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Procès pénal : de nouveaux droits pour les victimes ? Par Méhana Mouhou, Avocat.
Parution : vendredi 17 janvier 2014
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Que penser de la proposition de loi déposée par une minorité de parlementaires, ouvrant la possibilité pour les victimes de relever appel d’un jugement correctionnel de relaxe ou d’un arrêt d’acquittement de la Cour d’assises ?

Pour y répondre et en mesurer toutes les potentialités, il y a lieu en effet de rappeler qu’en l’état actuel de la législation pénale, seuls le ministère public et le prévenu devant le Tribunal correctionnel (ou l’accusé et le procureur général devant la Cour d’assises) peuvent relever appel d’une décision pénale.

Alors que nous sommes en présence d’un véritable no man’s land juridique, des voix s’élèvent contre cet avatar pénal qui aurait pour conséquence immédiate de reconfigurer le paysage du procès pénal en remettant au centre de celui-ci la victime.
Comment expliquer alors une telle résistance ? Pour quelles raisons certains restent soucieux de ne pas ébranler le système pénal actuel en continuant à exclure la victime du procès pénal en appel.

Il faut dire qu’à l’heure actuelle il permet au procureur de la République, totem de la société, de continuer à exercer le privilège de l’appel en territoire presque conquis puisqu’il est le seul à décider de l’opportunité ou non de réexaminer l’affaire.
Certains estiment qu’une telle révolution aurait pour conséquence de dénaturer le procès pénal qui devrait rester un duel entre l’accusation et la défense.

Enfin, on craint à tort que cette réforme n’ait pour conséquence de participer à une certaine privatisation de la justice au profit des victimes qui pourraient dès lors se substituer au procureur de la République en exerçant l’action publique par un second procès.

Ces conservateurs d’un ordre pénal, qu’ils voudraient presque figer, ne conçoivent l’étendue des droits des victimes que limité à l’appel au civil au titre de la réparation financière du préjudice.
Il n’y aurait autrement qu’un seul enjeu : l’enjeu indemnitaire.
Il s’agit là non seulement d’une vision réductrice de la réalité, mais d’une vision dangereuse puisqu’elle fait de la victime un sujet désincarné de tout droit.

Au contraire, si la victime subit l’infraction, elle n’en est pas pour autant privée de son action d’agir, de réagir et de demander que justice soit faite sur la réparation sollicitée, mais aussi au regard de la culpabilité de l’auteur de l’infraction.
Il est donc opposé aux victimes la toute puissance de l’Etat qui doit garder le monopole, via ses représentants, de l’exercice de la justice.

Égalité des droits, égalité des chances

Comment expliquer qu’une telle proposition parlementaire fasse polémique alors que la société civile aspire à « humaniser » de plus en plus le visage de la justice en mettant au cœur du prétoire la victime ?

Ces résistances formulées, contre toute attente, ne sont pas en cohérence avec l’évolution même de notre société civile actuelle qui prône de plus en plus l’individu en le reconnaissant dans tous ses statuts : les droits de l’enfant, les droits des personnes en situation de handicap… De la protection des plus faibles et même du principe de précaution basé sur la notion de risque et non de certitude.

Dans un contexte où il y a lieu de renforcer l’Etat de droit, la justice sociale commande de ne pas passer sous silence la voix de la victime.
Alors pour quelle raison une victime qui considère injuste la décision qui relaxe ou acquitte ne pourrait relever appel ? La plaignante d’un viol, partie civile au procès dont l’accusé est acquitté, n’a pas droit de relever appel, mais l’accusé condamné, lui, dispose de cette possibilité.
Ne pas admettre cette nécessaire évolution devra également faire prendre conscience aux plus réfractaires, qu’il existe des situations contradictoires qui entachent l’efficacité de notre système pénal : les plaignants d’un cambriolage dont le prévenu est relaxé ne peuvent pas relever appel, mais l’auteur jugé coupable par le Tribunal Correctionnel lui dispose de ce droit.
Une telle inégalité de traitement peut conduire à un véritable déficit démocratique pour notre Etat de droit et les valeurs républicaines qui l’animent.

