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La chronique des risques psychosociaux chez les juristes (9).
Parution : mercredi 12 février 2014
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Virginie a 42 ans. Mariée 3 enfants. Responsable du contentieux d’une très grande entreprise du tertiaire.
Une jolie fille, avenante, empathique, prévenante. En outre courageuse et compétente. Mais...

2ème partie, précédente chronique ici.

Ma dernière chronique vous a sans doute laissé sur votre faim, ou plutôt dans l’inquiétude sur le sort de Virginie.

Virginie faisait l’objet de critiques multiples, de dénigrements, d’insultes, et subissait des brimades. Elle faisait l’objet de menaces voilées à finalité d’intimidation. Elle était la victime de la mise en place d’un isolement social dans son travail. Les dossiers qu’on lui confiait se raréfiaient ou devenaient de moindre importance.

Virginie était victime d’un harcèlement. La nature de ce harcèlement est sans doute ambiguë : sexuel ou moral ?
On peut penser que si le comportement avait au départ une visée sexuelle, il s’était mué en harcèlement moral, motivé sans doute par le désir de punir la femme non consentante.

Le harcèlement peut notamment être pratiqué par une personnalité perverse.

Rappelons que le pervers ne ressent aucune empathie : il éprouve même une jouissance devant la souffrance de l’autre, qui lui permet de mesurer le degré d’attachement ou de soumission qu’il inspire. Ce qu’il cherche : l’angoisse de l’autre, voire sa négation.

Les manœuvres du pervers ont pour objet d’isoler la victime, afin de mieux assurer sa mainmise ; il peut exercer une véritable fascination et faire peur. Parfois son objectif est de mettre l’autre dans une position où il n’est même plus capable de le quitter, en le persuadant qu’il n’est rien, bon à rien.
En termes psychanalytique on estime qu’il n’a pas de surmoi ou uniquement un moi jouisseur ; la seule parade pour la victime est la peur du gendarme qui est latente chez le pervers.

Vous connaissez le contexte juridique du harcèlement. D’excellents articles ont été publiés sur ce site à ce sujet...

Les définitions légales du harcèlement sont : "des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". La preuve du harcèlement résulte de faits précis, répétitifs et concordants que le juge doit appréhender dans leur ensemble.

Les comportements répréhensibles peuvent être de toute nature : propos, gestes, envois ou remise de courriers ou de mails, attitudes, etc.

Par ailleurs, la loi n’exige pas littéralement que les agissements visés aient réellement porté atteinte aux droits ou à la dignité des victimes. Il suffit qu’ils soient « susceptibles » de le faire. Le harcèlement moral pourra donc être sanctionné en dehors de tout préjudice avéré. Il reste que, le plus souvent, les actes de harcèlement moral ont un impact direct sur l’état de santé du salarié.

La prévention du harcèlement moral est de la responsabilité au chef d’entreprise. Il lui appartient de prendre toute mesure en ce sens, ainsi que d’infliger des sanctions disciplinaires aux salariés auteurs de tels agissements.

Le harcèlement moral est puni pénalement, ainsi que les actes de discrimination liés à un harcèlement moral. En outre, toute mesure affectant la relation salariale, dans toutes ses composantes (salaire, formation, progression de carrière) encourt la nullité dès lors qu’elle trouverait son origine dans un comportement de harcèlement moral ou lui serait directement liée. Si cette mesure est un licenciement, celui-ci sera nécessairement déclaré nul.

La fonction et la place du juriste peuvent le rendre particulièrement vulnérable dans ce cas. En effet son rôle est d’assurer la sécurité de l’entreprise, et pour cela il doit non seulement avoir accès à toutes les informations pertinentes, mais aussi pouvoir les analyser l’esprit tranquille et pouvoir s’exprimer librement.

L’enquête sur les risques psychosociaux des professionnels du droit (menée ici, voir ce lien) a montré que pour un tiers des juristes d’entreprise la complexité du droit est source d’inquiétude, et que plus d’un quart est souvent gêné par les incertitudes liées au droit. Un contexte déstabilisant les fragilise encore davantage et peut les conduire à la faute professionnelle.

Je vais maintenant vous raconter la fin de l’histoire de Virginie.

Epuisée, tétanisée, aux abois, Virginie a décidé de s’adresser à un délégué syndical qu’elle connaissait et qui la connaissait. Cet homme était reconnu et apprécié par ses collègues et, fait plus rare, par la DRH. Grâce au syndicat une avocate a été saisie du dossier.

Une réunion a été organisée avec la DRH : le message était clair : ou bien les choses reviennent dans l’ordre, ou bien la justice est saisie. Virginie pouvait apporter des preuves des agissements subis.

Le discours a très vite porté ses fruits, l’employeur, en tant que responsable de la prévention, se sentait menacé.

Des consignes ont été données au Directeur juridique, qui a d’ailleurs très vite pris sa retraite. Craignait-il pour son poste ?

Virginie a eu de la chance :
- de faire partie d’un grand groupe
- d’avoir demandé de l’aide à un délégué syndical estimé et astucieux
- d’avoir eu affaire à un manager dont la réputation était déjà ambiguë.

Tout le monde n’a pas cette chance. Et sans doute de moins en moins compte-tenu du contexte économique et social des entreprises.

Maintenant, en y repensant, Virginie murmure parfois : "Comment ai-je pu tenir ? …"

Geneviève NICOLAS-BUSSAT Juriste et coach _ [Sur Viadeo->http://www.viadeo.com/profile/00223lxkmaplbk39?nav=0&navContext=002edjide1g3gg3&consultationType=23] _ [->g.nicolas.bussat@gmail.com] _ http://genevievenicolas.wordpress.com/
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