ 09/ 1990 ; circulaire ministérielle n°2004-151 du 29 /03/ 2004 ; art. L 6311-1 Code de la santé publique ; décret n° 87-1005 du 16 décembre 1987 ; circulaire ministérielle DHOS/01 no 2006-470 du 10 octobre 2006 ; etc ) [2] [3]

Les juridictions anglaise, américaine, australienne ( sauf les Etats du NSW, ACT et NT ) [4], asiatique ( sauf le Japon ) et canadienne ( sauf le Québec ) n’ont, par contre, pas la même approche.
Selon ces juridictions, un médecin qui agirait en dehors de son cadre de travail comme peut l’être un établissement public ou privé voire un cabinet professionnel ( ex : un médecin est témoin d’un accident de la route ) n’est pas, en principe, dans l’obligation de porter secours à une personne qui ne serait pas préalablement son patient ( contrat ) ou n’aurait pas de lien familial avec la victime. La seule sanction que le médecin encours est avant tout d’ordre moral et professionnel, mais sur le fond, nullement légale. La victime ne pourra donc obtenir qu’une condamnation minime sur le plan éthique. Car selon le serment d’Hippocrate, le médecin doit remplir ses devoirs de médecin envers tous les patients. Par contre, la notion de “Good Samaritan” ne s’applique pas dans le cas de médecins qui, sur leur lieu de travail ( ex : hôpital ) ou dans le cadre d’une mission ou un déplacement d’ordre professionnel, doivent soigner des personnes ( ex : service d’urgence ). Car cela rentre dans le cadre de leur emploi.

L’intervention des médecins anglo-saxons ( Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie ) et asiatiques est en fait fondée sur la notion de “Good Samaritan” ( Bon Samaritain ). Souvent, cette notion est confondue à tort avec l’obligation de porter secours à une personne en danger. Or, son fondement est tout autre. La notion de “Good Samaritan” a été mise en place pour encourager les gens à porter assistance aux personnes en danger sans être poursuivis postérieurement pour avoir porté secours. Cette notion se différencie donc de celle de l’assistance à personne en danger. Le devoir d’assistance tel que définit par exemple en France, suppose que la responsabilité de la personne portant assistance puisse être engagée. Vis-à-vis des médecins, les notions de “perte de chance”, de “retard de diagnostic”, etc sont des exemples illustratifs montrant une tendance judiciaire à favoriser l’indemnisation par rapport à l’assistance. La notion de “Good Samaritan” s’interprète dans le sens inverse. Elle favorise avant tout le fait de porter secours de manière raisonnable. Les anglo-saxons considèrent cette notion comme d’utilité publique. Du moment que le médecin ( ou tout individu portant assistance ) ne commet pas de faute grave au point d’aggraver la situation de la personne en danger et a agi de bonne foi, ce dernier ne sera pas sanctionné par le juge. En d’autres termes, la notion de non assistance à personne en péril se fonde sur une obligation morale sanctionnable pour non respect lorsque celle de “Good Samaritan” veut privilégier l’action civique.

Les médecins anglo-saxons et asiatiques ( ex : Singapour, Malaisie ) sont donc plus enclins à porter secours sans crainte de poursuite judiciaire si leur législation venait à s’appliquer. Contrairement aux législations appliquant la notion de non assistance à personne en danger où les personnes agissent plus par peur des conséquences judiciaires que par raison humanitaire, sans pour autant être à l’abri d’actions ultérieures si l’assistance fournie entraînait des séquelles à la victime.

Il est à noter également que les juridictions anglosaxones, si reconnaissent également la notion d’universalité du titre de médecin, pénalisent les médecins si ces derniers agissent en dehors de leurs compétences professionnelles et sont en état d’ébriété ou sous l’influence de médicaments voire de stupéfiants. Telle est la position, par exemple, de la jurisprudence australienne et américaine. La finalité encore une fois est d’éviter d’aggraver la situation de la personne en danger, mais aussi d’agir avec diligence et compétence. À l’opposé, les professionnels de santé français doivent, eux, quelque soit leurs compétences professionnelles, porter assistance ou à défaut appeler les secours compétents si il est avéré que les compétences et/ou moyens du professionnel de santé sur place sont manifestement limités face au péril. Ce qui est sanctionné est avant tout l’inactivité volontaire.

