Village de la Justice www.village-justice.com

Actualiser son profil sur LinkedIn constitue-t-il une violation d’une clause de non-concurrence ? Par Denis Courtieu, Juriste.
Parution : lundi 25 novembre 2013
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Actualiser-profil-LinkedIn-constitue,15661.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas tant le fait d’actualiser que les conséquences de cette actualisation.

En effet, mettre à jour son profil professionnel à l’occasion d’une nouvelle étape marquante de son parcours (par exemple démission suivie d’une embauche dans une autre société) va informer de cet évènement ses multiples contacts noués au cours de sa vie professionnelle précédente. Parmi ces contacts, seront très probablement présents des clients de son ancien employeur et d’anciens collègues.

En partant de l’hypothèse d’une clause de non-concurrence valide, l’ancien salarié doit-il modifier son profil LinkedIn et Viadeo en effaçant – temporairement - ses compétences faisant l’objet de ladite clause ?
Une notification de mise à jour à ses contacts (et en outre l’affichage de son contenu) est-elle assimilable à un démarchage ?

Telles sont les questions récemment abordées devant une juridiction américaine…..
Elles font écho à quelques dossiers traités en France. [1]

I. Les faits exposés et la décision judiciaire prononcée

A. Les faits [2]

Charlotte Muller, vice-présidente de l’entreprise KNF&T, démissionne de son poste après huit années d’exercice et rejoint l’entreprise Panther Global Group Inc.

On relève (au regard du niveau de responsabilité de la démissionnaire, ce n’est guère surprenant) une clause de non-concurrence d’une durée d’un an et géographiquement délimitée par un périmètre de " fifty mile radius of any office of the Company’s ".

Clause violée, selon KNF&T, notamment du fait de l’actualisation par Madame Muller de son profil LinkedIn annonçant à plus de 500 contacts de son réseau son nouveau poste chez Panther ; cette actualisation étant considérée comme équivalente à une "solicitation of business " auprès des clients de KNF&T. Précisément selon la demanderesse : “the LinkedIn posting was equivalent to a letter soliciting business”, “Updating (and thereby publishing) her LinkedIn profile to announce her position with Panther” [3].

B. La décision [4]

Le Massachusetts Associate Justice Thomas P. Billings, en “footnote” (note de bas de page n°6, p 7 de sa décision. Ce n’est pas un obiter dictum) aborde la question de l’actualisation du profil LinkedIn.

Après avoir souligné, entre autres, l’importance d’une appréciation prudente d’une clause de non-concurrence du fait du déséquilibre entre les parties cocontractantes, du caractère vital pour un salarié de travailler afin de subvenir à ses besoins quotidiens, il juge que la mention du nouveau poste de Madame Muller était formulée en termes suffisamment génériques notamment à propos de ses compétences et expertises (“Staffing Services” and “Recruiting ") sans mentionner spécifiquement des compétences directement liées à son ancien employeur (" no more specific mention of any of KNF&T’s Fields of placement ").

La preuve d’une menace réelle des intérêts de KNF&T n’étant pas rapportée, la demande de cette dernière, avec l’appui d’autres arguments avancés par le juge, est donc rejetée.

II. D’une action d’information à une démarche de prospection

Un équilibre est ainsi toujours recherché entre la protection des intérêts légitimes de l’ancien employeur et la liberté d’exercice professionnel du salarié.

Assimiler une actualisation d’un profil sur un réseau professionnel à un démarchage déloyal le rompt certainement en interdisant au salarié de soigner sa " marque employé " (" Improve your brand " affiche LinkedIn) [5].

A. Informer de sa situation professionnelle

Déjà en 1997 : "Le fait pour un salarié " d’aviser une clientèle de son départ et de la création d’une nouvelle société, alors que cette clientèle est libre de choisir l’entreprise avec laquelle elle veut travailler" n’est pas constitutif d’une faute" [6].

Pour écarter tout excès de restriction à l’égard du salarié, une requalification d’une clause de clientèle en clause de non-concurrence peut être opérée pour finalement neutraliser cette dernière :
" Dès lors qu’une clause de clientèle porte interdiction, y compris dans le cas où des clients de l’employeur envisageraient spontanément, en dehors de toute sollicitation ou démarchage, de contracter directement ou indirectement avec l’ancien salarié est caractérisée l’existence d’une clause de non-concurrence, illicite car dépourvue de contrepartie financière et non limitée dans le temps et dans l’espace " [7].

Sur la distinction entre ces deux clauses de clientèle et de non-concurrence [8].

Ligne directrice : informer, et potentiellement susciter l’intérêt d’anciens clients, mais sans cibler précisément ne porte pas préjudice.
Certes, il existe déjà un pré-ciblage dans le choix opéré par le salarié des contacts de son réseau professionnel qui ont accepté une mise en relation.
Tout autre est la prospection.

B. Prospecter

Il s’agit ici de contacter volontairement, par exemple par mail ou téléphone, ses anciens clients ou collègues.
" seuls des éléments objectifs, comme par exemple la commission d’actes positifs de concurrence déloyale, peuvent justifier la rupture du contrat de travail " [9].

