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Les causes d’irresponsabilité et d’atténuation de la responsabilité pénale. Par Juliette Daudé, Avocat.
Parution : vendredi 20 décembre 2013
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Alors que l’opinion publique s’est récemment émue de la tournure tragique qu’a pris le braquage d’une bijouterie à Nice le 11 septembre 2013 ou encore de l’acquittement par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhône, du mineur accusé d’avoir tué ses parents et ses frères jumeaux en 2009, il convient de faire le point sur les causes d’irresponsabilité et d’atténuation de la responsabilité pénale.

La responsabilité pénale se définit comme l’obligation de répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par les textes qui les répriment.

La responsabilité pénale concerne un fait volontaire ou non volontaire qui trouble l’ordre public sans causer obligatoirement de préjudice, à la différence de la responsabilité civile.

La norme légale étant censée protéger l’ordre public, son trouble va engendrer l’exercice d’un recours par l’État.

Ainsi, toute personne, qu’elle soit physique ou morale, a, en principe, vocation à voir sa responsabilité engagée dès lors qu’elle aura commis une infraction.

Toutefois, pour être constituée, une infraction doit présenter trois éléments :

• L’élément légal (l’infraction doit être prévue par la loi)

• L’élément matériel (l’auteur doit avoir commis les actes réprimés par la loi)

• L’élément moral (l’infraction est nécessairement le résultat de l’intention coupable de son auteur ou d’une faute commise par ce dernier)

Dans certaines hypothèses, l’un des éléments constitutifs de l’infraction sera manquant, de sorte que la responsabilité pénale de son auteur devra être écartée ou bien atténuée.

Les causes d’irresponsabilité pénale

Parce que la responsabilité pénale vient sanctionner par une peine l’auteur d’une infraction, elle ne peut se concevoir que pour les individus capables de comprendre et de vouloir leurs actes.

L’article 122-1 du Code pénal dispose dans son premier alinéa que « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

La personne atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique sera ainsi déclarée irresponsable si cet état a aboli son discernement au moment des faits.

Le discernement s’entend de la capacité à apprécier avec justesse et clairvoyance une situation.

L’abolition de ce discernement suppose sa suppression totale de sorte que la personne ne peut comprendre ses actes puisqu’elle a perdu la raison.

Parmi les causes d’irresponsabilité pénale, certaines sont objectives et d’autres subjectives.

Les causes objectives d’irresponsabilité pénale

Les causes objectives d’irresponsabilité pénale peuvent s’entendre comme des faits justificatifs de la commission de l’infraction.

Dans cette hypothèse, l’élément légal de l’infraction sera neutralisé de sorte que la responsabilité pénale de l’auteur ne pourra être retenue.

Ces causes sont au nombre de trois. Il s’agit de l’autorisation de la loi et ordre de l’autorité légitime, de la légitime défense et de l’état de nécessité.

1) L’autorisation de la loi et ordre de l’autorité légitime

L’autorisation de la loi

L’article 122-4 du Code pénal dispose dans son premier alinéa que « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. »

Lorsqu’un texte pénal et un autre texte sont contraires, l’autorisation de la loi l’emporte sur la prohibition édictée par un autre texte puisque la liberté est la règle et l’interdiction l’exception.

A titre d’exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu par la Chambre Criminelle le 29 janvier 1997 (pourvoi n°96-81452) a ainsi affirmé que le toucher rectal ne constitue pas un viol dès lors qu’il résulte de «  l’exécution régulière d’une expertise légalement ordonnée ».

L’application la plus courante de ce fait justificatif reste sans doute l’usage de la force exercée par la police et la gendarmerie dans le cadre de leurs fonctions, qui n’entraînera pas la mise en œuvre de leur responsabilité pénale.

L’ordre de l’autorité légitime

L’article 122-4 du Code pénal dispose dans son deuxième alinéa que « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal. »

Ainsi, la personne qui obéit à un ordre émanant de personnes investies d’un pouvoir de commandement au nom de la puissance publique n’est pas responsable des infractions qu’il commet dans ce cadre sauf si l’acte commandé est manifestement illégal.

