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Le divorce rapide. Par Bruno Ancel, Avocat.
Parution : vendredi 24 janvier 2014
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Le divorce par consentement mutuel connaît une croissance exponentielle, signe du malaise de notre société. Un mathématicien américain du Massachusstetts Institute of Technology ( MIT ) a d’ailleurs mis au point une méthode permettant de déterminer les chances de survie de chaque couple. C’est dire la précarité de toute relation humaine. Le rapport récent proposant de déléguer au greffier les divorces amiables mérite réflexion.

Le divorce : une épreuve difficile

Tout ce qui a trait aux relations hommes/femmes est problématique. Jean Carbonnier, éminent juriste, déclarait : « Le divorce divise un couple ; la question du divorce peut diviser une nation ». Malgré de louables intentions, le rapport demandé par la garde des Sceaux consistant à confier le divorce à un greffier juridictionnel, apparaît quelque peu contestable. En effet, il ne prend pas en compte la rupture du lien conjugal dans sa dimension globale et semble négliger l’enfant comme le patrimoine. Toute séparation se révèle une épreuve difficile et anxiogène. Les futurs divorcés se sentiront par conséquent davantage rassurés face à un professionnel des affaires familiales.

Ainsi, le droit semble ramener à sa fonction la plus archaïque : entériner purement et simplement l’accord ou le pseudo accord des parties. Ensuite, à une époque où nombre de tribunaux manquent cruellement de greffiers, on peut s’interroger sur la légitimité de cette proposition.

Enfin, quid de la vérification du consentement éclairé ? Cette exigence est fondamentale dans la mesure où le droit français est consensualiste. Sans contrôle, la partie la plus faible pourra tomber plus facilement sous l’emprise psychologique du conjoint et se laisser influencer. Son consentement pourra être aisément extirpé, arraché ou simulé. Dans ses recommandations, le rapport précise que tout abus de position dominante sera à éviter. Espérons que cette annonce deviendra une réalité.

Divorce amiable et consentement

Comme l’avait souligné Beaumarchais dans le mariage de Figaro, il existe deux justices : celle des puissants et celle des plus vulnérables. Dans le même sens, Nietzsche déclarait qu’il y avait des volontés fortes, des volontés faibles, mais pas de volontés libres. Le philosophe Alain, qui concevait le droit comme un instrument de protection des plus démunis, déclarait que dans tout contrat, il convient de se mettre à la place de l’autre.

Divorcer suppose un acte de volonté. Or, vouloir, c’est prendre parti en dehors de toute influence extérieure. A défaut d’examen par le juge, rien ne garantirait l’équilibre de la convention et l’absence de pression. Il est primordial de se prémunir de toute forme de manipulation et de s’assurer que chaque partie a conscience des conséquences de son choix.

Pris dans un engrenage subtil, la personne vulnérable ne peut plus délibérer de façon rationnelle et son consentement est tout sauf éclairé. Il ne faut pas sous-estimer la variable affective à l’œuvre dans tout divorce : la peur du conjoint peut être un puissant vecteur de soumission à ses désidérata. Tout bon stratège sait faire vibrer les cordes de l’émotion à son avantage.

L’entretien avec le juge aux affaires familiales

L’entretien avec le juge nous semble un moment cardinal où la souffrance et l’émotion sont reconnues. C’est un espace ouvert à l’autre, même si les raisons du divorce ne sont pas abordées. Le magistrat a un rôle structurant puisqu’il rappelle les obligations des parents entre eux, mais aussi envers l’enfant et s’assure que l’intérêt supérieur de ce dernier est toujours préservé. Quant au greffier, il remplit également une fonction spécifique et unique. Le divorce sans juge semble le reflet de notre société de consommation, impersonnelle, fondée sur le diktat de la rapidité.

Rencontre d’une confiance et d’une conscience, la procédure de divorce ne doit pas évoluer dans le sens d’une dépersonnalisation, d’une banalisation et d’une perte de repères pour les couples. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre le souci de désengorger les tribunaux et l’attention à porter à tout justiciable.

En conséquence, il ne semble pas souhaitable de dissocier le tandem greffier/juge. Pour filer la métaphore sportive, je dirais que l’on ne change pas une équipe qui gagne, dans la mesure où le greffier et le magistrat sont complémentaires lors de l’audience.

Maître ANCEL Bruno Avocat à la Cour site internet : www.avocat-ancel.fr