Village de la Justice www.village-justice.com

Banque condamnée pour la vente des titres de son groupe. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : jeudi 9 janvier 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Banque-condamnee-vente-titres-groupe,15919.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le droit de la distribution bancaire progresse et englobe tous les aspects de la consommation bancaire ou financière.

La banque populaire qui a vendu des titres natixis, à la vente desquels elle avait un intérêt particulier, sans, de surcroît, délivrer l’information et le conseil prévus, viole ses obligations.

Elle est condamnée, en appel, à indemniser l’investisseur à hauteur de 70 % de sa mise initiale.

Banque condamnée par une Cour d’appel pour la commercialisation d’actions d’une Société de son propre groupe bancaire.
Cour d’Appel de Grenoble, 17 décembre 2013 n° 11/04208 Jurisdata 2013-029583

L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble était très attendu, depuis l’information diffusée par voie de presse, mi-décembre 2013.

La Cour d’appel de Grenoble a confirmé, le 17 décembre 2013, le jugement de première instance (TI de Grenoble, 8 septembre 2011) condamnant la Banque Populaire des Alpes pour « manquement à son obligation de devoir d’information de conseil et de loyauté », au visa de l’article 1147 du Code civil.

La banque a placé auprès de son client, un apiculteur, initialement en 2006, des actions de Natixis, établissement financier coté appartenant au même groupe bancaire.

Contacté par la banque, le client achète, en deux ventes, 600 actions Natixis, pour 10.290 euros, soit 17,15 euros par action, en moyenne.

Placé à 17 euros, environ, le titre monte jusqu’à 19,55 euros, puis descend à 1 euro en 2009. Une déconfiture qui affectera directement la situation financière des deux groupes bancaires actionnaires de Natixis, jusqu’à contribuer à leur regroupement sous une nouvelle enseigne, la même année.

Pour sa part, revendant ces actions, le client subira une moins-value de 8.292 euros.

La "banque", en l’occurrence, le Prestataire de Services d’Investissement (PSI) est débiteur d’une obligation d’information, de conseil et de loyauté. Celle-ci résulte notamment de l’article L. 533-11 du Code monétaire et financier : « Lorsqu’ils fournissent des services d’investissement et des services connexes à des clients, les prestataires de services d’investissement agissent de manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients ».

Les informations présentent « un caractère exact, clair et non trompeur » (article L. 533-12 du même Code). Il appartient à la banque d’apporter la preuve qu’elle s’est libéré de cette obligation, selon la règle de Droit solidement établie.

Par ailleurs, le client n’a pas été classé par le vendeur comme un investisseur « qualifié », au sens des articles L. 411-2 et D. 411-1 du Code monétaire et financier (issus de la Directive "MIF" ou "MIFiD").

Un investisseur qualifié dispose « de compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents aux opérations sur instruments financiers ».

Ce client pratiquait antérieurement des placements paisibles, sans grands risques.

La banque devait donc lui appliquer deux séries de contrôles, l’un pour évaluer sa situation patrimoniale (forces et fragilités), l’autre pour vérifier que la nature même du produit proposé (un titre coté d’une entreprise nouvellement introduite en bourse, au profil de risque spécifique) était compatible avec les capacités et objectifs patrimoniaux du client (article 326-46 du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers).

La banque aurait dû attirer l’attention de son client sur « les risques de l’opération ».

Tel n’a pas été le cas.

Les juges ont relevé également la nécessité d’une vigilance renforcée, dans ce type de proposition patrimoniale, dès lors que le titre proposé provient du même groupe financier que celui du distributeur. Ce dernier, la banque populaire, est l’un des actionnaires de Natixis, le titre commercialisé.

Une situation particulière, créant une forme claire de potentiel conflit d’intérêts, au sens de l’article L. 533-11 précité, alors même qu’il est désormais attendu de tous les distributeurs bancaires et financiers qu’ils assument la gestion de ce risque au bénéfice de leurs clients.

Cet impératif est désormais fixé tant pour l’épargne que pour les crédits, car, du point de vue de la seule commercialisation, les enjeux juridiques sont alignés.

En tant qu’actionnaire, la banque avait un « intérêt majeur au placement massif du titre » .

En tant que distributeur, elle doit veiller aux intérêts patrimoniaux de ses clients, surtout ceux qui ne sont pas formés ou habitués aux risques financiers, qui ne sont pas « qualifiés ».

Elle devait donc une information claire, sur ce point particulier, en lui expliquant cet aspect.

Tel n’a pas été davantage le cas.

La Cour de Grenoble rappelle que la simple mention manuscrite, apposée par un client sur un document générique pour reconnaître que l’information suffisante a été délivrée, n’est justement pas suffisant. Une solution juridique identique à celle adoptée, dans le domaine du crédit à la consommation, par la Commission des Clauses Abusives (Avis 13-01 du 6 juin 2013). Les explications données au consommateur doivent présenter un caractère personnalisé, et non une rédaction « abstraite et générale ».

En marge du débat judiciaire, il peut être utile de signaler qu’il s’agit, en l’espèce, d’une banque dotée d’un statut coopératif, « accompagnant les clients dans leurs projets et construisant avec eux une relation dans la durée », selon le site du groupe en question.

Force est de constater que cette proposition n’a pas, non plus, trouvé à s’appliquer aux deux actes de vente qui ont endommagés le patrimoine de ce client.

C’est la solution juridique de la perte de chance qui est utilisée pour évaluer le montant du préjudice et celui de l’indemnité à verser par la banque, au titre du dommage subi par le client-consommateur. La perte de chance est chiffrée à l’aide de critères tels que la nature de risque du produit, l’expérience du client et sa situation financière.

Le vendeur est ainsi condamnée à indemniser le client, à hauteur de 5.800 euros, soit 70 % de sa perte financière.

La Cour confirme ainsi intégralement le jugement du Tribunal d’instance.

Cette étape judiciaire marque un jalon notable dans la précision de l’obligation d’information et de conseil en placement, laquelle se montre ici très fidèle à sa conception nouvelle.

Les juges contribuent activement à la construction du droit de la distribution des produits financiers, pour lequel des principes communs commencent à se dégager très clairement.

La même opération de commercialisation d’envergure du titre Natixis s’est déroulée, en 2006, pour un très grand nombre de clients des banques populaires, mais également des caisses d’épargne.

L’issue de cette intéressante bataille judiciaire n’est donc certainement pas atteinte, alors qu’une réorganisation des « liens capitalistiques » de Natixis est annoncée. D’autres rebondissements sont à prévoir.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr
Comentaires: