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Quand ce qui est prévu arrive… Par David Boccara, Avocat.
Parution : lundi 27 janvier 2014
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Procédure Civile - Appel - Multipostulation - Représentation des parties :

La faculté de représenter en appel les parties devant certaines Cours autre que la vôtre n’est pas stricto sensu légalement restreinte à la condition d’avoir postulé effectivement en première instance pour l’une celles-là. Or un arrêt de Versailles affirme l’inverse, bien que le texte législatif soit moins restrictif.

Ça y est ! Nous y sommes finalement parvenus !

Un arrêt de la Cour de Versailles (CA. Versailles, 6ème Ch., 27 septembre 2013, RG. n° : 13/02808 - inédit) passé malheureusement inaperçu, en dépit d’une parution peu signalée à l’édition « G » — pour "générale" et non évidemment pour « Gräfenberg » comme le croit l’un de mes associés – de la Semaine Juridique (v° JCP. « G », 1169 du 11 novembre 2013 numéro : 46, note B. Travier & R Guichard), est intervenu comme nous l’avions craint…

De quoi s’agit-il ? Il suffit de chercher sur le net avec les mots : « multipostulation » et « appel » pour comprendre ce dont il en retourne exactement dans le Landerneau processuel qui ne regarde pas que nous, détrompons-nous !

Un excellent article de M. Stéphane Lataste, en date du 8 décembre 2012, paru en rubrique "Libre propos" à la Gazette du Palais est du reste en ligne : « Multipostulation des avocats, attention danger ! ».

Mais que dit bien cet arrêt qui est encore affiché au tableau de chasse dans les locaux de l’Ordre des avocats de Nanterre. Car signalons qu’à Paris nous n’épinglons que nos petites annonces personnelles mais jamais — Ô grand jamais ! — de jurisprudence, plus fastidieuse que d’annoncer nos commémorations, célébrations, cocktails ou autres réjouissances internes...

L’espèce en question est simplissime : Un avocat parisien – évidemment comme d’habitude (…) — assigna en référé à Nanterre.

N’obtenant pas ce qu’il voulut, il interjeta appel devant la Cour de Versailles. Mais cette juridiction estima l’acte irrecevable au motif que, n’ayant pas été réalisé par un avocat qui avait représenté l’appelant en première instance, il impliquait que l’appelant fût représenté par un avocat habilité à postuler devant elle.

Ne nous émouvons pas, comme dans les films catastrophe américain : tout s’est bien fini pour le héros — qui est toujours un avocat parisien musculeux aux yeux bleu ce qui le rend odieux – car l’ordonnance de référé n’avait pas été signifiée par son adversaire...

Que penser de ce mélodrame ? Ne croyez pas qu’il ne concerne que la petite rivalité très douce et gentillette entre les barreaux de Paris et des Hauts-de-seine qui existe indéniablement à titre larvé mais néanmoins très confraternel.

Non ! Sachez que l’article 1er – IV de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 prévoit notamment que les avocats de Bordeaux et Libourne puissent aussi postuler devant chacune de ces juridictions, comme ceux de Nîmes et d’Alès ; ce aux termes du – V.

Et dire que nous l’ignorions, nous misérables égoïstes aveuglés par notre nombrilisme jacobin nous incitant à croire que nous puissions faire désormais tout et n’importe quoi à Versailles depuis la disparition des pauvres avoués que nous avons ingérés, pour qu’il n’en reste plus un seul !

Heureusement pour eux que l’adiposité des notaires nous rende ceux-ci indigestes sans quoi nous avalerions aussi ces autres officiers ministériels… Et ne parlons pas des experts-comptables qui eux sont trop doucereux ! Mais trêve de plaisanterie sur la voracité imméritée du barreau de Paris.

Est-ce que la règle « posée » par la Cour de Versailles dans l’arrêt dont s’agit était prévisible ? Oui, certes, sans aucun doute.

Mais est-elle, cependant, d’une rigueur absolue ? Ce qui seul siérait à son caractère implacable.