L’obéissance à un ordre reçu ne doit cependant pas ôter à la personne tout discernement.

C’est ainsi que la condamnation de Maurice Papon, pour des faits de crime contre l’humanité, a été confirmée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 23 janvier 1997 (pourvoi n° 96-84.822).

2) La légitime défense

L’article 122-5 du Code pénal dispose que «  N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.  »

Pour que l’état de légitime défense soit retenu et que la responsabilité pénale de l’auteur soit écartée, ce dernier doit faire face à une atteinte injuste et actuelle contre lui-même, une personne ou un bien, ce qui l’a forcé à accomplir un acte nécessaire, simultané et proportionné à la défense de cette personne ou de ce bien.

La condition de l’atteinte actuelle exclut que l’auteur se prévalant de la légitime défense ne défende les personnes ou les biens après l’atteinte qu’il a subit, par vengeance.

L’acte nécessaire signifie que la personne n’avait d’autre choix que de commettre l’acte pour se protéger, protéger une personne ou ses biens.

La simultanéité exige un danger imminent et exclut par la même de poursuivre son agresseur après sa fuite puisque s’il part, il n’y a plus de notion de danger.

Enfin, il est nécessaire que l’acte commis soit proportionnel à l’atteinte dont la personne est victime. La légitime défense sera difficilement retenue lorsque l’agresseur n’était pas armé et que la victime lui aura tiré dessus à balle réelle pour se défendre.

3) L’état de nécessité

L’état de nécessité a été reconnu pour la première fois dans un jugement rendu le 4 mars 1898 par le Tribunal correctionnel de Château-Thierry qui avait refusé de condamner une jeune fille sans emploi, sans argent, ayant sa mère et un enfant à charge et affamée qui avait volé du pain.

L’article 122-7 du Code pénal dispose désormais que « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

La mise en œuvre de l’état de nécessité résultera de l’appréciation souveraine des juges qui mettront en balance l’intérêt protégé et l’intérêt sacrifié.

La Cour d’appel de Papeete, dans un arrêt rendu en date du 27 juin 2002, a ainsi estimé que la culture de cannabis était justifiée en l’espèce par les douleurs causées par la paraplégie de l’accusé puisque l’usage de ce produit stupéfiant soulageait ses souffrances.

Les causes subjectives d’irresponsabilité pénale

Les causes subjectives d’irresponsabilité pénale peuvent, elles, s’entendre comme des causes de non-imputabilité de l’infraction à celui qui l’a commise.

Dans cette hypothèse, c’est l’élément moral de l’infraction qui sera neutralisé de sorte que la responsabilité pénale de l’auteur ne pourra être retenue.

1) La contrainte

La contrainte s’apparente à la force majeure et est prévue par l’article 122-2 du Code pénal qui dispose que «  N’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister. »

C’est l’hypothèse où une personne commet une infraction sous l’emprise d’une force irrésistible.

Ayant été privée de sa volonté, la personne sera déclarée irresponsable puisque l’infraction sera dépourvue de son élément moral.

S’il ressort du texte que le législateur retient comme seul critère l’irrésistibilité, la jurisprudence exige, en plus, le critère d’imprévisibilité.

Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Chambre criminelle en date du 15 novembre 2005 (pourvoi n° 04-87.813), a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes qui avait retenu que « le prévenu, qui a agi sous l’empire d’une contrainte à laquelle il n’a pu résister, n’est pas pénalement responsable des infractions reprochées ».

Si, comme en l’espèce, la contrainte peut être d’ordre physique, elle peut aussi être d’ordre moral.

La Cour d’appel de Dijon a ainsi pu reconnaître la contrainte morale dans un arrêt du 19 décembre.