Ces différences culturelles et jurisprudentielles ne doivent pas être négligées d’un point de vue international. Car, dans un monde où les expatriations, la liberté de circulation des personnes et des services, et les voyages priment, il sera de plus en plus fréquent de rencontrer des situations de conflits de juridiction et culturel ( ex : une personne française est en situation de danger dans un pays reconnaissant uniquement le principe de “Good Samaritan”. Ou inversemment, un anglosaxon ignorant l’article 223-6 du Code pénal, séjournant temporairement en France ).

Parallèlement, il est important de s’intéresser au phénomène de non assistance d’un médecin à l’égard d’un autre professionnel de santé et qui a des répercussions néfastes sur le malade.

II- Non assistance d’un médecin à l’égard d’un autre médecin

Certaines professions médicales sont plus enclins à des conflits avec leurs confrères au point de constituer des conséquences préjudiciables à l’encontre des malades comme la non assistance à personne en danger. Tel est le cas des anesthésistes assistant des opérateurs tels que les chirurgiens ou les gynécologues.

En effet, même si l’anesthésiste est un médecin pouvant agir en toute indépendance selon le code de déontologie, son action l’oblige à collaborer, le temps d’un acte chirurgical, avec un autre spécialiste. Il en va de même pour un médecin qui refuserait de travailler avec un anesthésiste en particulier. Tout conflit dans cette collaboration peut être nuisible dans le bon déroulement de l’acte médical ( pré, per et post-opératoire ) et, par répercussion, à la sécurité des malades et aux soins de qualité auxquels ils peuvent s’attendre. Ainsi, si un anesthésiste en conflit avec son confrère, ou réciproquement, quelque soit la raison ( ex : jalousie ; conflit hiérarchique ; etc ), refuse délibérément de se déplacer sans offrir d’alternatives de remplacement et d’informations sur ses motivations, peut engager sa responsabilité individuelle à l’égard de l’article 223-6 du Code pénal. Ceci est encore plus sanctionnable si l’anesthésiste est de garde et qu’il y a urgence à soigner le malade confronté à un péril vital.

S’il peut être admis que le médecin refuse de pratiquer un acte médical contraire au droit, à ses convictions personnelles ou à des données de sécurité médicale ( ex : désaccord sur l’intervention en elle-même ; compétences médicales limitées ), et que ce médecin a préalablement et explicitement défini ses raisons par écrit, toute dispute avec un confrère ne doit pas affecter la santé des malades. Par principe, les médecins sont tenus solidairement avec leurs confrères à la bonne continuité des soins quelque soit le moment de l’acte opératoire ( jour, nuit, week-ends, gardes, vacances, etc ) ( articles 77 et 78 du Code de déontologie médicale ). Ils doivent également entretenir des rapports de bonne confraternité avec leurs confrères ( article 56 du code de déontologie médicale ) [5] en assurant une assistance dans l’adversité. Ainsi, les médecins doivent collaborer chaque fois que l’intérêt du malade est en cause ( intervention nécessaire ou à la demande du malade ).

Comme l’a reconnu le Conseil National de l’Ordre des Médecins, les « médecins doivent donc se connaître et savoir travailler ensemble, sans qu’une bonne entente entre eux ne devienne jamais une connivence au détriment du patient [...] [ Ce dernier ] ne doit jamais être ni l’objet ni même le témoin d’affrontements entre praticiens qui se disent confrères. Le médecin ne doit jamais médire d’un confrère dans l’exercice de sa profession, mais plutôt prendre sa défense s’il est injustement attaqué » [6]