Non ! Pas du tout !

Incontestablement, sa raideur trop excessive n’est pas sans poser d’inconvénient majeur au justiciable pour aller à l’encontre d’une loi qui se trouve désormais d’autant plus compliquer les choses alors qu’elle tendait, au contraire, à les simplifier.

Que dit la loi ?

Lisons bien ensemble le texte de l’article 1er – III, alinéa I, in medio de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 qui édicte que :

« 

Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 5, les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près les tribunaux de grande instance auprès de chacune de ces juridictions. Ils peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près les cours d’appel auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

 »

(C’est nous qui soulignons ici le fragment pertinent dont il faut remarquer aussi une redite inutile pesante : « près les cours d’appel auprès de la cour d’appel »).

Stricto sensu, cela signifie que les avocats des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil ainsi que de Nanterre ne peuvent dorénavant représenter en appel devant les cours de Paris et de Versailles que lorsqu’ils auront eux-mêmes postulé, en première instance, devant le tribunal du ressort d’appel.

Mais qu’est-ce que cela signifie-t-il véritablement ?

Cela veut-il bien dire que nul de ces avocats ne saurait représenter en appel dans le ressort limitrophe une partie s’il n’avait au préalable déjà postulé pour elle en première instance…

C’est, du moins, la thèse de la Cour de Versailles dans l’arrêt invoqué ci-dessus.

Un lecture serrée du texte normatif, collant strictement aux prévisions de celui-ci interdirait donc à qui que ce fût d’occuper désormais à titre d’avoué en second ressort, dans ces conditions, lorsqu’il n’aura pas été lui-même auparavant dans la cause avocat postulant devant le tribunal du ressort.

Cette compréhension n’est cependant pas nécessaire en l’état du texte dont elle est censée découler.

Et il est dommage que l’arrêt de la Cour de Versailles en question n’ait pas donné lieu à un pourvoi dont aurait eu à connaître la deuxième chambre civile de la cour de cassation, celle spécialisée en matière de procédure civile, qui eût pu apporter plus de précisions.

On comprend très bien la lecture des seconds juges du fond de Versailles mais elle est par trop inutilement exiguë et génératrice de sinistre dans les cas topiques de représentation dans le ressort adjacent. C’est uniquement, ici, ce dont nous parlons puisqu’il ne fait nul doute que dans le ressort de sa propre cour, tout avocat peut en cause d’appel représenter alors qu’il n’aurait pas postulé devant son tribunal.

Si elle devait prospérer, ce qui n’est pas sûr, la conception "versaillaise" sera immanquablement source de contentieux fortement conflictuels ; ce qui n’est l’objectif ni des juges ni du droit.

Dans le détail précis, il n’y a absolument rien qui soit prévu précisément quant à l’instance même dont il s’agit en première instance au titre de celle dont il est fait appel.

Tout bien réfléchi, en dissociant le lien de l’instance, qui n’est pas nécessaire et que le texte ne requiert pas formellement, il serait permis à tout avocat ayant déjà effectivement exercé un jour ou l’autre la multipostulation, devant la juridiction de premier degré concernée, de représenter une partie devant la cour d’appel dont dépend celui-ci et ce que ce soit dans la même affaire ou pour une autre.

Cela n’aurait pour effet que d’évincer les avocats n’ayant jamais postulé en dehors du tribunal près lequel leur barreau est constitué.

Cette lecture libérale serait en parfaite adéquation avec la lettre du texte de loi et servirait parfaitement l’objectif législatif qui n’était pas d’augmenter la complication à un niveau de raffinement que votre serviteur reste l’un des rares à goûter avec immodération.

