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Changement de nom patronymique : des circonstances exceptionnelles peuvent caractériser un intérêt légitime selon le Conseil d’Etat. Par Yasmine Azi, Elève-Avocat.
Parution : vendredi 21 février 2014
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Si les articles 61 à 61-4 du Code civil donnent la possibilité de changer de nom à toute personne de nationalité française qui justifie d’un intérêt légitime, le changement de nom demeure néanmoins exceptionnel, le nom de famille restant soumis au principe d’immutabilité établi par la loi.

La procédure de changement de nom est strictement encadrée (1), mais le Conseil d’Etat a récemment jugé que des circonstances exceptionnelles pouvaient caractériser un intérêt légitime des requérants à la demander (2).

1. La procédure de changement de nom :

Si en Belgique, au Portugal et en Turquie, le changement de nom est accordé quel que soit le motif de la demande, en France, le changement de nom patronymique n’est permis que si la personne en faisant la demande justifie d’un intérêt légitime (CAA Paris, 27 janv. 2003, n° 00PA02050, Garde des Sceaux, ministre de la Justice c/ Mustafa).

En effet, l’article 61 du Code civil dispose que «  toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ».

Ainsi, la demande peut être faite en cas de :

- nom difficile à porter en raison de sa consonance ridicule ou péjorative ;
- nom à consonance étrangère ;
- survivance d’un nom illustré de manière éclatante sur le plan national ;
- nom éteint ou menacé d’extinction.

Comme le précise le dernier alinéa de l’article 61 du Code civil, « le changement de nom est autorisé par décret  ». La demande est adressée au Garde des Sceaux, ministre de la justice. Le demandeur devra également publier la modification de nom envisagée au Journal officiel ainsi que dans un journal d’annonces légales (article 3 du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom).

Le dossier de demande de changement de nom doit être constitué des pièces suivantes (article 2 du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom) :

- un exemplaire de chacun des journaux dans lesquels l’annonce ou les annonces légales ont été publiées ;
- la copie intégrale de l’acte de naissance de chaque intéressé majeur ou mineur ;
- la copie d’une pièce prouvant la nationalité française ;
- le consentement personnel écrit pour les mineurs de plus de 13 ans ;
- le bulletin n° 3 du casier judiciaire pour les personnes majeures ;
- une requête personnelle sur papier libre adressée au Garde des Sceaux (elle doit être signée et comprendre les raisons de l’abandon du nom d’origine et les raisons du choix du nom demandé ; tout document établissant le bien fondé de cette demande doit être joint pour l’appuyer) ;
- le consentement de l’autre parent en cas d’exercice conjoint de l’autorité parentale ou, à défaut et dans les autres cas, l’autorisation du juge des tutelles.

En cas d’acceptation, un décret portant changement de nom est signé par le Premier ministre et le Garde des Sceaux et est publié au Journal officiel. Si la demande de changement de nom est refusée, ce refus doit être motivé (article 6 du décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom). La décision de rejet peut être contestée par le biais d’un recours pour excès de pouvoir (dans un délai de 2 mois à compter de sa notification) devant le tribunal administratif de Paris.

Une fois la procédure de changement de nom présentée, il convient à présent d’analyser la décision rendue par le Conseil d’Etat.

2. Des motifs d’ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du Code civil

Par un arrêt rendu le 31 janvier 2014 (Mrs R., n° 362444), le Conseil d’Etat a jugé que « des motifs d’ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du Code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi » (considérant n°5).

Afin d’appréhender la solution proposée par les magistrats de la Cour de l’Horloge, une brève analyse de la décision s’impose.

En l’espèce, les requérants ont demandé au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui, à la suite du Tribunal administratif de Paris, a rejeté leur requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir des décisions du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, refusant leur changement de nom.

La décision rendue mérite que soient mis en exergue deux points essentiels :

a. D’abord, dans son considérant n°3, le Conseil d’Etat a jugé qu’ « en limitant son contrôle à l’examen de l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, en retenant que les requérants ne justifiaient pas d’un intérêt légitime à changer de nom, la cour administrative d’appel de Paris a entaché son arrêt d’erreur de droit ».

Il importe de souligner, dans cette formulation, le passage d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation [1] à un contrôle normal [2] sur l’existence d’un intérêt légitime à changer de nom.

b. Ensuite, le Conseil d’Etat a retenu que des « motifs d’ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ».

Cette solution a été adoptée au regard de la situation personnelle des requérants.

En effet, il s’agit de deux frères qui ont été abandonnés brutalement par leur père alors qu’ils étaient âgés de 8 et 11 ans. Celui-ci n’a plus eu aucun contact avec eux, il n’a subvenu ni à leur éducation ni à leur entretien, alors qu’il en avait l’obligation en vertu du jugement prononçant son divorce. Il n’a d’ailleurs jamais exercé son droit de visite et d’hébergement.

Les requérants ont souffert de traumatismes physiques et psychologiques depuis cet abandon et c’est pour cette raison qu’ils ne voulaient plus porter le nom de ce père absent et souhaitaient se voir attribuer celui de leur mère, qui les a élevés.

Prenant en considération l’environnement parental dans lequel les requérants ont évolué et les raisons les ayant poussés à demander leur changement de nom patronymique, il a été jugé que « ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l’intérêt légitime requis pour changer de nom ; que, par suite, en leur déniant un tel intérêt, le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a fait une inexacte application des dispositions de l’article 61 du code civil » (considérant n° 6).

En choisissant de s’intéresser à l’individu, à son histoire, à sa situation personnelle et à l’environnement qui est le sien, le Conseil d’Etat a permis, en reconnaissant un intérêt légitime aux requérants justifiant de circonstances exceptionnelles, d’offrir un rôle thérapeutique au changement de nom patronymique.

Yasmine Azi Élève-Avocate

[1Selon le Commissaire du gouvernement Guy Braibant, l’erreur manifeste d’appréciation est l’ « erreur évidente, invoquée par les parties, reconnue par le juge et qui ne fait aucun doute pour un esprit éclairé », conclusions sur CE, 13 novembre 1970, Lambert, AJDA 1971, p. 35.

[2Le contrôle normal consiste à vérifier la qualification juridique des faits, CE, Gomel, 1914, Rec.Lebon p. 488