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Drones civils : objets volants pénalement non identifiés. Par Julien Brochot, Avocat.
Parution : mercredi 26 février 2014
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Ces douze derniers mois, la France a vu une nouvelle activité de loisir se développer de façon tout à fait exponentielle : il s’agit de l’usage, par des particuliers, d’appareils volants souvent improprement qualifiés de « drones ».

Au centre de ce développement phénoménal, une entreprise française qui a mis sur le marché deux drones, le premier en 2010 puis une version plus évoluée en 2012.

Ces quadricoptères, pesant de 300 à 450 grammes, peuvent voler à une cinquantaine de mètres de distance de leur propriétaire et filmer en altitude.

La simplicité et le confort d’utilisation de l’appareil ont permis à de nombreux particuliers de réaliser leurs fantasmes de vol et de prise de vues jusqu’alors impossibles à réaliser.

Le succès fut tel que de nombreuses marques ont mis au point leur propre drone de loisir.

C’est ainsi que, selon certaines études, on peut considérer que plus de 500 000 drones ont été vendus à travers le monde et que plus d’un million de vidéos ont été partagées sur internet.

Progressivement, les revues et sites spécialisés se sont penchés sur le sujet, notamment au regard des règles de sécurité et de la question du respect de la vie privée.

Cependant, force était de constater qu’aucun accident notable n’était survenu et que nul ne s’était plaint d’une atteinte quelconque à son image ou à son intimité.

Il n’en demeure pas moins que les drones civils pouvaient inquiéter, le fantasme de l’altitude se voyant opposer celui de Big Brother.

C’est précisément ces dernières semaines que les médias divers et variés se sont fait écho de ces craintes suite à la convocation d’un jeune télépilote à une audience du Tribunal correctionnel de Nancy pour des faits de « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ».

L’information, largement relayée, a éveillé la curiosité des uns, provoqué l’ire des autres et ouvert un débat entre les uns et les autres.

L’interpellation récente d’un jeune homme filmant la Tour Eiffel semble confirmer la tendance de pénalisation progressive des utilisateurs de drones.

Mais peut-on véritablement être condamné pénalement pour avoir utilisé son drone en milieu urbain sans autorisation ?

Avant d’aborder l’essentiel, à savoir la qualification pénale, il y a lieu de s’intéresser de façon synthétique aux règles applicables à ces nouveaux objets volants confrontés aujourd’hui à la loi pénale.

1. Dura lex sed lex - La loi sur les drones est dure mais c’est la loi

En réalité, la réglementation applicable aux drones de loisirs ne découle pas d’une Loi mais deux arrêtés distincts du 11 avril 2012 et de leurs annexes :

- Le premier a trait à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs qui circulent sans personne à bord,
- Le second est relatif à la conception des aéronefs civils qui circulent sans aucune personne à bord, aux conditions de leur emploi et sur les capacités requises des personnes qui les utilisent.

C’est de l’application combinée de ces deux arrêtés qu’il est possible de déduire les règles auxquelles sont soumis les drones de loisir dont on rappelle qu’il s’agit d’appareils volants, légers (moins de 2 kgs), de faible portée (50 à 100 mètres), commandés à distance et de très faible puissance.

Sans entrer dans les détails qui exigeraient de très longs développements, il convient, pour aborder dans de bonnes conditions la question pénale, de s’imprégner de l’esprit général de la réglementation.

a. Les aéromodèles ont (presque) droit de cité dans l’espace aérien

En substance, tout appareil, sans dispositif de prise de vue, de moins de 25 kgs et d’une puissance inférieure à 15 kW, est un aéronef de catégorie A, autrement qualifié d’aéromodèle.

La réglementation des aéromodèles est assez souple puisque, dans la limite de l’altitude maximum de 150 mètres et sous réserve d’un pilotage à vue, ces appareils peuvent voler librement hors zone peuplée, sans aucun document de navigabilité et sans aucune condition d’aptitude de l’appareil ou de son télépilote.

En d’autres termes, l’appareil ne doit répondre à aucune norme technique et son utilisateur n’a pas à être titulaire d’un diplôme.

Dans toutes les autres hypothèses, qu’il s’agisse d’une navigation hors vue, du survol de zones peuplées ou réglementées, les arrêtés sont beaucoup plus contraignants : selon les cas, des autorisations doivent être recueillies et des précautions doivent être prises.

b. La caméra de la discorde

La réglementation se durcit incroyablement lorsque l’appareil est équipé d’un dispositif de prise de vue ou, à tout le moins, lorsque le drone est utilisé pour des activités, notamment, de photographie et d’observation.