Mais si vous ne voulez pas vous amuser, il vous faudra alors comprendre que mon regard sur la situation constitue l’unique moyen de vous sortir d’une mauvaise passe procédurale dans l’éventualité où votre vigilance aurait été prise en défaut et que le délai de régularisation de votre appel serait expiré pour engager inextricablement votre responsabilité professionnelle, enfin votre franchise d’assurance…

Soyons donc didactique. Entendez simplement le texte qui régit la matière de la façon suivante qui est claire et indemne de critique parce qu’elle ne trahit pas le sens original pas plus qu’elle ne pervertit son expression littérale :

Les avocats inscrits au barreau de l’un des Tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre que ce soit en première instance au titre de l’affaire dont il est fait appel ou préalablement dans une autre cause.

Réciproquement : Les avocats inscrits au barreau de Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil que ce soit en première instance au titre de l’affaire dont il est fait appel ou préalablement dans une autre cause.

Les deux mentions ajoutées soulignées en italiques, qui sont de notre pure facture, apportent en précision sans tronquer le texte.

À cet égard, du reste, comment considérer que celui qui puisse faire le plus, ie. postuler devant le tribunal de grande instance du ressort limitrophe de son barreau — par exemple : à Nanterre pour les parisiens et à Paris pour un nanterrien — , soit admis à relever et à représenter en appel alors que pour une procédure de moindre importance, sans représentation obligatoire, il ne le puisse pas pour devoir recourir à l’intermédiaire tiers imposé.

La finalité d’une dispense de représentation en première instance sert un but évident : simplifier !

Il est alors parfaitement incongru qu’à la faveur d’une lecture sclérosée — que ne commande nullement la loi — un tel objectif aussi compréhensible que légitime en première instance puisse conduire, au contraire, à alourdir la procédure en impliquant des chausse-trappes autant redoutables qu’inutile en appel.

Qui peut le plus, peut évidemment le moins !

Soutenir pour un client à Neuilly-sur-Seine ou un référé au tribunal de grande instance de Nanterre n’exige évidemment pas plus de précautions qui commanderaient d’interdire qu’un avocat des barreaux de Paris, Bobigny ou Créteil ne puisse former appel à Versailles, alors qu’il le pourrait s’il avait simplement postulé.

Un tel système serait inéluctablement d’autant plus abstrus que la perspective de la suppression de nos anciens amis disparus les avoués auprès des cours d’appel, officiers ministériels pourtant, avait pour ambition de simplifier l’organisation des juridictions civiles et le parcours kafkaïen dans les antres labyrinthiques judiciaires.

Puisque nous sommes entre-nous, nous nous devons d’être sincères ici et maintenant pour comprendre ce qu’il adviendra de nous dans l’avenir même si nous nous faisons face un jour.

S’il m’était donné de soutenir en appel devant ma propre cour pour un intimé que toi, mon confrère de Nanterre, tu n’aurais pas titre à représenter l’appelant chez moi qui jouerais à domicile, sache bien que je serais de parfaite mauvaise foi — ce que tu saurais peut-être parfaitement si tu me connaissais déjà.

Je me prévaudrais alors de la (très mauvaise) décision de Versailles dont nous traitons. Mais alors ne désespère pas car je pense sincèrement que tu devrais gagner à terme si d’aventure, par exceptionnel que cela soit, ma propre cour ne devait pas te donner raison comme tu le mériterais.

Et pour ce qui concerne Versailles, je crains que cet arrêt d’espèce ne soit isolé ou disparaisse dans les méandres limbiques du Valhalla judiciaire avant qu’il me soit donné d’entreprendre ce qui, jusqu’à plus ample informé, ne fait pas encore jurisprudence et qui n’est qu’un repoussoir à bestiole.

Achevons par dire, que la mort de la profession d’avoué à la cour a fait étonnamment revivre, à travers nous, celle d’avoué près le tribunal.

Ce n’est pas le moindre inconoclasme puisque ce qui nous a valu la disparition de nos amis avoués ne visait pas, dans sa logique ultime, à nous les faire engloutir pour que nous prenions leur place.

Ce paradoxe explique le maintien de "l’avoué de cassation", notre confrère qui excite tant l’appétit cannibale...

David BOCCARA Docteur d'État en droit Avocat à la Cour de Paris