D’abord, parce que chacun doit avoir le droit à ce que sa cause soit entendue par une Cour, dans le respect du principe consacré depuis la révolution française du double degré de juridiction.
Ensuite, parce que le caractère intégral des droits de la défense suppose un droit effectif pour toutes les parties au procès : partie civile, défense et accusation.

Rappelons en effet que le Procureur de la République n’est plus considéré par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme une autorité judiciaire, par nature neutre, puisqu’il exerce des fonctions de poursuite, et qu’il est difficile alors de considérer dans le prolongement de ce principe que l’accusation se substitue de droit à la victime.

Le principe même de l’égalité des chances subit une entorse : si le système actuel accorde une chance supplémentaire pour l’accusé condamné de plaider son innocence ou une éventuelle réduction de peine devant une Cour, il y a lieu au nom de ce sacro-saint principe d’accorder également une chance supplémentaire à la victime d’obtenir, en cas d’acquittement ou de relaxe de la personne poursuivie, une déclaration de culpabilité en appel.
A défaut, il s’agit là d’une inégalité de traitement au détriment des victimes.
Ainsi, concernant les voies de recours, seul l’appel ou le pourvoi en cassation n’est possible pour la victime mais exclusivement sur le plan civil, concernant les intérêts financiers dans le cadre du droit à réparation mais jamais sur la culpabilité pénale.

Devant le Juge d’Instruction, la partie civile n’a pas le droit de relever appel du contentieux de la détention provisoire ou du contrôle judiciaire.
Considérons que c’est le Conseil Constitutionnel par petite touche, bien plus que la Cour de Cassation, qui œuvre aujourd’hui à l’évolution du droit.
En effet, contre les arrêts de chambres d’instructions, la victime ne pouvait se pourvoir en cassation en l’absence du pourvoi du Procureur Général conformément à l’article 515 du Code de procédure pénale et la Cour de cassation a décidé que cette limitation était conforme à l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Désormais, grâce à une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel vient de censurer cette limitation en déclarant l’article 515 du Code de procédure pénale non conforme à la Constitution au nom du principe d’égalité devant la loi, et du principe de l’exercice effectif des droits garantis par la Constitution.

Les victimes ont désormais plus de droits dans le cadre de la phase d’instruction d’une affaire pénale, et en clair l’égalité des armes ne concerne plus le match classique défense / accusation, mais la partie civile devient au fur et à mesure une partie à part entière et non entièrement à part.

La justice a-t-elle peur d’elle-même ?

Alors pourquoi les parlementaires ne sont-ils que 70 à porter ce projet ? La justice a-t-elle encore confiance en elle-même ?

Certains syndicats de police s’étaient opposés, rappelons-nous, à la présence de l’avocat en garde à vue et désormais de sa présence lors des auditions.
Aujourd’hui, certains s’opposent à la possibilité pour les victimes de relever appel devant la Cour d’assises d’une décision d’acquittement à sa seule initiative. Même peur, même crainte ?

Peur du rôle de l’autre ou même défiance envers les jurés d’assises, alors que la justice est rendue devant cette juridiction par la souveraineté populaire et au nom du peuple, et que c’est également le peuple qui juge en appel (majorité de 9 jurés et 3 Magistrats professionnels).

Il convient de rappeler qu’avant la loi du 15 juin 2000, un accusé n’avait pas le droit de relever appel de sorte que les accusés d’Outreau, acquité en 2005 par la Cour d’Assises de Paris, dormiraient ce jour en prison si cette loi n’existait pas.

Ce nouveau droit aux accusés avait fait l’objet à l’époque de nombreuses critiques, dans la mesure où le peuple souverain, constitué dans le cadre de la Cour d’Assises, s’était exprimé une première fois et que la souveraineté du peuple ne pouvait être dépassée par l’installation d’une Cour d’Assises d’appel
Personne ne viendrait remettre en cause aujourd’hui cette Cour d’Assises d’appel, étant rappelé que moins de 25 % des condamnés relèvent appel d’une décision criminelle.