Ces deux formulations qualificatifs sont assez vagues.

Toujours est-il que ces activités de photographie et d’observation sont qualifiées par les textes "d’activités particulières".

En conséquence, le drone de catégorie A, dit aéromodèle, devient, lorsqu’il est équipé d’une caméra, un aéronef de catégorie D et est alors soumis alors à de très strictes dispositions.

Pour voler, il doit répondre à des exigences techniques rigoureuses qui doivent être validées par la DGAC.

Le télépilote doit en outre avoir suivi une formation et obtenir, en fonction du scénario de vol par lui envisagé, de multiples autorisations.

Autrement dit, le particulier qui a acheté un drone ludique dans le commerce ne peut purement et simplement pas s’en servir tant les conditions à remplir sont lourdes et complexes.

C’est le paradoxe de cet arrêté :

Sans diplôme, un individu peut faire fonctionner dans un champ désert un appareil de près de 25 kgs et de 15 kW - une puissance de 20 chevaux tout de même, supérieure à celle d’un scooter de 125 cm3.

En revanche, dans ce même champ désert, un particulier a besoin d’un diplôme pour faire voler un drone de 400 grammes et de moins de 0,01 kW simplement parce qu’une caméra est fixée sur l’objet.

Cette rigueur excessive et les incohérences manifestes précitées trouvent très certainement leur source dans l’extrême jeunesse de cette réglementation et son absence totale de distinction entre les usages professionnels et non professionnels.

Et si cette caméra implique une multiplication disproportionnée des conditions nécessaires pour utiliser un drone de loisir, elle pose également la question de la vie privée.

Bien qu’elle ne soit pas le sujet du présent article, il convient d’en dire quelques mots et notamment de souligner qu’elle n’est absolument pas mentionnée par les deux arrêtés.

Il faut davantage se reporter à l’article 9 du Code civil qui établit une solide protection au bénéfice de toute personne qui verrait ses droits bafoués par un usager de drone.

En pratique, la problématique de l’article 9 ne semble pas véritablement se poser à l’heure actuelle tant il est vrai que les appareils vendus dans le commerce sont particulièrement bruyants et qu’ils représentent, de ce fait, une menace très relative, à tout le moins nettement moindre qu’un photographe en embuscade.

Force est donc de constater que la réglementation actuelle n’est pas adaptée aux activités de loisirs et qu’il y aurait lieu de proposer un assouplissement tout en veillant au respect des normes de sécurité et de prudence de base.

Pour davantage de précisions sur ces deux arrêtés, il est vivement recommandé de prendre connaissance des documents suivants :

- Le site internet www.helicomicro.com consacre une série d’articles aux deux arrêtés. L’auteur, Fred, a fait un remarquable travail de recherche qu’il convient de saluer.
- Monsieur Maxime COFFIN, membre de la DGAC, donne également quelques pistes de réflexion lors d’une interview assez pédagogique menée par FRANCE INFO

Reste donc à aborder le coeur du sujet : la question du droit pénal.

2. Télépilotes et drones : des dangers publics ?

Pour poursuivre le jeune pilote nancéien, le Procureur de la République a retenu la prévention de la « mise en danger délibérée de la vie d’autrui ».

Il semblerait que le télépilote parisien, interpellé et placé en garde à vue, fut poursuivi sur la base de cette même qualification.

Dès à présent, il faut insister sur le fait que ces deux individus n’ont absolument pas été poursuivis pour des faits relatifs à la vie privée ou pour la survenance effective de blessures.

Il n’est ici question que d’un risque allégué, à tort ou à raison, par le Ministère Public.

Ces deux cas concrets serviront de base aux explications qui suivent, lesquelles n’ont pas vocation à être exhaustives puisque d’une part, la question juridique est très complexe et d’autre part, les informations à ma disposition sont strictement limitées à ce qui a été reporté dans la presse.

Ce rappel de bon sens étant fait, il faut d’abord préciser que l’infraction précitée est un délit prévu à l’article 223-1 du code pénal dans les termes suivants :

« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Un an d’emprisonnement, cela peut naturellement paraitre cher payé pour un survol.

