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Affaire CDS / Pierre Fabre : vente en ligne de produits pharmaceutiques, réseau de distribution physique et restriction de la concurrence. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : lundi 25 novembre 2013
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La vente sur Internet dans le cadre de la distribution sélective est désormais autorisée par les autorités et juridictions nationales ainsi que par les instances européennes. Contrairement à la plupart des grands groupes qui ont finalement accepté d’adopter les engagements dictés par l’Autorité de la concurrence de supprimer de leurs conditions générales d’agréments les clauses interdisant la vente par Internet, la Société Pierre Fabre Cosmétique continue, elle, de faire de la résistance.
( Chambre commerciale, 24 septembre 2013, CDS et autres c/ PIERRE FABRE Demo-comestique)

Cependant, une décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 24 septembre 2013 (pourvoi n° 12-14.344) pourrait bien avoir sifflé la fin de la partie pour Pierre Fabre Cosmétique. La décision énonce en effet sans ambiguïté que le groupe ne peut interdire la vente en ligne de ses produits par ses distributeurs et surtout qu’il n’est pas en droit d’exiger d’eux la présence d’un employé diplômé de pharmacie dans les points de vente.

Les faits

A l’origine de cette solution, certaines parapharmacies implantées outre-mer ont assigné Pierre Fabre Cosmétique en raison du retrait de l’agrément qui leur avait été octroyés par le groupe de cosmétiques. La décision de retirer l’agrément a été prise en raison de la violation par ces parapharmacies de la clause 1.1 des conditions générales de distribution de vente qui contraint ces dernières à ne vendre les produits que sur les conseils d’un diplômé en pharmacie.

Prétentions et arguments des parties

Les parapharmacies ont demandé au juge du fond de constater la nullité de la clause imposant la présence obligatoire d’un diplômé en pharmacie pour la vente des produits ainsi que le caractère abusif de la rupture des relations commerciales et de condamner le groupe Pierre Fabre Cosmétique au paiement de dommages et intérêts.

La Cour d’appel de Toulouse donne gain de cause aux parapharmacies en qualifiant la clause d’illicite et de disproportionnée. L’arrêt condamne le groupe à verser au total 76.000 euros environ en réparation du préjudice subi. Pierre Fabre Cosmétique se pourvoit alors en cassation.

Le groupe développe plusieurs arguments dans ses différents moyens. Dans un premier moyen, il fait valoir que l’article 1134 du Code civil impose le respect de ce qui a été accepté et convenu par les parties et que le juge n’a pas le pouvoir de remettre en cause la volonté des parties ;

Se fondant ensuite sur l’article L. 420-1 du Code de commerce, le groupe soutient qu’un fabricant est en principe libre d’organiser la distribution de ses produits dès lors que ce mode de distribution n’est pas restrictif de concurrence. Or selon lui, la cour d’appel n’établit pas en quoi ce mode de distribution est susceptible de restreindre le jeu de la concurrence.

Dans un autre moyen le groupe invoque le sursis à exécution de la décision de l’Autorité de la concurrence du 29 octobre 2008 qui avait autorisé la vente par Internet des produits Pierre Fabre Cosmétique. Cela signifie que l’autorisation prononcée d’une vente en ligne n’était pas encore opératoire.

Or, selon le groupe la Cour d’appel s’est appuyée sur une décision dépourvue de l’autorité de chose jugée en considérant que l’autorisation de vente par Internet est immédiatement applicable et qu’il serait par conséquent illicite d’imposer la présence d’un diplômé en pharmacie pour la vente des mêmes produits sur les sites physiques. Il y aurait donc violation des articles L420-1 du Code de commerce et 101 §1 TFUE relatif aux restrictions de concurrence.

D’ailleurs, insiste le groupe, la décision de l’Autorité de la concurrence ne s’est prononcée que sur la licéité de la vente sur Internet et non point sur celle de la clause de qualification professionnelle.

Le groupe prétendait enfin bénéficier d’une exemption individuelle concernant sa pratique anticoncurrentielle sur le fondement de l’article 101§ 2 du TFUE et principalement en raison du progrès économique que présente son mode de distribution.

La décision de la Cour de cassation

La Chambre commerciale rejette le pourvoi en s’appuyant exclusivement sur l’arrêt rendu par la CJUE le 13 octobre 2011 concernant justement le groupe Pierre Fabre Cosmétique (CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence).

Par cette référence, la Cour de cassation balaye tous les arguments qui sont soulevés devant elle. Pouvait-il en aller autrement si l’on considère que le juge national doit mettre en œuvre le principe de primauté dégagé par la jurisprudence de la CJUE ?

D’ailleurs, la Chambre commerciale ne manque pas de recourir à la formule « la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle, a dit pour droit.. ». Mais si le droit de l’Union prime sur le droit national, encore faut-il bien analyser les circonstances en cause, en l’occurrence l’examen de la clause concernée, pour déterminer si nous sommes ou pas en présence d’une restriction de concurrence conformément à l’article 101 §1 du TFUE.