Laisser les victimes disposer des mêmes droits que les accusés concours au respect de leur souffrance.
La demande de reconnaissance de culpabilité est également un moyen d’une reconstruction personnelle plus apaisée car l’exigence de justice est une étape nécessaire.

Enfin la demande de réparation du préjudice est fondamentale car en cas de relaxe ou d’acquittement, la victime perd un droit de demander en appel la réparation de son dommage.
Rappelons que même en cas de relaxe ou d’acquittement de la personne poursuivie, la possibilité est offerte aux victimes de relever appel afin d’obtenir du Juge pénal réparation de tout les dommages résultants des faits de la poursuite, mais exclusivement en application des règles de droit civil principalement pour les infractions non intentionnelles : accident de la route.

En matière criminelle, l’article 372 du Code de procédure pénale, donne la possibilité à la victime, en cas d’acquittement de l’accusé, de demander réparation du dommage selon une règle du droit civil au titre de la faute de l’accusé. Il s’agit là d’un mécanisme complexe d’absence de faute pénale, mais de l’existence d’une faute civile. Ce recours ouvert à la victime reste très fragile dans son application pratique. En effet une décision pénale d’acquittement réduit les chances de succès de la victime compte tenu de l’absence de faute pénale.

Laisser entendre qu’autoriser pour les victimes de relever appel reviendrait à privatiser l’action publique, ou à dénaturer le procès pénal vers un glissement de la vengeance privée, est absurde parce que la justice n’est pas rendue par les parties civiles et que souvent les victimes veulent, par l’exercice de leur constitution de partie civile, exprimer leur souffrance, obtenir une déclaration de culpabilité, et une peine à la hauteur de la perte d’une vie, d’un crime sexuel…, car bien évidemment devant les Cours d’Assises se sont les infractions les plus graves qui sont traitées.
Le débat de l’appel des victimes concerne la relaxe ou acquittement mais ne porte pas sur le quantum de la peine infligée par la juridiction.

La répression de l’infraction est exercée par le Ministère Public et contrairement à des idées reçues les victimes ne sont pas dans la surenchère de la peine lourde mais dans la juste peine qui exige ni sévérité, ni laxisme. Quand certains parlent de justice privée, les victimes répondent par une justice digne de ce nom, d’ailleurs une étude des Nations Unies pour la Prévention du Crime (CICP) prouve qu’une majorité de victimes préfèrent voir les cambrioleurs récidivistes condamnés à une peine d’intérêt général qu’à une peine d’emprisonnement ferme.

L’Europe au secours des victimes :

Le droit de relever appel pour les victimes n’est, en réalité, ni préjudiciable aux droits des accusés dont les droits ne sont pas réduits en appel mais maintenus, ni contraires aux exigences d’un procès équitable et impartial guidant les règles même du procès pénal.

Cette évolution juridique nécessaire avait déjà été actée et recommandée par la décision Cadre du Conseil de l’Union de l’Europe du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales en édictant que : « chaque Etat membre assure aux victimes un rôle réel et approprié dans son système juridique pénal » et précise dans son article 3 que « chaque Etat membre garanti la possibilité aux victimes d’être entendues au cours de la procédure ainsi que de fournir des éléments de preuves ».

Le Forum Européen des Services d’Aide aux Victimes avait adopté, en 1996 déjà, les principes généraux aux termes desquels les droits des victimes d’infractions doivent recevoir la même priorité que les droits des auteurs d’infractions :
« Les victimes ont le droit d’être reconnues et considérées comme ayant des intérêts légitimes qui doivent être pris en compte à tous les stades de la procédure pénale ».

La justice doit donc écouter la souffrance des victimes et lui donner un statut au moins égal au statut de la présomption d’innocence.
« La justice n’existe point ; la justice appartient à l’ordre des choses qu’il faut faire justement parce qu’elles ne sont point. La justice sera si on la fait. Voilà le problème humain  » disait Alain.

Méhana MOUHOU Avocat www.maitre-mouhou.com