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Obliger les seuls courtiers en crédits à délivrer des conseils, est-ce une discrimination professionnelle ? Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : jeudi 6 février 2014
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C’est un match de beau niveau qui s’est tenu devant le Conseil d’Etat, le 24 juin 2013.
D’un côté, les représentants de courtiers en crédits, considérant leurs nouvelles obligations de conseil comme un handicap concurrentiel.
De l’autre, les défenseurs des producteurs de la norme discutée, revendiquant l’aspect légitime et bien-fondé de ces mêmes obligations.

Conseil d’Etat, 24 juin 2013, n°363544

1. L’obligation de conseil des Courtiers en crédits.

Avec le Décret 2012-101 du 26 janvier 2012, l’obligation de conseil du courtier en crédits est entrée en vigueur le 15 janvier 2013.
Elle figure aux articles R. 519-27 et suivants, du Code monétaire et financier.

Elle est au cœur de la formation des courtiers en crédits.

Cette obligation est déjà particulière, puisqu’elle n’est pas explicitement qualifiée "de conseil".

Elle en présente pourtant tout le contenu, notamment : analyser le marché, proposer les contrats les plus appropriés en fonction de la situation et des besoins des clients, donc, motiver le conseil (art. R. 519-29 du CMF), préciser le degré d’indépendance du Courtier, ainsi que sa rémunération.

Elle est réservée aux seuls Courtiers en crédits, donc, les IOBSP (Intermédiaires en Opérations de Banque et en Services de Paiements) relevant du 1° du I de l’article R. 519-4 du même Code, lequel en fixe limitativement les quatre catégories.

L’obligation de conseil en crédits étant spécifique aux courtiers, et limitée aux seuls courtiers, elle n’est donc pas due par les IOBSP mandataires d’établissements de crédit, ni par les Conseillers salariés de ces mêmes établissements. Ceux-ci doivent à leurs clients emprunteurs une obligation d’information et une obligation de mise en garde, cette liste n’étant pas limitative.

2. La contestation.

En octobre 2012, les requérants ont, principalement, demandé au Conseil d’État d’abroger le Décret 2012-101 précité, spécialement la section qui pose les bases de cette obligation de conseil des courtiers en crédits.

Le Conseil d’État rejette cette demande d’abrogation, et juge le décret conforme du point de vue de sa légalité externe, comme de sa légalité interne.

En effet, la loi habilite le pouvoir réglementaire à fixer les règles de bonne conduite pour les Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiements (art. L. 519-1 du Code monétaire et financier). En déterminant le détail des obligations incombant à ce titre aux courtiers, le pouvoir réglementaire reste dans le cadre de cette habilitation. Le Conseil d’État précise que ceci est valable pour la "transparence sur l’éventuelle rémunération" perçue par les Courtiers de la part des banques.

De même, le conseil juge que la distinction posée entre courtiers et autres IOBSP n’entraîne pas une concurrence déloyale au détriment des premiers. L’obligation de conseil n’est pas un "handicap concurrentiel", d’autant que les prestations des courtiers ne sont pas substituables à celles des autres IOBSP (mandataires), n’étant pas identiques.

Le Conseil rappelle que le principe d’égalité "ne s’oppose pas à régler de façon différente des situations différentes", ni à déroger "à l’égalité pour des raisons d’intérêt général", lorsque "la différence de traitement est en rapport avec l’objet de la norme" et qu’elle reste "proportionnée aux différences de situations".

Les obligations spécifiques des courtiers sont ainsi jugées compatibles avec le principe d’égalité devant la loi.

La norme qui les fonde est jugée claire et intelligible, donc, possiblement conforme à la Constitution.

Les articles R. 519-4 à R. 519-31 du Code monétaire et financier sont, de la sorte, validés.

L’obligation de conseil est due par les seuls courtiers, et ce n’est pas discriminatoire.

3. Sens de la décision.

Deux premières observations peuvent être faites, sans aborder la question de la transparence des rémunérations.

La première, c’est que ce raisonnement juridique très étayé repose sur l’examen d’une éventuelle discrimination entre IOBSP.

Pour autant, du point de vue du consommateur, toutes les prestations d’IOBSP présentent un point commun : la négociation d’une opération bancaire, d’un crédit par exemple. Comment justifier qu’un même crédit obtenu auprès d’un courtier confère au consommateur une protection supplémentaire à celle d’un crédit obtenu soit auprès d’un Mandataire, soit auprès d’un conseiller d’agence bancaire ?

Qu’est-ce qui justifie -du seul point de vue de la protection du consommateur financier- que le même acte d’achat soit assorti tantôt d’une meilleure protection (chez le courtier), tantôt d’une protection -certainement suffisante- mais d’intensité plus faible ?

Comme si les risques de l’emprunt n’étaient consécutifs qu’à leur seul canal de distribution ; or, les risques financiers d’un crédit présentent bien des points identiques, quel que soit leur lieu de vente.

La seconde, ce que ce raisonnement juridique ignore (ce n’était pas la question posée) une éventuelle discrimination entre IOBSP et Conseillers bancaires. Le courtier reçoit son mandat du client, les mandataires sont mandatés directement par la banque ; les conseillers bancaires, salariés, sont dans une situation opérationnelle très proche de celle des mandataires exclusifs.

Mais les mandataires non exclusifs ? Ils sont en mesure de proposer plusieurs offres à leurs clients, sans avoir à justifier ni la manière dont ils organisent et choisissent leurs mandats bancaires, ni a motiver comment ils déterminent leur proposition, en fonction de leurs différents mandats bancaires.

Comme si la justification des obligations spécifiques du courtier, en regard de ses mandats et de ses conventions de partenariat, ne trouvait pas d’écho dans la configuration des mandats du mandataire non exclusif.

Le courtier, au service du client de manière juridiquement incontestable, doit davantage de travaux et d’informations aux clients que le mandataire ou le conseiller, pourtant directement liés un seul établissement bancaire. Voici le droit positif.

Il s’ensuit que les emprunteurs ont aujourd’hui le choix : entre des courtiers (et leurs mandataires) à leur service, devant justifier leurs propositions et leur apporter un conseil complet ; ou des mandataires et conseillers au service d’un seul établissement bancaire, pouvant limiter les travaux d’analyse au devoir de mise en garde.

Le droit bancaire n’a sans doute pas encore vu toutes les conséquences du remodelage profond de la distribution bancaire, stimulé par la réglementation.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier www.isfi.fr www.droit-distribution-bancaire.fr