En effet, toute injure, calomnie ou insulte entre médecins doit être évitée en présence des malades et/ou ne doit pas conduire à des comportements qui pourraient porter préjudice à la sécurité et santé des malades. Ainsi, si le comportement fautif du médecin à l’égard de son confrère conduit à porter préjudice au malade au point de ne pas lui porter assistance en situation de péril, ce dernier peut être reconnu coupable sur la base de l’article 223-6 du Code pénal à titre personnel [7]. Il est aussi possible pour la victime et/ou ses tiers de tenter une action judiciaire tant à l’égard du seul médecin fautif ( article 59 du Code de déontologie médicale ) et/ou à l’égard de l’équipe médicale et/ou à l’égard de l’établissement public ou privé de santé ( hôpital ou clinique ). En effet, du point de vue de l’établissement public ou privé de santé, même s’il peut être prouvé, par exemple, que l’anesthésiste est fautif de non assistance à personne en péril par son refus non justifié et délibéré de se déplacer, l’hôpital ou la clinique est tenu d’organiser une permanence d’anesthésistes pour les urgences ( C. cass. civ., 15/ 12/ 1999 ). Ceci pour éviter justement l’impossibilité volontaire ou involontaire de l’anesthésiste de se déplacer.

Comme précédemment développé, les responsabilités engagées sont d’ordre pénal ( article 223-6 du Code pénal ), civil ( juridictions civile et administrative ) et déontologique ( article 9 du Code de déontologie médicale ; article R. 4127-9 du Code de la santé publique ).

Une telle situation n’est pas propre qu’aux relations entre anesthésistes et leurs confrères spécialistes. Les relations tendues que certains médecins spécialistes et généralistes entretiennent voire entre professionnels de santé au sens large peuvent mener aussi à des cas de non assistance à personne en danger au détriment du malade.

Contrairement au cas des anesthésistes susmentionné, l’article 223-6 du Code pénal peut jouer en l’absence de continuité des soins ( ex : défaut d’informations entre professionnels de santé par le biais de rapports, dossiers, prescriptions ou autres décisions essentielles pour assurer la qualité des soins et la sécurité du malade ; absence de recommandations à un confrère en cas d’empêchement ou de désengagement justifié ; etc ) au point que cela puisse mettre le malade en situation de danger et que rien ne soit fait pour y remédier. L’absence d’urgence d’un acte médical à un moment donné ne suppose pas qu’il n’y aura pas postérieurement de danger vital. Ce point relève de l’appréciation des juges quant aux circonstances et à l’attitude du ou des professionnels de santé en cause. Mais, l’idée est d’éviter que tout conflit et désintérêt entre médecins soit préjudiciable aux malades.

Si le principe de non assistance à personne en danger est une obligation applicable à tout individu soumis à une juridiction reconnaissant un tel principe, ce dernier semble s’imposer avec plus force vis-à-vis des professionnels de santé de par leurs missions d’administration des soins. De plus, la médecine est un métier qui nécessité solidarité du corps professionnel pour le bien de la société. Et même s’il est reconnu et mis en exergue l’individualité et indépendance de chaque médecin, cela ne doit pas pour autant affecter la bonne coopération à laquelle les professionnels de santé sont tenus entre eux à leurs seuls profits ou à des fins personnelles contraires à la déontologie. Car au final, la préoccupation première doit rester le bien-être et la sécurité des malades notamment ceux en péril vital.

Audrey LAUR

[1VILANOVA J, “ Étude - La non assistance à personne en danger ”, La Médicale, Avril 2010, p. 6

[2CAILLOCE D, “ La responsabilité du médecin régulateur de centre 15 ”, MACSF, Juin 2009, 11 p.

[3COHEN P. & JALLET L, “ Quelle responsabilité dans l’urgence ? ”, La Gazette Santé social.fr, Septembre 2008, p.1-2.

[4GULAM H., “ A brief primer on Australian Good Samaritan law for health car Professionals ”, Australian Health Review, Dec. 2011

[5Code de déontologie médicale, Conseil National de l’Ordre des Médecins, (disponible sur http://www.conseil-national.medecin.fr/groupe/56/tous)

[6Ordre National des Médecins, “ Responsabilité des médecins de garde ou d’astreinte analyse juridique et déontologique ”, Octobre 2001, 8 p.

[7Ordre National des Médecins, “ Recommandations concernant les relations entre anesthésistes réanimateurs, chirurgiens et spécialistes ou professionnels de santé ”, Décembre 2001, 13 p