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Banques et paiements : SEPA compliqué. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : mercredi 29 janvier 2014
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Avec la monnaie unique, les paiements européens poursuivent leur marche.
Depuis le 1er février 2014, les prélèvements et virements dits SEPA sont la norme.

Quels sont les changements, pour le consommateur ?

L’exemple du prélèvement montre les nouveaux principes en vigueur. Ils sont assortis de dispositions de protection des clients (consommateurs et débiteurs) qu’il convient de découvrir et de bien apprivoiser.

1er février 2014 : les nouveaux procédés de paiement s’installent en Europe. L’espace unique des paiements (SEPA), c’est à dire, l’instauration des mêmes techniques de paiement dans tous les Pays membres de l’Union devient une réalité.

Le cadre unique des paiements européens s’inscrit dans la "Stratégie 2020" pour l’Europe, "qui vise à parvenir à une économie plus intelligente où la prospérité résulte de l’innovation et d’une meilleure utilisation des ressources disponibles" (Réglement UE du 14 mars 2012, cité ci-après).

Rien de plus simple, donc !

Juridiquement, c’est l’ordonnance 2009-866 du 15 juillet 2009 (article L. 133-1 et suivants, et L. 314-1 et suivants du Code monétaire et financier), transposant la Directive « Paiements » (2007/64/CE) ou "DSP", défilant en cortège avec son règlement "SEPA" (260/2012) en Droit national, qui en pose le cadre. Les règles fonctionnelles diffusées par le CFONB, Comité technique en charge des normes bancaires, s’appliquent.

Outre cet orchestre symphonique et de sympathiques possibilités de jeux de mots, en pratique, quels sont les changements apportés par SEPA ?

Prenons l’exemple du prélèvement, à titre d’illustration.

Le bon vieux prélèvement, apparu dans les années soixante avec l’informatisation bancaire et sa possibilité de planifier des paiements récurrents, devient le "SDD" : le SEPA Direct Debit, ou, tout simplement, le prélèvement SEPA (le virement devient le virement SCT).

Gageons qu’il restera, tout simplement, le "prélèvement", d’autant que l’autre modèle disparait tout net.

1. Quels sont les principes du prélèvement SDD ou prélèvement SEPA ?

Un prélèvement est "un service de paiement visant à débiter un compte de paiement, lorsque l’opération de paiement est initiée par le bénéficiaire sur la base du consentement du payeur" (Réglement UE 260/2012).

Le mandat donné par le client/débiteur ne comporte plus qu’une seule branche ; et il est donné au seul créancier, et pas à la banque (ou établissement de paiement).

Par le prélèvement SEPA, le débiteur confie par mandat, à son créancier, l’ordre d’effectuer les prélèvements prévus au titre de son obligation contractuelle de paiement. Ce mandat contient également l’autorisation de prélèvement ; il est conservé par le seul créancier, qui informe le Prestataire de Services de Paiements.

Un seul document, qui contient deux mandats : l’un pour prélever, l’autre pour autoriser le prélèvement. Voilà l’instrument.

Le paiement est ainsi autorisé préalablement par le débiteur, tel que l’exige l’article L. 133-6 du Code monétaire et financier.

Le créancier détient l’initiative de la mise en recouvrement de sa créance, ou de ses créances récurrentes. Il lui revient la charge de la conservation et du contrôle de l’autorisation de prélèvement.

Première conséquence : l’autorisation de prélèvement est supprimée.

Seconde conséquence : la banque n’aura plus de moyen de contrôle de la conformité du prélèvement opéré par le créancier de son client. Mais le client pourra contester le prélèvement.

Le mandat contient des mentions obligatoires ; le terme « récurrent » doit figurer clairement. Il associé à un numéro unique, la Référence Unique du Mandat (RUM), communiqué au client. Cette RUM est couplée à l’Identifiant Créancier SEPA (ICS), le "numéro d’immatriculation" SEPA du créancier.

Le Comité National SEPA a émis des recommandations, visant à préserver la création des RUM contre les fraudes.

