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Procès prud’homal et moyens de preuve. Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
Parution : mercredi 23 octobre 2013
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Les éléments de preuve sont fondamentaux dans tout procès puisqu’il appartient à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver en application des dispositions du Code civil :
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
 [1].

Dans le cadre de la procédure prud’homale, il est maintenant bien établi que le salarié peut verser aux débats tous les documents dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions dès lors que leur production est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le cadre du litige l’opposant à son employeur. [2]
Il est donc capital de savoir quels sont les moyens de preuve qui sont considérés comme recevables s’agissant plus particulièrement des « nouvelles technologies ».

La recevabilité des SMS a été admise par la Cour de cassation [3] au motif que si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits S.M.S., dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur.

Par transposition de sa jurisprudence sur les S.M.S., la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser récemment [4] que le message laissé sur le répondeur d’un salarié est également un mode de preuve recevable considérant que n’est pas déloyale l’utilisation par le destinataire des messages téléphoniques vocaux dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur.
Pour la première fois, à notre connaissance, la Cour de cassation, vient de se prononcer sur la recevabilité d’un courriel dans une affaire où l’employeur niait être l’auteur et l’expéditeur d’un courrier électronique dont il contestait l’authenticité.

La question était d’importance puisque ce courrier électronique, avait été produit par la salariée licenciée pour faute grave du fait de son absence injustifiée (elle n’était pas revenue dans l’entreprise après un arrêt de travail pour maladie) afin d’établir que c’était en fait l’employeur qui lui avait demandé de ne plus venir travailler. Il était rédigé en des termes à la fois injurieux, grossiers et menaçants pour le moins effarants :
« J’attends toujours ta lettre de démission car après mon comportement tu dois bien comprendre que je ne veux plus voir ta g… et qu’il est hors de question que je débourse un centime pour ton licenciement ! ! ! ! ! Et pas la peine que tu me casses les c… avec tes conneries de prud’homme parce que moi j’ai un avocat et je t’enfoncerai encore plus que je l’ai déjà fait et crois moi c’est possible " […]
Alors je te préviens envoie moi ta lettre et plus vite que ça, tu vas enfin bouger ton gros c… pour quelque chose ! ! ! ! ! »

L’employeur qui avait plutôt intérêt à ce que le courrier électronique en cause soit écarté des débats, reprochait à la Cour d’appel de Bordeaux, de ne pas avoir vérifié si les conditions prévues par les articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil étaient bien réunies.
Les dispositions du Code civil susvisées résultant de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 ( art. 1 et 4 JORF 14 mars 2000) prévoient que :
« L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité . [5]
Et que, « La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte.
Lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
 » [6].

Par un arrêt du 25 septembre 2013 [7] la Haute Cour estime que les articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil ne sont pas applicables au courrier électronique produit comme moyen de preuve dans une procédure prud’homale.
Elle considère, en effet, que la preuve des faits peut être établie par tous moyens de preuve lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond :
« Les dispositions invoquées par le moyen ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond. »
Il appartient donc aux juges du fond de dire si un courrier électronique produit dans le cadre d’une procédure prud’homale est recevable, ce qui est évidemment favorable aux salariés sans pour autant remettre en cause « la responsabilisation du salarié face à la preuve dans le procès prud’homal » [8].

Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr

[1Article 1315 créé par la loi 1804-02-07 promulguée le 17 février 1804

[2Cass. soc., 11 mai 2004 n °03-80254

[3Cass. soc., 23 mai 2007, n°06-43.209

[4Cass. soc., 6 février 2013, n °11-23.738 FP-FB

[5Article 1316-4 du Code civil

[6Article 1316-4 du Code civil

[7Cass. soc., 25 septembre 2013, n°11-25.884 F-P+B, société AGL Finances c/Madame L…

[8C Tétard-Blanquart La Semaine juridique édition sociale n°42, 15 octobre 2013