Reste qu’il s’agit d’une peine maximale et qu’il est fort peu probable qu’un télépilote subisse une telle sanction.

Il n’en demeure pas moins que la condamnation pénale est infamante et peut paraitre disproportionnée au regard du comportement incriminé, en l’espèce avoir fait voler un drone.

Le tout est alors de vérifier que l’infraction est caractérisée, sachant que le droit pénal est d’interprétation stricte.

a. Condition préalable : le règlement violé doit prescrire une obligation « particulière »

L’obligation de sécurité ou de prudence doit avoir un caractère particulier.

La jurisprudence a pu définir cette notion.

L’obligation est particulière lorsque la loi et le règlement prescrivent l’accomplissement de diligences clairement détaillées ou imposent une abstention précisément décrite.

Ainsi par exemple, un médecin qui aurait méconnu la règle selon laquelle il doit assurer personnellement aux patients des soins consciencieux ne peut être sanctionné, faute d’obligations particulières.

Il en va différemment lorsqu’un décret prévoit expressément qu’un chirurgien ne doit avoir recours qu’à du personnel qualifié dans le cadre de ses interventions.

Ici, l’obligation n’est pas générale dès lors que le règlement exige l’accomplissement d’une diligence précisément énoncée.

En ce qui concerne les arrêtés du 11 avril 2012, ils évoquent à plusieurs reprises des obligations générales de sécurité à l’égard des tiers.

Au-delà de ces généralités, certaines dispositions de ces arrêtés font référence à des exigences plus précises telles que l’établissement d’un périmètre de sécurité, le respect d’un plan de vol prédéterminé ou encore le contrôle préalable de l’appareil.

Bien que ces obligations semblent complètement en décalage avec la taille et la puissance des drones de loisirs, il semblerait bien qu’il s’agisse là d’obligations « particulières ».

Les deux télépilotes nancéien et parisien ne semblent pas avoir respecté ces règles.

Les éléments de l’infraction apparaissent donc sur ce point acquis.

b. La violation doit être délibérée

Nul n’est censé ignorer la loi, c’est un fait.

Toutefois, dans le cadre de l’application de l’article 223-1 du Code pénal, il faut encore que cette loi (ou ce règlement) ait été violée de façon manifestement délibérée.

Pour statuer sur ce point, le juge devra rechercher des éléments de fait susceptibles de soutenir la thèse selon laquelle le prévenu s’est, en toute connaissance de cause, détourné d’obligations particulières dont la portée ne lui échappait pas.

Il y a violation manifestement délibérée lorsqu’une personne, qui a été avertie à plusieurs reprises de l’illégalité de son comportement, transgresse malgré tout l’interdiction qui lui est faite.

Il en va de même lorsqu’un individu prétend avoir fait les démarches nécessaires pour assurer la sécurité d’autrui alors qu’aucune d’entre elles n’a été accomplie : le mensonge atteste de son incontestable connaissance de la norme enfreinte.

A Nancy, le jeune télépilote avait choisi de faire de la location de drones équipés de caméras son activité professionnelle.

Il se devait donc de connaître un minimum la norme.

Par ailleurs, la DGAC lui avait fait parvenir un ou plusieurs avertissements.

La réunion cumulative de ces deux éléments semble faire la démonstration du caractère manifestement délibéré de la violation sous une réserve très importante toutefois : il faut que les avertissements lui aient été communiqués avant que la vidéo incriminée ait été tournée.

Si au contraire c’est la vidéo en cause qui a généré les avertissements et qu’à compter de ceux-ci le télépilote a cessé de faire voler son appareil, il ne saurait alors lui être imputé une violation manifestement délibérée.

Pour ce qui est du pilote de PARIS, les quelques détails recueillis dans le presse ne font pas état d’une connaissance particulière de la loi et encore moins d’une quelconque volonté de transgresser sciemment la norme établie.

En conséquence, sa responsabilité pénale ne saurait être engagée.

c. L’exposition directe à un risque grave

Pour que l’agent soit condamné, il faut qu’il ait objectivement exposé autrui à un risque particulièrement grave à savoir un risque de mort ou de mutilation ou infirmité permanente.

Il ne s’agit pas là de se fonder sur des préjugés mais bien sur une dangerosité clairement démontrée.

La Loi qualifie le risque de façon toute particulière.

Il doit être à la fois immédiat et grave.

Le dommage attendu doit être tout proche de sa réalisation ce qui implique une très forte probabilité de survenance.