Le prélèvement SEPA est donc la norme, depuis le 1er février 2014. Une tolérance supplémentaire de coexistence des prélèvements antérieurs reste admise, jusqu’au 1er août 2014 (Commission Européenne IP/14/6 du 9 janvier 2014).

2. Quelle est la protection des clients-débiteurs ?

Les futurs prélèvements doivent être d’abord notifiés au client/débiteur. C’est le principe de base.

Le créancier doit notifier au client chaque prélèvement au moins 14 jours (délai fixé par EPC 348-12, "Clarification Paper", Janvier 2013) avant la date prévue pour le débit. Cette notification peut prendre toute forme : « avis, facture, échéancier » (CCSF, Information SEPA). Elle comprend le montant du prélèvement, ainsi que sa date. Les précisions de l’ICS et de la RUM sont, certainement, utiles.

La notification de l’échéancier global des prélèvements répond à cette obligation (pour peu qu’elle s’opère au moins dans le délai minimal de 14 jours avant le premier de ces prélèvements), puisque aucun délai maximal n’est imposé.

Elle peut donc passer par simple validation d’un échéancier, lors de la signature du contrat, avec accusé de réception de la part du client. Il serait judicieux d’insérer les termes de « notification des prélèvements » en tête du document.

Le créancier informe également ses débiteurs que les prélèvements antérieurs, nationaux, seront désormais recouvrés selon le cadre SEPA. Cette information comprend :

- Son ICS ;
- La RUM ;
- Les coordonnées de contact pour les modifications / révocation ;
- Les coordonnées de contact pour les réclamations.

Le client pourra remettre à la banque une liste des créanciers "autorisés" ("liste blanche"), voire, une liste des créanciers non autorisés à prélever sur son compte (à condition que le client ne leur ait effectivement pas donné de mandat). Idéalement, il faudrait mentionner le numéro de créancier (ICS) sur de telles listes, encore faudra-t-il que cette information soit diffusée, ce que la sécurité ne recommande pas.

Le client conserve le droit de révoquer un prélèvement autorisé jusqu’à la veille du jour prévu pour le débit des fonds (article L. 133-8 II du Code monétaire et financier). Ceci, même en ayant reçu la notification du prélèvement à venir.

Le mandat de prélèvement SEPA peut être totalement révoqué par notification au créancier. A cette fin, le mandat contient les coordonnées de contact utiles en cas de modifications, de révocation ou de réclamations à propos du mandat.

De plus, le client peut contester tout paiement dans un délai de huit semaines. Et tout paiement non autorisé dans un délai de 15 mois après la date de débit (13 mois, délai de l’article L. 133-24 du Code monétaire + 8 semaines). Non autorisé, c’est à dire pour lequel le client n’a pas donné de mandat de prélèvement.

A noter : les conflits et différends de paiement devront être réglés entre le débiteur et son créancier, puisque le mandat est passé entre eux, sans que la banque, établissement de paiement, intervienne.

Un ensemble complet de dispositions protectrices des clients, mais qu’il faudra apprendre à découvrir et à manier. La tarification bancaire aura à s’adapter à ces nouvelles modalités de paiement, ce qui n’ira pas sans son lot de surprises.

De tels changements sont autant de défis jetés à l’éducation financière des consommateurs de services financiers, souvent si réduite -hélas.

Ils nécessitent de renforcer -chez les professionnels eux-mêmes- les modes de traitement des réclamations, ainsi que les solutions alternatives au règlement des litiges, comme peut l’être la Médiation, par exemple.

Début janvier 2015, plus de 61 % des prélèvements s’effectuaient déjà au format SEPA (source : Comité National SEPA et Banque de France).

Ainsi avance l’Europe bancaire. Les paiements uniques prolongent naturellement la monnaie unique. Au 1er février 2016, ce sera au tour des cartes bancaires de prendre une dimension européenne (cartes "SCP").

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr www.droit-distribution-bancaire.fr
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