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Quelle place pour les articles 14 et 15 du Code civil aujourd’hui ? Par Christophe Georges Albert.
Parution : jeudi 24 octobre 2013
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De 1804 à 1960, ils ont été les seuls articles relatifs aux règles de compétence internationale française, or le mouvement observé aujourd’hui est que les règles de compétences ordinaires ont pris le pas sur ces articles, du fait notamment de l’internationalisation des sources du Droit international Privé et pour les européens de sa communautarisation.

Les règles de procédures visent à permettre aux parties de soumettre leur litige à un tribunal compétent, ce droit étant par ailleurs reconnu au regard de l’article 6 §1 de la CESDH pour les ressortissants communautaires, ou par le droit interne des états en vertu de leurs dispositions procédurales en matière de règles de compétence internationale.

Ainsi, présents dans le Titre Ier « Des droits civils », les articles 14 et 15 du Code Civil disposés dans le Code de 1804 édictaient deux règles de compétence internationale permettant à un partie de nationalité française , qu’elle soit demanderesse ou défenderesse de bénéficier d’un privilège indirect de juridiction et de porter ainsi son litige devant le juge français.
Axé sur la nationalité, le revirement de jurisprudence intervenu dans les années 60 nous conduit à exclure les règles relatives à la compétence des tribunaux français en raison du domicile des parties quelles soient françaises ou étrangères.

De 1804 à 1960, ils ont été les seuls articles relatifs aux règles de compétence internationale française, or le mouvement observé aujourd’hui est que les règles de compétences ordinaires ont pris le pas sur ces articles, du fait notamment de l’internationalisation des sources du Droit international Privé et pour les européens de sa communautarisation.

L’enjeu de ces derniers est alors tant de permettre la reconnaissance de la compétence d’une juridiction étrangère pour juger du litige opposant les parties dont l’une au moins est de nationalité française que de permettre l’exécution d’une décision rendue par une juridiction étrangère à l’encontre d’un ressortissant français, sans qu’il soit possible de contester systématiquement la compétence de la juridiction étrangère.
Il s’agit dès lors est de faire le point tant sur leur domaine respectif (I), que sur leur régime (II)

I – Le domaine d’application des articles et du Code civil

Certaines règles du Droit international privé ont été fondées sur la nationalité des parties, les articles 14 et 15 du Code Civil offraient ainsi aux justiciables français quelque soit leur position dans le litige de bénéficier d’un privilège de juridiction (A), mais cette faveur a été aujourd’hui abandonnée par la jurisprudence (B)

A – L’application d’un privilège indirect de juridiction

Il suffisait que la nationalité du bénéficiaire soit appréciée au moment de l’introduction de l’instance pour que les juridictions françaises se déclarent compétentes (Cass. Civ.1° du 21/03/1966), la jurisprudence les avaient par ailleurs dotés à cet égard d’un champ d’application général (Cass.Civ.1° du 01/02/1955), moins quelques exceptions (Cass.Civ.1° du 17/11/81, quant aux actions immobilières).

Les articles 14 et 15 du Code Civil ne sont cependant pas d’Ordre public et ne peuvent être d’office soulevés par le juge (Cass.Civ.1° du 26/05/99),
Cependant, du fait du droit européen de la compétence internationale, ils ont tout à la fois subi une extension, le règlement Bruxelles I du 22/12/00 prévoit en effet que pour les litiges qui ne relèvent pas de sa compétence, les résidents et les nationaux peuvent bénéficier de ces dispositions et une restriction de leur application au titre du même règlement, car si le défendeur à l’action est établi sur le territoire de l’UE, ils ne peuvent être invoqués.

Ainsi, les articles 14 et 15 du Code Civil ont-ils reçus de l’évolution de la jurisprudence de nouveaux modes d’application.

