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La nouvelle génération d’avocats tunisiens s’impatiente. Par Delphine Iweins.
Parution : jeudi 17 octobre 2013
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La jeune génération d’avocats d’affaires tunisiens refuse d’attendre la stabilité de leur pays pour se faire connaître à l’international et mettre en valeur leurs compétences. Deux d’entre eux, Amira Aouididi, juriste pour Méritas réseau international d’avocats et de juristes et Elyes Chafter, avocat collaborateur au sein du cabinet Chafter Raoaudi & Associés reviennent sur les efforts à produire, interviewées par Delphine Iweins, qui poursuit son tour du monde des avocats d’affaires.

La situation économique et politique actuelle de la Tunisie est-elle la cause principale des difficultés rencontrées par les avocats d’affaires ?

Amira Aouididi : Il est vrai que la Révolution a entraîné une reformulation de l’ensemble des systèmes et a donné une image internationale d’une Tunisie fragile en pleine transition politique. Cependant, d’un autre côté, il faut savoir aller chercher les opportunités. Et à mon sens, c’est le travail que nous devons effectuer en tant qu’avocat et juriste. Nous devons convaincre nos futurs clients de s’installer en Tunisie quelques soient les conditions actuelles. Il faut cesser d’attendre que les investisseurs viennent par eux même. D’autant plus que la stabilité économique et politique de la Tunisie va sûrement prendre plusieurs années.
Le problème des avocats d’affaires aujourd’hui n’est pas seulement dû au contexte post révolutionnaire. Nous avons un système efficace sur le papier mais en pratique c’est une autre histoire. La profession rencontre des problèmes de formation évidents.

Elyes Chafter : Les Tunisiens, et du même coup les avocats d’affaires, restent dans l’attente et l’expectative. Même si nous sommes dans une période de transition, nous avons un cadre juridique clair.
Après la Révolution il y a eu une vague de revendications mais aucune priorité dans ces revendications, aucune hiérarchie, tout devait être fait tout de suite. Ce qui explique la fuite des capitaux. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas des personnes qui veulent investir. Dans certains domaines à haute valeur ajoutée, des PME se sont créés localement depuis la Révolution surtout dans le domaine des nouvelles technologies.

Que devraient faire, selon vous, les avocats d’affaires tunisiens pour se rendre plus attractifs et plus concurrentiels ?

Amira Aouididi : Il existe ici un vrai marché des avocats d’affaires. Néanmoins, le premier handicap des avocats tunisiens est la maîtrise des langues. Parler qu’arabe et français ne pose pas de problème pour des avocats qui n’ont que des dossiers nationaux, mais pour des avocats d’affaires internationaux c’est un réel problème. Comment voulez-vous élargir votre réseau si vous ne parlez pas plusieurs langues ? Par exemple si vous souhaitez faire des affaires avec la Turquie. Les Turcs ne parlent ni français ni anglais.Or, d’un point de vue du droit maritime, les opérations maritimes entre la Tunisie et la Turquie sont nombreuses. C’est un exemple de marché et de nouveaux clients à conquérir. Les avocats multilingues sont encore trop rares.
Ensuite, je suis persuadée qu’être un bon avocat c’est être pluridisciplinaire. Comment conquérir de nouveaux clients sans pour autant posséder des notions de marketing et de psychologie ? Comment gérer ses affaires et ses dossiers sans management ? C’est primordial. Maîtriser le droit ce n’est pas uniquement étudier les matières de droit. Pourquoi ne pas instituer des cours du soir de marketing ou de psychologie par exemple pour les avocats ?
Nous avons toutes les cartes en main pour proposer aux sociétés internationales et locales des services précis de qualités. A nous de les faire connaître et de ne pas se dissimuler derrière le contexte actuel de notre pays.

Elyes Chafter : Etre un avocat d’affaires, conseil auprès d’entreprises internationales, nécessite de parler plusieurs langues. Par exemple, notre cabinet travaille en arabe, français, anglais. Or la plupart des avocats qui se disent avocats d’affaires ne parlent pas anglais et le marché français est totalement saturé.
Le Conseil de l’Ordre a même lancé une formation pour devenir conseil en entreprise. Mais tout cela importe peu si nous n’avons pas vraiment derrière nous de bonnes connaissances linguistiques pour pouvoir s’imposer. Les connaissances, le relationnel, les connections avec les des avocats étrangers sont nécessaires. Trop de gros cabinets d’avocats internationaux font de leurs collaborateurs des salariés. C’est un énorme frein pour notre profession.
Depuis la Révolution, de nombreux jeunes avocats ont décidé de se mettre directement à leur compte en montant leur propre cabinet. La peur du réseau de l’ancien régime est derrière nous.

Delphine Iweins http://avocatsetlibertedexpression.weebly.com/ Twitter : @actu_incomplete Facebook : https://www.facebook.com/avocatsetlibertedexpression