En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si un drone peut générer la mort ou la mutilation d’autrui de façon très probable.

Le plus connu de ces appareils a une structure en fibre de carbone qui ressemble fort à du polystyrène.

Il ne peut donc pas véritablement blesser une personne en cas de chute libre.

De même, ce drone est équipé de systèmes de sécurité performants : les hélices (en plastique) s’arrêtent automatiquement au moindre contact, l’atterrissage se fait à vitesse réduite en cas de batterie faible ou de perte de signal, des capteurs permettent une stabilisation automatique...

Ces dispositifs de sécurité sont précisément ceux préconisés par la DGAC.

La chute libre est donc, en elle-même, une probabilité très lointaine, a fortiori lorsque les conditions de vol sont bonnes - absence de vent par exemple.

Le modèle de drone concurrent bénéficie du même type de système de sécurité et a, pour sa part, été homologué, dans sa dernière version, par la DGAC.

Ainsi, et de façon tout à fait objective et indiscutable, ces appareils ne représentent pas un risque "qualifié" pour autrui.

A ce titre d’ailleurs, aucun média ou association n’a pu recenser d’accident causé par un drone de loisir, ce qui renforce la thèse d’une probabilité d’accident très faible.

Au-delà des importants dispositifs de sécurité, il ressort de la vidéo tournée à Nancy que l’objet volant était particulièrement stable et que son propriétaire en avait une parfaite maîtrise.

Dans la comportement du télépilote, et en dépit d’une possible violation de la réglementation, on ne peut caractériser une prise de risque particulière :

- Il est très rare que le drone survole des passants, lesquels passants regardent fixement l’appareil,
- Les conditions climatiques étaient idéales sans risque de précipitation susceptible de dévier l’objet de sa trajectoire,
- La vitesse de vol était particulièrement faible.

Dans ces conditions, l’exposition à un risque grave ne parait pas établie.

3. Mais alors qui veut la peau des drones ?

En conclusion, on rappellera que les arrêtés du 11 avril 2012 manquent de cohérence et ne sont pas du tout adaptés aux drones de loisirs les plus répandus.

Ces derniers sont en effet le plus souvent utilisés pour amuser petits et grands ou pour prendre des vidéos sous un angle inédit, le tout en respectant des normes techniques très strictes.

Jusqu’alors, la majorité des télépilotes a toujours fait voler ces drones en toute sécurité sans qu’aucun accident n’ait été à déplorer.

Cela pouvait expliquer une certaine tolérance des autorités dans les parcs ou aux abords de certains monuments en cas de faible affluence.

Les abus, si tant est qu’il y en ait, pouvaient déjà être réprimés notamment sur le fondement des articles R. 151-1 et suivants du Code de l’aviation civile qui érigent en contravention le fait, par exemple, de ne pas avoir fait de déclarations préalables.

Ces règles pourraient être utilisées dans le cadre d’une répression douce qui ferait office de prévention, à charge pour les autorités de poursuivre plus durement les derniers irréductibles.

On peut donc légitimement s’interroger sur la motivation d’une poursuite fondée sur un délit de mise en danger dont on a vu que ses éléments constitutifs ne pouvaient manifestement pas être réunis.

On peut tout autant rester dubitatif devant un article publié sur le site de la Gendarmerie qui titrait « ILE DE FRANCE, Haro sur les drone ».

Certains commentateurs exposent que les professionnels craignent la concurrence que pourraient leur faire certains particuliers, comme le jeune nancéien qui louait des drones.

Sur ce point, ces mêmes professionnels peuvent se rassurer puisque des recours judiciaires simples peuvent mettre un terme à toute activité de parasitisme ou anti-concurrentielle, sans qu’il soit nécessaire de rechercher à tout prix la répression sur un fondement très discutable.

D’autres évoquent le spectre du voyeurisme ou du terrorisme.

Dans la première hypothèse, l’article 9 du Code civil offre toutes les protections nécessaires et la CNIL se penche actuellement sur la question.

Dans la seconde, nous sommes clairement dans le domaine du fantasme.

La seule certitude est qu’un assouplissement et une clarification du droit applicable parait nécessaire pour assurer un juste équilibre entre la sécurité d’autrui et le plaisir procuré par la nouvelle technologie.

Julien BROCHOT Avocat au Barreau de PARIS http://cabinet-brochot.fr/
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