C’est donc après avoir approuvé l’examen opéré par la cour d’appel sur le plan juridique et économique de la clause que la Cour de cassation décide que celle-ci, en ce qu’elle exige la présence sur le lieu de vente d’un diplômé en pharmacie, a un caractère disproportionné et qu’elle est illicite.

Elle ajoute que si une restriction de concurrence par objet peut bénéficier d’une exemption individuelle, c’est à la condition qu’une telle pratique restrictive de concurrence contribue à un progrès économique.

Analyse de la décision

Le contentieux de la vente en ligne dans le cadre de la distribution sélective n’est pas abondant et ne concerne que certains fabricants disposant d’une importante notoriété. Le groupe Pierre Fabre dermato-cosmétique est l’un de ces fabricants, résistant à l’option générale retenue par les juridictions nationales et européennes ainsi que par l’Autorité de la concurrence, en faveur d’une ouverture totale d’une vente en ligne par les distributeurs agréés.

Pour s’en tenir aux principales décisions en la matière, il faut rappeler que dès sa décision du 29 octobre 2008, l’Autorité de la concurrence avait décidé de l’illicéité de la clause stipulée par le fabricant interdisant la vente en ligne par les distributeurs du réseau. Cette décision concernait déjà le groupe Pierre-Fabre Cosmétique, lequel avait saisi la cour d’appel de Paris d’un recours. Or, la cour d’appel vient de rendre une décision confirmant la décision de l’Autorité de la concurrence (Paris, 31 janvier 2013 n° 2008/23812).

De même dans avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique, l’Autorité de la concurrence réitère son encouragement vers une plus grande ouverture de la vente en ligne dans le cadre de la distribution sélective, allant même jusqu’à préconiser l’ouverture au profit des pure players (cf. RTD Com. 2012 p. 739).

Jusqu’à présent en effet, Pierre Fabre est autorisé à n’admettre dans son réseau de distribution que ceux des distributeurs disposant au moins d’un point de vente classique, et à exclure donc ceux qui ne disposent que d’un site Internet.
Mais la principale décision, à laquelle se réfère les juridictions et autorités nationales, est celle concernant Pierre Fabre, rendue le 11 octobre 2011 par la CJUE. C’est précisément à cette dernière que se réfère la Chambre commerciale.

La décision de la CJUE avait décidé qu’une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de l’article 101 § 1 TFUE.

Pierre Fabre avait vainement fait valoir que l’exigence de la présence d’un professionnel de la santé constituait une garantie et un progrès pour le consommateur, lequel peut ainsi recevoir des conseils précis sur les produits.
De plus, autoriser la vente en ligne de ses produits était une source de parasitisme, les distributeurs pouvant librement copier le contenu et l’architecture des sites Internet.

Cependant ces arguments n’ont pas été retenus par la CJUE et par conséquent pas la Cour de cassation dans sa décision du 24 septembre 2013. C’est la méthode pragmatique caractérisant les décisions de la CJUE qui a été employée par la Chambre commerciale.

Elle approuve ainsi la cour d’appel pour les énonciations retenues : seuls les médicaments sur prescription exigent d’être délivrés par une personne diplômée en pharmacie, que les produits dermato-cosmétiques n’entrent pas dans le monopole des pharmaciens ; que par ailleurs, rien n’indique que la vente de produits dermato-cosmétiques nécessite au regard de la santé des consommateurs, d’être accompagnée de conseils particuliers.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que la clause 1.1 des conditions générales de distribution sera regardée comme illicite et disproportionnée. La Cour de cassation favorise l’aspect économique, c’est-à-dire le droit de la concurrence, plutôt que l’aspect purement juridique, à savoir la violation de l’article 1134 du Code civil.

Pierre Fabre n’est enfin pas admis à se prévaloir de l’exemption individuelle pour sa pratique restrictive de concurrence. En effet, les articles L.420-4 du Code de commerce et 101 §2 TFUE prévoit qu’une société peut bénéficier d’une exemption individuelle lorsque sa pratique bien que restrictive de concurrence constitue néanmoins un progrès économique dont peut profiter le consommateur.
Or en l’espèce, la Cour de cassation rejette ce moyen en considérant d’une part que le mode de distribution adopté par Pierre Fabre ne constitue aucunement un progrès économique et que d’autre part, la restriction de concurrence qu’elle met en œuvre n’est pas indispensable à la réalisation de ce progrès.
A ce propos, l’Autorité de la concurrence a rappelé les conditions à remplir pour qualifier le progrès économique : la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l’obtenir, l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute concurrence (Autorité de la conc. N°13-D-14 du 11 juin 2013).

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [->acheron@acbm-avocats.com]