B – La nouvelle jurisprudence appliquée aux articles 14 et 15 du Code Civil

Dans un arrêt de la 1° Civ du 22/05/07, la Cour de cassation était interrogée sur le fait de savoir comment appliquer l’article 14 du Code Civil, elle décida alors que ce dernier pouvait être invoqué si l’une des parties était française ou si aucune juridiction étrangère n’avait été préalablement saisie et sauf renonciation expresse du justiciable, par ailleurs, si la partie entendait développer ce moyen à l’occasion d’un risque déni de justice, on remarquera que cette extension de la compétence du juge français dans un litige international ne pouvant pas être invoquée d’office par le juge, il revient à la partie demanderesse de l’exprimer sous peine de renonciation tacite de ce moyen de défense (Civ.1° du 13/01/81).

L’article 15 du Code Civil quant à lui a fait l’objet selon les spécialistes d’une interprétation déformante aux fins de l’ériger en privilège de juridiction indirecte.

La jurisprudence autorisait ainsi un français de s’opposer à la reconnaissance de toute décision rendue contre lui à l’étranger comme émanant d’une juridiction incompétente, la Cour de cassation dans l’arrêt « Prieur, Civ.1° du 23/05/06 » a mis fin à ce privilège qui était cependant largement privé d’effet par le droit communautaire.

En effet, le recul le plus sérieux est venu de la Convention de Bruxelles du 27/09/68 reprise par la Convention de Lugano du 16/09/88 qui a écarté aussi bien les articles 14 et 15 du Code Civil en ce qui concerne les règles de compétence directe et supprimée en principe tout contrôle quant à la compétence du juge d’origine.

Il en est de même dans le règlement Bruxelles II du 27/11/03 sur la compétence et l’exécution des décisions en matière matrimoniale.
Les articles 14 et 15 du Code Civil répondent désormais à un nouveau régime

II – Régime des articles 14 et 15 du Code civil

De 1804 à 1960, ils étaient les seuls articles de compétence internationale française, le mouvement désormais observé est que les règles de compétence ordinaire ont pris le pas sur ces articles.
Ce sont ainsi des règles de compétences subsidiaires (A) qui ne s’appliquent que si aucun autre critère de compétence internationale ne désigne une juridiction étrangère (B)

A – Une règle de compétence subsidiaire et facultative

L’arrêt de la 1° Civ du 19/11/85 avait posé que l’article 14 du Code Civil n’avait qu’un caractère subsidiaire et qu’il ouvrait aux nationaux qu’une simple faculté, et depuis l’intégration à l’UE, ce n’est que lorsque le règlement communautaire ne dispose pas de la compétence d’une juridiction désignée par l’application de ses règles que les états retrouvent le droit d’appliquer leurs règles internes de compétence internationale « Civ.1° du 30/09/09 »
Il est cependant toujours loisible aux parties de renoncer au bénéfice de ces articles, sous réserve que le litige n’intéresse pas l’Ordre public français auquel cas la renonciation resterait sans effet « CA. Paris, 22/10/70 »

B – Désignation par une règle de compétence internationale

Par principe, si un litige présente un caractère international, les tribunaux français ne peuvent pas les connaître, si aucune règle de compétence internationale ne leur donne cette compétence.
Par ailleurs, outre les règles disposées par les Traités et les règlements de l’UE, il était possible pour un même litige d’être confronté à la saisine de deux juridictions différentes, ce conflit de procédure est alors réglé par la notion de litispendance internationale, dès lors depuis l’arrêt « Société Miniera di fragne du 26/11/74 », le juge français, même si une des parties au litige est un national, à partir du moment ou il est saisi en 2nd doit se dessaisir au profit du juge étranger sous réserve néanmoins que la décision soit susceptible d’être reconnue en France.
On admettra ici, tout l’intérêt de cette décision au regard des conséquences de l’article 15 du Code Civil quant aux conditions d’exécution des jugements rendus par une juridiction étrangère, qui désormais ne fait plus objectivement obstacle au dessaisissement du juge français en cas de litispendance internationale.

Christophe GEORGES ALBERT www.pack-ankh.fr