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La résidence alternée. Par Bruno Ancel, Avocat.
Parution : samedi 11 janvier 2014
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A la fin de l’année 2013, deux pères de famille français ont occupé le clocher de l’église Notre-Dame de Lourdes à Bastia (Corse) pour focaliser l’attention sur la situation des pères divorcés et se faire entendre. A Nantes, un père de 35 ans a passé une nuit au sommet d’une grue, il sollicitait la résidence alternée pour ses enfants. Le sujet est à nouveau sous les feux des projecteurs suite à un futur rapport gouvernemental sur la coparentalité.

A la fois sensible et polémique, ce débat soulève de nombreuses interrogations. La garde alternée semble-t-elle vraiment la meilleure solution lorsque l’enfant est en bas âge ? Eloigner le nourrisson de sa mère n’est il pas nuisible à son développement psychoaffectif ?

Ou au contraire, cette pratique permet elle de favoriser un partage équitable des rôles ? Socialement considéré comme une victoire, l’octroi de la résidence alternée présente-t-il une légitimité juridique ? Ne s’agit il pas d’une stratégie pour se défausser du paiement de la pension alimentaire ? Le souci d’épanouissement de l’enfant doit en tout état de cause primer sur la défense de l’intérêt d’un des deux parents.

Un amendement, voté par le Sénat en vue d’instaurer une résidence alternée automatique, a été rejeté par l’Assemblée nationale. Le souci de l’égalité homme-femme ne doit pas compromettre les valeurs les plus fondamentales. Avant d’opter pour ce mode de garde, il convient de privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant.

La résidence alternée de façon automatique à défaut d’accord entre les parents a suscité de vives oppositions. La Ministre Najat Vallaud-Belkacem y est opposée tout comme son homologue Dominique Bertinotti qui estime que « tenter de la systématiser est une fausse bonne idée ». Certaines associations ont scandé le slogan : « bébés en garde alternée = bébés explosés ».

De plus, les difficultés communicationnelles entre les parents font obstacle à la mise en place d’une garde alternée laquelle suppose un minimum de dialogues.
Pour mettre en place une telle garde, il faut d’abord l’avoir expérimentée car il ne s’agit pas d’une décision à prendre à la légère.

Les nouveautés du rapport sur la coparentalité

Le groupe de travail sur la coparentalité suggère la mise en place d’un service d’accompagnement des décisions et de restauration des liens afin de garantir un continuum relationnel, ainsi que l’introduction de stages. Ces derniers en usage aux Etats-unis constituent, à notre sens, une avancée. En effet, il est plus sage de mettre les parents face à leur responsabilité que d’imposer, quelques années plus tard, une longue psychothérapie aux enfants pour réparer les dommages collatéraux.

Autre nouveauté : la création d’une amende civile à l’égard du parent manipulateur. Cette sanction, qui vise à prévenir toute instrumentalisation du mineur, semble nécessaire. Toute aliénation de l’enfant est potentiellement perverse dans la mesure où celui-ci pense qu’il est responsable du malheur de ses parents. La conséquence de cet assujettissement psychologique est délétère puisqu’il génère des dysfonctionnements relationnels.

C’est pourquoi tant la Cour de cassation ( Cass. 1ère civ., 26 juin 2013 ) que la Cour européenne des droits de l’homme sanctionnent ce type de comportement ( CEDH, 11 janvier 2011) qui incite le mineur à adopter les représentations du parent aliénant.

Partant du postulat que chaque famille est singulière, appliquer une garde alternée de façon systématique, c’est méconnaître la spécificité de chaque cas. Au nom du sacro saint principe d’égalité, faut-il sacrifier ainsi l’intérêt de l’enfant ?

La résidence alternée : un jugement de Salomon moderne

Pris dans une tourmente affective, captif des fantasmes des uns et des autres, ce dernier ne sert plus qu’à maintenir le lien entre les parents, ce qui est regrettable. Ecartelé entre un système de valeurs antagonistes, "balloté" entre deux foyers, il se trouve complètement déstabilisé. Comme dans le jugement de Salomon, le parent le plus digne doit savoir renoncer à la propriété exclusive de l’enfant.

La France du contrat social, attachée à l’existence de droits égaux, ne doit pas laisser de côté les besoins réels des plus vulnérables. Si des propositions récentes visent à rendre le divorce plus simple, aucune attention n’est réellement portée au point de vue du mineur lors de la séparation. En conséquence, toute conception égalitariste rigide est à proscrire.

Maître ANCEL Bruno Site internet : www.avocat-ancel.fr
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