En l’espèce, les grands-parents maternels ayant la garde de leur petit-fils avaient refusé de satisfaire au droit de visite et d’hébergement du père.
L’enfant présentait en effet de graves problèmes de santé qui nécessitaient des soins.
Craignant que le père du garçon, ressortissant algérien, n’emmène l’enfant en Algérie, ils alléguaient le fait que l’enfant ne pourrait bénéficier de soins comparables à ceux prodigués en France et surtout qu’il serait quasiment impossible de faire revenir l’enfant chez eux.

La Cour d’appel les a ainsi relaxés du chef de non-représentation d’enfant en violation d’une décision de justice au motif « qu’ils ont cédé à une contrainte morale irrésistible résultant de menaces d’enlèvement ou de la crainte d’un mal suffisamment pressant pour leur petit-fils et abolissant leur volonté et leur liberté de choix ».

2) L’erreur de droit

Si en principe, « nul n’est censé ignorer la loi », l’article 122-3 du Code pénal prévoit l’irresponsabilité de la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte.

C’est l’hypothèse dans laquelle l’auteur croyait en la légalité de l’acte qu’il a accompli de sorte que sa responsabilité ne sera pas reconnue.

Appliquée de manière très restrictive par la Cour de cassation, cette cause d’irresponsabilité a toutefois pu être utilisée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 9 novembre 2000.

Considérant qu’une discordance existait entre la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation et celle de la chambre criminelle quant à la légalité des documents photocopiés par le salarié en vue de produire des preuves en justice, la Cour d’appel a estimé que cela avait pu conduire le salarié à commettre une erreur de droit.

Les causes d’atténuation de la responsabilité pénale

• Les personnes présentant un trouble psychique

L’article 122-1 du Code pénal dispose dans son second alinéa que « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. »

L’auteur des faits infractionnels souffrant d’une maladie mentale ayant entraîné, au moment des faits, un trouble uniquement partiel de sa capacité de discernement, devra répondre de ses actes devant les juridictions de jugement.

L’altération de la capacité de discernement de l’auteur n’entraînera donc pas une abolition de sa responsabilité mais une atténuation de celle-ci.

La sanction pénale devra ainsi prendre en compte l’atténuation de la responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction.

L’irresponsabilité pénale des mineurs

La condition de discernement vaut également pour les mineurs.

Ainsi, les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables, sans limite d’âge même si en principe, les mineurs âgés de moins de 10 ans sont considérés comme irresponsables.

L’article 122-8 du Code pénal précise, dans son deuxième alinéa, que les mineurs bénéficient d’une atténuation de peine en raison de leur âge.

Juliette Daudé Avocate à la Cour Site : http://cabinet-avocat-daude.fr/
Comentaires:

  • Sans titre, bachirou, 19 novembre 2014

    je trouve très intéressant cet article et j’apprécie à sa valeur c’est édifiant mes encouragements à l’auteur


  • Sans titre, YAGO, 12 décembre 2014

    Merci pour l’article car il m’a éclairé sur beaucoup de points. Cependant j’ai une question à savoir : à quel moment la minorité pénale est une cause de non-imputabilité. Merci d’avance de bien vouloir m’éclairer.


  • Sans titre, fefefank@yahoo.fr, 15 mars 2015

    « Je l’ai trouvé très interessant cet article, et toutes mes félicitations à l’auteur".

    Cependant j’ai une question à poser.

    CAUSES D’IRRESPONSABILITE PEN. :
    il a été dit ceci :
    " Parce que la responsabilité penale vient sanctionner par une peine l’auteur d’une infraction, elle ne peut se concevoir que pour les individus capables de comprendre ET DE VOULOIR LEUR ACTE".

    Ma question est la suivante :

    " Les individus capables de comprendre ET QUI NE VEULENT PAS LEURS ACTES ne peuvent -ils pas être déclarés responsables ? Quand on sait bien même que la responsabilité pénale concerne comme il nous l’a été dit plus haut dans l’article
    "un fait volontaire ou non volontaire"

    FEFE


    • Sans titre, Martin, 3 août 2019

      Les infractions non-intentionnelles, tout comme les contraventions, ne sont pas concernées par la condition de culpabilité (seconde condition du dol général après l’imputabilité).

