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L’incendie d’un véhicule en stationnement : quid des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 ? Par Olivier Baylot et Nicolas Fouilleul, Avocats.
Parution : lundi 2 décembre 2013
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Un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Montpellier le 3 novembre 2011 permet de faire un point sur la jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation au sujet des incendies impliquant un véhicule en stationnement dans un lieu privé non ouvert à la circulation.

Les faits sont les suivants :

Des adolescents bricolent sur une motocyclette dans un box-garage. Soudainement, souhaitant faire une mauvaise blague, l’un d’entre eux enferme un autre dans ledit box, le laissant dans le noir complet. Le jeune homme paniqué fait tomber la motocyclette et de la vapeur d’essence s’embrase, brulant gravement l’adolescent qui est néanmoins sauvé par les pompiers.

La mère du jeune homme mineur saisit le juge des référés du TGI de Montpellier pour solliciter que soit allouée à son fils une provision. Toutefois, le magistrat rejette cette demande aux termes d’une ordonnance du 03 février 2011. La demanderesse interjette alors appel de cette décision.

La Cour d’appel de Montpellier, quant à elle, va estimer que l’implication du cyclomoteur dans l’accident n’est pas suffisamment établie pour fonder une demande de réparation sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985. La Cour a écarté cette implication en dépit des déclarations de la victime confirmées par les constatations d’un expert, qui pouvaient laisser penser que la motocyclette avait provoqué l’étincelle en chutant au sol, embrasant la vapeur d’essence.

Cette motivation apparait toutefois non satisfaisante. L’enjeu est important car viser ce régime de responsabilité permet à la victime de ne pas avoir à prouver l’existence d’une faute du responsable de l’accident pour obtenir indemnisation.

Il convient en effet de rappeler que ladite loi a instauré un régime dérogatoire du droit commun ouvrant un droit à indemnisation au profit des victimes à la seule condition de prouver l’implication d’un véhicule terrestre à moteur. La jurisprudence a consacré une conception extensive de la notion d’implication mais également de la notion d’accident de la circulation afin d’étendre le champ d’application de la loi de 1985 ce qui permet de faciliter l’indemnisation des victimes.

Dans un premier temps, les juges ont refusé d’étendre l’application de la loi de 1985 aux incendies dans lesquels étaient impliqués des véhicules en stationnement qui, immobilisés pour une certaine durée, étaient considérés comme étrangers à la notion de circulation (par exemple l’incendie d’une motocyclette communiqué au bâtiment contre la façade duquel elle était adossée (Cass. 2ème civ., 26/05/1992 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 319…)).

Il résulte désormais de trois arrêts rendu par la Cour de cassation (Cass. 2ème civ., 22/11/1995 : Juris-Data n° 1995-003251 et n° 1995-003252) que : «  l’incendie provoqué par un véhicule terrestre à moteur, ce dernier fût-il en stationnement, est régi par les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ».
La loi de 1985 s’applique désormais sans qu’il soit nécessaire de relever que le véhicule était stationné sur une voie publique ouverte à la circulation y compris lorsque le véhicule est stationné dans un lieu privé à usage privatif des occupants d’une résidence (Cass. 2ème civ., 18/03/2004, n° 02-15.190…).

A contrario, ces décisions impliquent toutefois que la loi de 1985 n’a pas vocation à s’appliquer à l’incendie provoqué par l’embrasement d’un véhicule stationné dans un lieu privé non ouvert à la circulation. Ainsi, la loi de 1985 n’est pas applicable à l’incendie dommageable ayant pris naissance dans un véhicule en stationnement dans le garage d’une maison (CA Rouen, 11/02/2004 : Juris-Data n° 2004-241255) ou dans un garage fermé d’une résidence non ouvert à la circulation publique ou privé (CA Bordeaux, 13/02/2001 : Juris-Data n° 2001-140798).

Il semblerait en conséquence dans l’espèce qui nous intéresse que la Cour d’appel de Montpellier a omis d’écarter l’application de la loi de 1985 pour ce motif, préférant invoquer l’incertitude de l’implication de la motocyclette dans l’incendie en dépit des éléments apportés en ce sens par la victime. Ceci est juridiquement regrettable.

Pour la victime cela ne change rien puisque la Cour retient de manière opportune que l’implication de l’adolescent ayant enfermé son ami dans le garage est incontestablement établie comme cause principale de son préjudice. C’est la raison pour laquelle l’assureur des civilement responsables de l’adolescent auteur de la mauvaise blague a été condamné à verser une provision sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil. Ces dispositions prévoient en effet que le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs résidant avec eux.

La Justice aura l’occasion de se pencher à nouveau sur ce dossier, l’assureur ne souhaitant pas semble-t-il transiger sur la réparation des préjudices évalués par l’expert judiciaire en dépit de la décision de la Cour d’appel le condamnant à verser une provision.

Affaire à suivre donc concernant la motivation retenue sur l’application ou l’absence d’application de la loi de 1985 à la situation dramatique de la victime…

Olivier BAYLOT & Nicolas FOUILLEUL Avocats associés SCP GOBERT & ASSOCIES