Conclusion

En premier lieu, une règle de prudence : ne jamais accepter l’offre par son employeur d’un abonnement payant [10].

En second lieu, son propre profil construit sur un réseau social professionnel est le fil rouge de sa carrière professionnelle.
Il est jalonné d’autant d’étapes chez différents employeurs qui restent largement extérieurs à cette construction globale.

Les informations indiquées le sont d’ailleurs sous la responsabilité du salarié [11] excepté les renvois faits par celui-ci vers d’autres sources d’informations (blogs, groupes de discussion, actualités d’une entreprise suivie) dont il n’a pas véritablement le contrôle quant au contenu.

Denis COURTIEU Juriste/Conseil [CBO / Avocats->https://www.olivier-boulanger-avocat.fr/]

[1A titre d’exemple, pour un premier éveil sur la question : " Juridique : à qui appartiennent les contacts LinkedIn et Viadeo ? " par Alain Bastide et Franklin Brousse, avocat expert, Indexel.net 02/05/2012 " On est face à une problématique classique d’exploitation loyale ou déloyale des contacts professionnels " selon ce dernier qui souligne l’importance clé de la clause de non-concurrence et d’ajouter ensuite que " le fait que l’employeur finance un abonnement "premium" pour inciter le salarié à utiliser les réseaux sociaux dans le cadre de son activité professionnelle, "crée une forme de présomption de l’utilisation professionnelle du service et donc des contacts".

[2LinkedIn Post Likely Didn’t Violate Non-Compete Clause” par Sheri Qualters. The National Law Journal, 8 novembre 2013.

“A LinkedIn profile update alerting a user’s contacts about her new job did not necessarily constitute a solicitation of business that ran afoul of her non-compete agreement, a Massachusetts trial judge has ruled”.

[3" Injunctive relief " recherchée par le demandeur KNF&T devant la " Superior Court " 16 octobre 13.

[4Thomas P. Billings, Associate Justice, Superior Court Department : “Plaintiff’s motion for preliminary relief is denied” 24 octobre 13.

[5"Je recommande vraiment à chacun de gérer son image sur les réseaux sociaux comme si c’était une marque". Sébastien Bompard, chasseur de profils expérimentés pour DRH exigeants, Cabinet Taste. Propos rapportés par Céline Chaudeau © Cadremploi.fr 22 novembre 2013.

[6(Cass. com., 13 mai 1997, n° 95-12.578 : JurisData n° 1997-002225)

[7"Requalification d’une clause de clientèle en une clause de non-concurrence"
Cass. soc., 27 oct. 2009, n° 08-41.501, F-P+B, SAS Foncia République c/ Barrou
Commentaire par Bernard Bossu, Professeur à l’université de Lille 2, directeur du LEREDS La Semaine Juridique Social n° 6, 9 Février 2010, 1055

[8Clause de non-concurrence et clause de clientèle :
" la clause de non-concurrence a pour objet l’interdiction d’exercer une activité concurrente ou d’œuvrer au profit d’une entreprise concurrente ; celle de clientèle interdit – " seulement " - au salarié de contracter avec les clients de son ex-employeur, mais il n’est pas exclu qu’il travaille au profit d’un employeur concurrent "
" La cause au temps de la construction du contrat de travail " par Arnaud Martinon, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Paris 1)
(" La cause en droit du travail ", ouvrage collectif, 2013)

[9" La confiance en droit du travail " par Bernard Bossu, Professeur à l’université de Lille 2, directeur du LEREDS,(" La cause en droit du travail ", ouvrage collectif, 2013)

[10Abonnement payant LinkedIn à partir de 14,95 Euros par mois.
Une entreprise développe son carnet d’adresses avec ses propres moyens (bases de données, forum, lecture attentive des appels d’offres, etc…). Les compléter par le propre réseau développé par un salarié viendrait à douter de l’efficacité de sa politique commerciale. Au surplus, cet apport par le salarié peut ne pas être apprécié à sa juste valeur.

[11Pour l’appréciation d’informations à partir du réseau LinkedIn dans le cadre de contentieux récents :
Cour d’appel Saint-Denis de la Réunion, Chambre commerciale 15 Juillet 2013 N° 13/132, 12/01321
(...) Attendu qu’effectivement, très peu de temps après sa démission des fonctions de gérant de (…) , Monsieur X a repris dés décembre 2009 l’activité commerciale de conseil en systèmes et logiciels informatiques, d’une société Y, que cela ressort des informations qu’il a lui-même donné sur le site LinkedIn (...)

Cour d’appel de Paris Pôle 1, chambre 3, 28 Mai 2013 N° 13/06055
(…) Considérant que l’appelante fait encore valoir que M. X a indiqué sur son profil LinkedIn être depuis 2012 " manager director " de la société " Y ", laquelle exerce une activité de conseil en fusions-acquisitions concurrente de la sienne, alors qu’il est lié à elle par une clause de non-concurrence (…)