      Source : Du latin specialia generalibus derogant (« les lois spéciales dérogent aux lois générales »).


  • Sans titre, jean duvert, 15 décembre 2015

    on sait combien il est difficile de prouver un harcèlement moral ou sexuel au travail
    et pour alors être en possession de preuves indubitables, il faut parfois passer des procédés déloyaux à la hauteur du machiavélisme de l’ employeur
    ex :
    - enregistrements vocaux faits à l’insu
    subtilisation de documents, voir de mails sur un PC autre que le sein
    - liste non exhaustive de moyens électroniques
    bref des moyens pas disproportionnées mais qui peuvent se révéler être illégaux ou relever de l’ infraction

    On peut au pénal se heurter à la recevabilité des preuves même si le pénal admet tout mode de preuve dans l’absolu
    la partie adverse peut alors se retourner prétextant que l’exercice des droits de la défense soit de nature à justifier la commission d’une infraction.
    Ce serait alors quel fondement juridique pour attribuer à cette justification ?
    La doctrine a d’abord dit qu’il s’agissait d’une application particulière de l’état de nécessité de l’art 122-7 du CP. Cela pouvait être aussi une permission de la loi de l’art 122-5 du CP. c

    devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.
    dans le cas d ’un harcèlement où l’ on souffre moralement énormément et de manière hyper injuste sans pouvoir être cru parfois ou traité de parano, cela semble être le cas et aller de soi ?
    dans ce cas, l’usage de moyens équilibrés mais déloyaux seraient justifiés ?!


  • Excellent, Chris P, 4 avril 2016

    Simple, clair, précis. Rien à dire, à part félicitation !


  • Super article !, Chaohua, 26 avril 2017

    Super article pour revoir vite-fait son cours avant les partiels : en + il regroupe les cas d’irresponsabilité pénale objective et subjective, ce qui nous permet de revoir rapidement tout ce qu’on a fait en Droit Pénal Général tout au long de la deuxième année de licence en ce qui concerne les causes d’irresponsabilité pénale, sans compter que cet article est bien illustré par des arrêts et rappelle l’article concerné à chaque fois.


  • Très claire, Ali, 30 décembre 2017

    Merci, pour un article claire et simple à lire


  • Alcool, Alix, 15 novembre 2019

    Bonjour,

    une personne ayant commis un délit sous l’emprise d’alcool dont le discernement est altéré ou aboli peut elle se prévaloir de l’art 122-1 CP ? Sera-t-elle responsable ou non responsable ?


    • Alcool, Mini-juriste, 12 février 2020

      Bonjour,

      Cela dépend de la prise volontaire ou involontaire de substances altérants le discernement. En cas de prise involontaire, on retiendra une circonstance atténuante concernant l’infraction, donc l’article 122-1 pourra être retenu. En revanche, si la prise de substances altérants le discernement est volontaire, on considérera que c’est une circonstance aggravante et donc la personne ne pourra être exonérée de sa responsabilité et restera imputable.


  • Exposé, en Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain, Titou, 11 mars 2021

    Bonjour,

    Ayant pris l’option droit, proposé en Terminale, nous devions faire un dossier comportant une problématique, ma problématique étant la responsabilité pénale, votre site m’a agréablement aidé a composé mes 5 pages de dossier. Etant donné les circonstances, je remercie grandement le village de la justice, VIVE LE VILLAGE DE LA JUSTICE !

    Cordialement, un admirateur de votre site.

    Bonne journée.


  • Affaire Halimi, Laurence, 26 avril 2021

    Bonjour
    A la recherche d’informations autour du dernier rendu sur l’affaire Halimi, pourquoi a t il ete choisi une avition de la responsablite plutot qu’une attenuation ?
    Merci de votre reponse qui eclarerait grandement mon avus sur cette affaire
    Laurence