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Le régime juridique des actes pris par une société d’économie mixte en matière d’expropriation. Par Mathilde Le Guen, Avocat.
Parution : mercredi 22 janvier 2014
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Aux termes de l’article L. 300-4 du Code de l‘urbanisme, les collectivités territoriales ont la possibilité de concéder aux sociétés d’économie mixte locale (SEML) la réalisation d’opération d’aménagement et de les charger d’acquérir les biens nécessaires à cette opération « y compris, le cas échéant, par la voie d’expropriation ou de préemption ».

Ainsi, dans l’hypothèse où, en qualité de personnes privées chargées d’une mission de service public, les SEML sont chargées de procéder à des acquisitions foncières, celles-ci doivent être liées avec la collectivité publique délégante par une convention dénommée « traité de concession d’aménagement » prévue et encadrée par l’article L. 300-5 du code de l’urbanisme.

En application de l’article L. 1524-1 du Code général des collectivités territoriales, les actes des SEML suivent le régime général des actes de toutes les institutions d’économie fixé notamment par la loi Sapin du 29 janvier 1993. [1]

De manière générale, ces actes suivent le régime des actes des collectivités territoriales.

Ainsi, comme vient tout récemment de confirmer le Conseil d’Etat (arrêté du 30 décembre 2013 n°355556), les actes pris par les SEML en matière d’expropriation sont donc des actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’Etat est on ne peut plus clair sur ce point : « l’acte par lequel une personne privée chargée d’une mission de service public et ayant reçu délégation à cette fin en matière d’expropriation demande au préfet l’expropriation d’un immeuble pour cause d’utilité publique traduit l’usage de prérogatives de puissance publique et constitue ainsi un acte administratif ».

En l’occurrence, la société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (SIEMP) avait été chargée par la Ville de Paris d’une mission de service public d’éradication de l’habitat insalubre, et avait reçu de la ville, délégation de ses pouvoirs en matière d’expropriation pour l’exercice de cette mission.

Ainsi, en vertu de la convention publique d’aménagement conclue entre la Ville de Paris et la SIEMP, cette dernière s’était vu confier la mission de lutter contre l’habitat insalubre et chargée, à ce titre,« d’assurer, notamment par des interventions foncières et la conduite d’opérations de réhabilitation lourde, le traitement de secteurs dominés par l’insalubrité et d’immeubles dont l’état de dégradation et d’insalubrité a justifié une intervention de la puissance publique ».

C’est à l’occasion d’un recours exercé par la société COFINFO, propriétaire de ce bien immobilier, à l’encontre de la déclaration d’utilité publique et de l’arrêté de cessibilité, que le Conseil d’Etat décide alors que « la délibération par laquelle l’expropriant demande au préfet l’expropriation d’un immeuble pour cause d’utilité publique constitue un acte préparatoire aux arrêtés portant déclaration d’utilité publique et cessibilité ».

Partant de là, le Conseil d’Etat admet la possibilité d’invoquer, par voie d’exception, l’illégalité de la délibération de la SIEMP dans le cadre d’un recours à l’encontre de l’arrêté déclarant d’utilité publique l’acquisition de cet immeuble et de celui qui le déclare cessible (> Conseil d’Etat, 30 décembre 2013, précité).

Au fond, en l’espèce, les juges du Palais Royal ont estimé illégale la délibération litigieuse aux motifs pris de ce que l’immeuble, dont il était sollicité l’expropriation, « ne pouvait être regardé comme insalubre ni en état de délabrement total ni même particulièrement dégradé ».

Le délégataire n’ayant pas appliqué strictement les stipulations de la convention conclue avec la Ville de Paris, la délibération demandant au Préfet de Paris l’ouverture d’une procédure de déclaration d’utilité publique permettant de procéder à l’expropriation de l’immeuble en cause a été considérée comme de nature à entacher, par voie de conséquence, les arrêtés préfectoraux portant déclaration d’utilité publique, l’opération et l’immeuble, cessible.

Mathilde Le Guen - Avocate Associée Barreau de Rennes Cabinet Via Avocats

[1L. n° 93-122, 29 janv. 1993, relative à la prévention de la concurrence et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques : Journal Officiel 30 Janvier 1993